Je suis allé sur les Champs samedi soir

Le Figaro annonçait qu’on n’avait pas vu de barricades depuis 68 dans Paris.

Castaner disait que l’ultradroite était à la manoeuvre, j’ai voulu m’en rendre compte par moi-même, ce n’est après tout qu’à une poignée de stations de chez moi.

Je suis descendu au métro Ternes vers 17h30 (la station Etoile étant, et pour cause, « fermée au public ») pour suivre les Champs par le nord et finir à Saint-Lazare vers 20h. C’est l’heure où les poussettes et les dames aux cheveux blancs ont quitté la manifestation et où restent les derniers irréductibles, ceux qui veulent y passer la nuit. Et il faisait déjà nuit.

Dès les quais de la station, je suis accueilli par cette si reconnaissable odeur de lacrymo. En fait, je l’avais déjà repérée dès celle d’avant lorsque les portes s’étaient ouvertes… C’est dire combien la Ville a été copieusement arrosée…

De là, je suis remonté vers l’Etoile croisant quelques gilets jaunes qui s’en allaient, ils avaient un train à prendre, je leur ai indiqué la station de métro. Arrivant en vue de la place, deux détonations se font entendre, précédant de peu le gaz poivré qui irrite la gorge et fait pleurer les yeux. Je prends une rue de traverse, commençant de cette façon ce périple entre manifestants et forces dites de l’ordre. Entre les Champs totalement gazées, enfumées, criblées de barricades abandonnées, de jardinières de restaurant calcinées, et les arrières où ont lieu des « affrontements ».

J’ai ainsi effectivement vu des barricades, des dizaines de barricades. La plupart faites de ces barrières vertes posées sur leurs plots de béton qui protègent habituellement les chantiers. Quand ce n’est avec une cabane de chantier. Du feu pour agrémenter certaines. Avec tout ce qui traine à portée de main, bois, sacs poubelle, poubelles, scooter et trottinette en libre-service. La plupart du temps, des gilets jaunes se tiennent, à proximité, en petits groupes épars. Des individus que, dans leur grande majorité, je n’aurais pas été surpris de croiser dans un cortège syndical.

La plus belle d’entre elles est au carrefour Lord Byron-Washington, à proximité d’un immeuble en rénovation. Elle barre la rue, elle s’élève sur près d’un mètre cinquante, constituée des matériaux de chantier, dont une énorme poutrelle IPN tirée jusque-là et barrant toute la chaussée. Mais étrangement, personne, pas un gilet jaune pour la défendre, pas un flic pour la reprendre, superbement ignorée, sauf par les badauds qui en font des photos.

En allant de ci, de là, j’échange avec quelques manifestants qui me parlent spontanément, sans chercher à savoir qui je suis, d’où je viens, visiblement heureux qu’on s’intéresse tout simplement à eux. Un intérimaire de Picardie, un agent d’Air France, un chef d’entreprise, une femme de 45 ans environ vivant à Paris dans une chambre de bonne de 9m2, et d’autres qui ne sont pas présentés…

J’ai perçu beaucoup de ressentiment. Les syndicats ne s’occupent pas de nous, ils prennent les ordres d’en haut, et en haut « il y a de la connivence ». Un proche de la mitterrandie a brisé ma carrière. Honnis soient les anciens chefs de 68, eux qui ont viré leur cuti. Novembre 18, ce n’est pas pareil, là, c’est le peuple qui parle. BFM est conspuée, aux ordres du pouvoir, qu’ils suivent pourtant avec leur portable, pour mieux voir la différence entre ce que dit la chaine et ce qu’ils vivent.

J’ai entendu le capitalisme désigné comme coupable, vu un regard s’enflammer en évoquant les zadistes de Notre-Dame-Des-Landes… mais entendu aussi plus loin que la solution, c’est Marine, complétée par un « il faut fermer la porte aux immigrés ». À cause du chômage qu’ils n’arrivent pas à diminuer. Mais lorsque je fais valoir que personne ne cherche à faire baisser le chômage, qu’au contraire celui-ci permet de réduire les gens au silence, j’« entends » un blanc plein de surprise, ils n’avaient pas envisagé les choses sous cet aspect. Pour ceux-là, c’est Macron qui a le pouvoir, tous les pouvoirs.

A Saint-Philippe-du-Roule, il y a un point de fixation. Du feu sur la place, la rue La Boétie, côté Champs-Élysées, barrée, et les CRS au bout. Les gilets jaunes bougent en plusieurs groupes mobiles. Au même moment, la messe se donne à l’intérieur de l’Église, et près de là, les lieux d’opulence se pavanent dans leur vitrine, magasins, hôtels et restaurants de luxe. Un adolescent affalé dans un sofa rigole en regardant son smartphone, un gardien en gilet orange fait son tour de garde dans le hall d’accueil toutes lumières allumées d’un quelconque siège d’entreprise, pendant que des gilets jaunes passent dans la rue. Sans un échange entre eux, sans un regard, les deux mondes s’ignorant avec superbe.

Une femme seule sur le trottoir éclate presqu’en sanglots en criant de toutes ses forces : « je gagne 1500€ et ils nous prennent pour des casseurs ! ».

Quelques cars blancs s’installent sur le côté de l’église, pour permettre aux CRS de prendre les manifestants à revers. Ces derniers traitent les premiers de fachos, amabilité immédiatement remerciée par une lacrymo, tandis que d’autres discutent avec ceux restés à l’arrière essayant de les convertir à leur cause, et de se séparer sur un « bon courage » (et je ne pense avoir été assez naïf pour les confondre avec des flics en civil en mission d’infiltration). C’est qu’« ils font leur métier », ai-je encore entendu ailleurs, avec tout le respect qui se doit à celui qui fait son métier. Tout comme les pompiers que l’on laisse éteindre les feux…

Bizarrement, la rue La Boétie, de l’autre côté, côté Miromesnil, est éteinte, pas d’éclairage public, toujours déroutant à Paris. La circulation automobile n’est pas fermée, elle se faufile entre les restes de barricade, pour finir en cul de sac sur les véhicules de police. Quelques instants plus tard, un convoi d’une vingtaine de véhicules de la BAC arrive toutes sirènes hurlantes. Preuves l’une comme l’autre que la maréchaussée est dépassée.

Pour finir, je remonte le Faubourg Saint Honoré pour échouer sur un barrage de CRS. Un vrai, un de ceux que l’on ne passe pas. Il me faudra donc contourner les lieux de pouvoirs, bien protégés à chaque axe pouvant y conduire par plusieurs dizaines de CRS. La symbolique se suffit à elle-même. Je finis mon circuit sur le boulevard Malesherbes où je vois arriver les véhicules verts de la Propreté de Paris prêts à entrer en action, comme à chaque manifestation, le ballet parfaitement réglé. Mais contrairement à ce qui se fait d’ordinaire, ils sont précédés d’une tractopelle jaune… il faudra bien repousser l’IPN…

20h30, retour à La Chapelle où je retrouve d’autres pauvres essayant de fourguer à encore d’autres pauvres leurs Malboro de contrebande. Le quotidien…

Hervé

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Autre commentaire

même échos qu’Hervé dans le Lyonnais, témoignages directs : des travailleurs plutôt pauvres, « style CGT » mais plutôt pas habitués des manifs, donc pas coordonnés, un peu fouillis, assez au fait des enjeux climat dans le fond (critique de la voiture électrique qui pollue aussi

etc.), mais un peu secs sur les solutions concrètes ; un ras le bol général plus qu’envers la taxe carbone à proprement parler

sur Là-bas si j’y suis un gilet jaune au hasard a voté FN tout en regrettant de ne pas avoir voté Mélenchon, « après tout », « mais Mélenchon ça faisait réchauffé », la théorie du coup de pied dans la fourmilière.

Là bas si j’y suis bon reportage avec un titre inutilement provoc (les élites parlent de la fin du monde, on parle de la fin du mois)

« on n’est plus représenté », « les inégalités » « ou plus exactement les injustices », « on veut des gens simples qui font vivre le pays, qui paient des impôts » « c’est une ancienne noblesse, on se croirait en 1789 » « la noblesse au-dessus des lois » ; des références républicaines (la Marseillaise, « on est chez nous » qui veut aussi dire Macron tu n’es pas chez toi) pouvant tendre vers une politique de limitation de l’immigration mais sans vouloir un régime anti démocratique comme ce sera le cas avec le FN (dont les promesses sociales sont de l’arnaque mais l’arnaque fonctionne en partie), affrontement avec la police après avoir essayé de les retourner (« vous êtes avec nous »)

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Quand les paysans s’énervent

https://www.lepopulaire.fr/limoges/social/2018/11/26/action-coup-de-poing-

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Les gilets jaunes et le pic pétrolier

Contrairement à ce que l’on peut entendre à longueur de journées dans les médias et ailleurs, la taxe sur le diesel n’a rien à voir avec une taxation écologique, avec la lutte contre le changement climatique. Elle est effectivement socialement très injuste. La production de fioul et de diesel stagne, voire baisse, en raison de la qualité du pétrole à raffiner. C’est pourquoi est soudainement apparue « l’urgence de se débarrasser du diesel qui a récemment ébranlé les chancelleries européennes : elles se cachent derrière de véritables problèmes environnementaux (…) pour essayer de s’adapter rapidement à une situation de pénurie. »

Le gouvernement veut donner l’impression qu’il est volontariste par rapport à l’enjeu climatique alors qu’il subit une évolution qu’il a été incapable d’envisager. Nous sommes en présence d’un phénomène de ressource. Il faut donc décourager l’utilisation du diesel par les particuliers de manière à ce que les professionnels (du transport de marchandises, des travaux publics, de l’agriculture…) puissent être prioritaires dans l’utilisation de ce carburant. Idem pour le chauffage au fuel qui sera condamné non pour des raisons de pollution, mais à cause de l’insuffisance de l’approvisionnement. Le virage à 180° pris par le gouvernement au sujet des chaudières au fioul ne provient pas d’une prise de conscience de l’enjeu climatique, mais de la crainte d’une pénurie.

La transition écologique est en fait une tentative d’adaptation à la baisse des ressources. Le pétrole disponible pour les pays de l’OCDE a diminué de 15 % [entre 2005 et 2010] car « les pays exportateurs de pétrole du Moyen-Orient conservent une plus grande part de leur pétrole pour la consommation intérieure alors que les pays asiatiques augmentent considérablement leurs importations. »

La fête n’est pas finie pour tout le monde mais pour une partie toujours plus importante de la population. C’est cette dernière qui manifeste affublée d’un gilet jaune, symbole tout à fait adaptée à la situation : il est en principe porté par les automobilistes en panne ou accidentés qui se retrouvent en danger au bord de la route.

Ce n’est qu’accessoirement une question de mobilité que soulèvent en réalité les Français de la périphérie. La question de fond a trait à l’intégration sociale et au servage que nous avions cru définitivement éradiqué sous nos latitudes. L’abondance énergétique a engendré un apaisement des tensions sociales. Depuis 70 ans, nous avons disposé d’énormément d’énergie, et de bonne qualité, pour faire fonctionner l’ascenseur social. Malheureusement, la fin de cette abondance va transformer la lutte des classes en guerre des classes ou bien en soumission.

Ceux qui depuis les classes supérieures et/ou les grandes métropoles regardent les gilets jaunes avec condescendance ne savent pas encore qu’ils ont sous leur yeux leur propre avenir et celui de leurs enfants. Car après le diesel et le fioul, viendra le tour des autres combustibles fossiles.

Philippe Lalik

https://yonnelautre.fr

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Les gilets jaunes et les « leçons de l’histoire »

Dans une tribune publiée par le journal Le Monde (20/11/2018), le sociologue Pierre Merle écrit que « le mouvement des « gilets jaunes » rappelle les jacqueries de l’Ancien Régime et des périodes révolutionnaires ». Et il s’interroge: « Les leçons de l’histoire peuvent-elles encore être comprises ? »

Je suis convaincu, moi aussi, qu’une mise en perspective historique de ce mouvement social peut nous aider à le comprendre. C’est la raison pour laquelle le terme de « jacquerie » (utilisé par d’autres commentateurs et notamment par Eric Zemmour, l’historien du Figaro récemment adoubé par France Culture dans l’émission d’Alain Finkielkraut qui illustre parfaitement le titre de son livre sur « la défaite de la pensée ») ne me paraît pas pertinent.

La suite :

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2018/11/24/les-gilets-

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Qui sont et que veulent les “gilets jaunes” en milieu rural ?

https://www.lautrequotidien.fr/articles/2018/11/26/qui-sont-et-q