L’âge d’or du Droit environnemental …

et son crépuscule !

Un document de Jean-Marc Sérékian

Faut-il lancer symboliquement le mot d’ordre « Hulot démission ! » ? Ou,  plus sérieusement,  pour rompre avec deux décennies d’imposture, ne faut-il pas demander la fermeture pure et simple du ministère de l’écologie ? Beaucoup de personnes s’interrogent encore sur le rôle de Nicolas Hulot au poste de ministre de la transition écologique et solidaire… Ils s’en inquiètent, s’efforcent de comprendre, mais ne veulent pas croire ou voir ce qui se passe.

Pour ceux qui s’en souviennent, au début des années 2000 on pensait avoir touché le fond avec Roselyne Bachelot à l’écologie… Et l’on découvre aujourd’hui Nicolas Hulot dans la fonction. Disons-le d’emblée, après lui il sera difficile de faire pire à ce poste.

Il faut se souvenir aussi qu’entre Bachelot et Hulot, il n’y a eu aucune parenthèse de temps mort pour accorder quelques brefs répits à la nature. Vingt ans de travail de sape de l’écologie en France eurent le ministère de l’écologie pour chef de chantier. Ainsi la dégringolade du droit environnemental n’a fait que s’accélérer depuis le tournant du siècle avec en prime pour ultime humiliation de grotesques impostures gouvernementales : le Grenelle de l’environnement sous Sarkozy et la « transition énergétique » dans la continuité nucléaire assurée sous Hollande après Fukushima. Fort probablement, dans les surenchères gouvernementales pour donner le coup de grâce à l’environnement en France il fallait en personne le héros-écolo des français. « Hulot pire que Bachelot ! » serait un mot d’ordre plus juste pour recentrer la critique sur le ministère et son travail de démolition du droit environnemental en France…

Au 1er avril 2018, coup de théâtre, les ONG environnementales apprenaient consternées que le ministre de l’écologie confiait au grand patronat français une mission spéciale, qualifiée d’« inédite » : la formation d’un « Accélérateur de la Transition Ecologique (AcTE) ». Sans nul doute, on est dans l’inouï. Le communiqué de presse officiel du ministère pour le lancement de ce collectif patronal à qui le ministre confie les rênes de l’écologie tricolore précisait sans rire que : « ce comité est une première ». En effet, ce think tank d’affairistes présidé par le PDG de Michelin « aura pour mission d’accompagner et de stimuler les réflexions du ministère pour la mise en œuvre de l’ensemble des mesures du Plan climat (1). » Plus concrètement, il aura la lourde charge d’établir des plans sur la comète pour atteindre la « neutralité carbone » à l’horizon 2050… Autant dire que, dans cette redistribution des rôles, les ONG naturalistes et environnementalistes, n’auront plus voix au chapitre. Le bon vieux temps des négociations est fini. Mises sur la touche avec ce comité, interlocuteur privilégié du ministre, les associations  ne pourront que constater qu’au plus mauvais moment survient le recul le plus massif du droit environnemental en France ; si tant est qu’il y ait eu un jour quelques avancées en ce domaine.

Du point de vue de la politique politicienne, « l’inédit » confine à la provocation. Avec cette coterie de patrons en préretraite formant le comité « Accélérateur de la Transition Ecologique » il y a de toute évidence du copinage ; Hulot renvoie l’ascenseur à quelques-uns de ses amis du CAC 40. On a du mal à imaginer que des multimillionnaires se voient offrir des sinécures au frais des contribuables. Dans tous les cas, avant l’avènement de la République En Marche, il y aurait eu de quoi instruire un Hulot-gate du type Pénélope-gate puissance dix pour détournement de fonds publiques, emplois fictifs, trafic d’influence. Mais cette fois tout est officiel et parfaitement légal ; dans la classe politique la Droite ne peut qu’applaudir.

Par ce geste « inédit » Hulot clôt un cycle ;  on peut dire : après lui le chaos… Le CAC 40 forme désormais l’éminence grise et le fer de lance de l’écologie en France.

Au-delà du cas Hulot et de son ascension comme icône écolo des Français, il faut faire le constat historique que son arrivée au ministère symbolise au mieux l’effondrement de l’écologie politique en France.

Face à l’accélération du chantier de démolition confié au patronat français par La République en Marche, quelques interrogations et réflexions s’imposent pour au moins ouvrir les yeux et percevoir ce que l’on est en train de voir.

Comment un produit marketing de radio-propagande d’Etat (TF1) a pu devenir l’icône écolo des Français et incarner à lui seul la conscience écologique d’une nation pour accéder au pouvoir et régaler ses copains du CAC 40 ?

 

Le crépuscule d’une icône écolo

Les fidèles et inconditionnels de Nicolas Hulot, ne veulent pas voir l’évidence : le vrai visage affairiste de leur icône. Ils constatent avec complaisance que la tâche est difficile et pensent en conséquence que leur héros écolo fait tout son possible à son poste pour limiter la casse. Car, en effet, comme tout le monde, ils ne peuvent que constater qu’avec « La République en marche » il y a bien casse environnementale au pas de charge.

D’autres formations ou personnes de sensibilité écologique plus affirmée s’inquiètent des reculs spectaculaires et, désemparés, espèrent que Nicolas Hulot finira par donner sa démission pour symboliquement marquer sa réprobation, affirmer la gravité de la situation environnementale en France et ainsi sauver son image d’écologiste bien aimé des Français.

Bien évidemment, à l’autre bout de l’échiquier,  il n’en va pas de même du groupe des « décroissants » et du journal « La Décroissance » qui ont depuis le début démasqué « l’écotartufe » et n’ont plus cessé de dénoncer la grossière imposture médiatique de « l’hélicologiste ». Pour eux, Hulot, relève de l’éco-business et n’a jamais rien eu à voir avec l’écologie. Aujourd’hui ils peuvent faire le triste constat que depuis le début ils avaient raison. Et ils ne sont pas les seuls à faire la même lecture du cas Hulot. Le site Anti-K du NPA dresse un portrait peu reluisant de notre animateur vedette. Dans un épais dossier réalisé fin 2017, il révèle par le menu l’affairisme sans vergogne de l’entreprise Hulot-Ushuaia qui, avec une voracité insatiable, n’a fait qu’exploiter le filon écolo à son profit ou pour verdir ses nombreux amis du CAC 40 (2). En conséquence de quoi, pour les anticapitalistes, il n’y a rien à espérer du cupide businessman perché au ministère de la « transition écologique et solidaire ». Tout est faux chez Hulot, sauf le business à tous crins. En acceptant de voir ce que l’on voit, ses accointances avec le Capital, il faut désormais considérer que pour les besoins de sa carrière et camper son personnage, l’animateur vedette et ses designers ont mis un point d’honneur à le faire passer pour un doux rêveur attardé dans l’enfance. Dans ce rôle de naïf amoureux de la nature force est de constater qu’il a pu tromper son monde bien au-delà des téléspectateurs et les membres de son fan-club…

Cependant, l’analyse politique révèle facilement l’imposture du produit marketing issu de TF1 ou radio-propagande d’Etat. Dès que la catastrophe environnementale est mise directement en relation avec sa cause et sa logique -la civilisation industrielle et l’esprit du capitalisme-, elle devient parfaitement compréhensible dans son aggravation rapide et toutes les interrogations sur les faits et gestes de l’icône écolo tricolore deviennent instantanément caduques.

 

L’Hulotscope de Reporterre comme révélateur des erreurs

Entre les deux analyses extrêmes se situe le site Reporterre.  En toute objectivité  journalistique, il propose un « Hulotscope (3) ». Ainsi on dispose d’une sorte de bilan d’étape où l’on découvre sans surprise que l’action de l’hélicologiste médiatique est au deux-tiers nuisible à la nature. Selon les données précise du site, avec le « Bilan au 7 juillet 2018 : 68 % des mesures prises depuis un an concernant l’environnement ne vont pas dans le bon sens, 32 % vont dans le bon sens. C’est un léger mieux par rapport au relevé du 19 juin, où les proportions étaient respectivement de 69 % et 31 %. »

Pour Reporterre, il y aurait donc quelques 32% de mesures favorables à l’environnement. Le bilan n’est pas tout à fait noir. L’écologiste devenu ministre agit à son poste et décroche malgré tout quelques avancées.

Cependant, il faut encore une fois constater que le saint souci d’objectivité journalistique a encore fait son œuvre sournoise de désinformation.

Le bilan réel est bien plus noir que ne le laisse croire l’étude apparemment exhaustive de Reporterre car les décisions ou mesures prises ou avalisées par le ministère ne sont pas pondérées par leur gravité environnementale immédiate. Une mesurette sans grande portée ou une promesse facilement renvoyée aux calendes grecques pèse le même poids qu’une mesure concrète lourde de conséquence et immédiatement dévastatrice pour l’environnement.

Ainsi dans le mode de comptabilité du journaliste la désastreuse « Autorisation d’une autoroute en Eure-et-Loir » ne pèse pas plus lourd que le démagogique « Appel à « projets pour la planète » ». Chaque année, on le sait, l’Etat-providence des transnationales en France est dans l’obligation d’offrir au BTP quelques 700 km² du territoire national à bétonner ou bitumer ; pour ne rien arranger, le projet de loi Elan de 2018 s’annonçait d’emblée dans son esprit comme un blanc-seing pour intensifier la prédation sur les paysages. Personne n’a été dupe, La République du CAC 40 En Marche avait bien l’intention de saborder la « Loi Littorale » de 1986. Si depuis trente ans, tout le monde -même la FNSEA- se demande quand cessera ce jeu de massacre sur les territoires ; on est désormais au clair avec l’icône écolo au ministère…

La criminelle « Autorisation de la « bioraffinerie » de Total » ou la « Relance du projet Europacity » se trouvent équilibrer des mandarines « bio » dans les cantines ou la suppression d’un colorant dans l’alimentation. Nul n’ignore pourtant les conséquences déjà désastreuses des biocarburants en général (4) et de l’huile de palme en particulier, future matière première de la raffinerie Total (5).

Et, toujours dans la comptabilité de Reporterre, le scandaleux « Soutien au projet minier de la Montagne d’or en Guyane » se retrouve  neutralisé par un fumeux  « Appel à projets sur la biodiversité outre-mer »…

Passons sur le nucléaire, les pesticides et la pollution cancérigène… On laisse le lecteur découvrir lui-même sur le site Reporterre les effets délétères sur l’information de la sacro-sainte objectivité journalistique.

Au-delà de cette critique du mode de pensée journalistique, notre dernière mise en opposition pour la Guyane -d’une mesurette de greenwashing avec une mesure désastreuse- donne l’image de ce qu’est en réalité la politique environnementale d’un Etat-providence des transnationales comme la France. D’un côté des consortiums miniers ou pétroliers sont autorisés à  ravager la biodiversité en forêt tropicale ou dans les eaux territoriales et de l’autre une bureaucratie de scientifiques payés avec l’argent des contribuables pourra multiplier à loisir les rapports (y compris alarmants) sur la même « biodiversité outre-mer ».

Y-a-t-il eu un âge d’or du droit environnemental ?

Au moment où tout fout le camp avec le héros-écolo tricolore au ministère dans le rôle de chef de gang du CAC 40 pour la mise à sac du territoire, se pose la question de savoir s’il y a bien eu en France un « âge d’or du droit environnemental ». Fort probablement : il fut un temps, bref il est vrai, où une loi de protection de la nature avait force de loi et ne demeurait pas lettre morte ou ornement en éco-blanchiment dans les textes de loi. Mais aussi forcement, puisqu’aujourd’hui on ne peut que constater l’inexorable aggravation de la situation environnementale à toutes les échelles malgré la profusion des dispositifs juridiques censés protéger les espaces naturels et les espèces sauvages.

Ce temps est révolu. Si dans l’espace médiatico-politique les autorités sont sans cesse dans les surenchères de bonnes intentions pour la planète et la biodiversité, dans le concret du monde vivant on est déjà au crépuscule du droit environnemental. Il existe des textes de loi qui ne protègent plus rien ni personne et, pour tromper son monde, le Législateur  continue d’en produire… Les Etats lancent des « Appels à projets pour la biodiversité ou la Planète » mais dans le même temps déroulent le tapis rouge pour les transnationales minières et pétrolières.

Comme on l’a vu en 2018 en France, à Bure ou Notre-Dame-des-Lande, l’icône écolo est soudain monté en grade dans la hiérarchie militaire. De manière caricaturale et inquiétante à Notre-Dame-des-Landes, juste avant le coup de force de La République en Marche, Nicolas Hulot n’a pas eu de problème à revêtir le costume d’agent de l’ordre pour lancer l’ultimatum « ne pas confondre écologie et anarchie ».

Ainsi pour ses basses besognes, l’Etat-providence du CAC 40 s’offre les services d’une icône écolo. Avant ses coups de forces brutaux et sanglants contre les opposants aux Grands Projets Inutiles Imposés (GPII), le ministre de l’écologie en première ligne lance en substance la formule consacrée : « rendez-vous, vous êtes cernés ! »… du jamais vu dans l’histoire de la 5e République. Dans un article récent, « Armes chimiques, parlons-en ! », on a montré avec quelle violence l’Etat policier pouvait transgresser les droits élémentaires de l’homme pour écraser les paysans et défenseurs de l’environnement (6). Lorsque la figure emblématique et médiatique de l’écologie tricolore accepte de patronner ce type d’attaque chimique au gaz de combat sur des défenseurs du bocage et de l’environnement, on mesure l’état de déliquescence de l’écologie institutionnelle en France.

Dans le même ordre d’idée des mesurettes de greenwashing -pour la bonne conscience du gouvernement couvrant une aggravation générale de la situation- on peut constater qu’au moment où les industriels lancent l’offensive de nouveaux enfermements par milliers de vaches, cochons dans des méthaniseurs et autres systèmes d’élevages carcéraux avec l’aval de l’Etat, les parlementaires décident d’inscrire dans le code civil une reconnaissance de l’animal comme « être sensible ». Aucune association naturaliste ou de défense de la cause animale n’a été dupe de la portée infiniment vague de la mesure…

Bien évidemment face à l’horreur industrielle désormais spectaculaire, le Législateur légifère. Mais, en définitive, il ne fait que recouvrir d’un voile pudique une entreprise économique foncièrement criminelle dans sa logique. Avec les multiples scandales de l’industrie agro-alimentaire qui défraient la chronique depuis la crise de la vache folle jusqu’aux conditions épouvantables d’élevage et d’abatage des animaux le Législateur se retrouve contraint de suivre l’éveil d’une conscience collective aiguë de  la cruauté sans borne organisée dans les élevages et à inscrire dans la loi une symbolique prise en compte de la réalité souffrante du monde animal.

Cependant dans les faits, il faut encore une fois constater avec quelle légèreté le gouvernement En Marche, par son « premier de cordée » s’est empressé de piétiner ces modestes avancées en s’improvisant au pied levé Père Noël des chasseurs au nez et à la barbe de toute les associations naturalistes atterrées et humiliées. Là encore, il est intéressant de noter que dans son rôle de Père fouettard de la faune sauvage le Président « En Marche » a voulu préserver l’image écolo de son ministre. On sait en effet que depuis Bachelot la distribution généreuse des cadeaux aux chasseurs est  l’affaire traditionnelle du ministère de l’écologie. Borloo et Royale n’ont pas dérogé à la règle… Ainsi, avec l’inscription en 2015 d’une « sensibilité animale » dans le code civil, on n’en reste à la lettre morte ou à l’ornement législatif d’éco-blanchiment.

S’il y a eu historiquement un âge d’or du droit environnemental, il fut de courte durée. Une décennie tout au plus durant les années 1970, car très vite la puissance de frappe des transnationales surpassa le pouvoir des éphémères Etats-providence de l’environnement.

On l’a peut-être oublié et l’actualité de la crise environnementale peut être pour certains trompeuse. Si aujourd’hui les scientifiques communiquent massivement sur la menace climatique et l’accélération de la sixième extinction des espèces, la conscience précise de la crise environnementale date des années soixante. Durant les années 1960-1970, le capitalisme pris en flagrant délit d’écocide et décontenancé était aux prises avec la première vague de conscience et contestation écologique. Depuis, on assiste à sa contre-offensive.

 

Le mirage de l’Age d’Or

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