Guide pour les paresseux qui veulent sauver la planète

Un titre que l’ONU propose sur son site web depuis de nombreuses années.

Cela a inspiré un article sur partage-le.com

 « Quand les enfants me demandent pourquoi la mer est-elle salée ? Je suis obligé de répondre parce que les poissons ont trop pleuré. » Maître GIMS

« Changer le monde ? Quelle drôle d’idée, il est très bien comme ça le monde. Pourquoi le changer ? » — Hubert Bonisseur de la Bath / OSS 117

Dimanche 3 mars 2019

Ce dimanche matin, en me levant, j’ai ressenti une envie pressante de changer le monde. Pas une journée ne passe sans qu’on entende parler de fonte des glaces, de réchauffement climatique, d’érosion des sols, d’acidification des espèces… je m’embrouille mais en tout cas, tous les jours, on sait un peu plus que la veille que le château brûle, et on ne fait rien. Je ne veux plus de cette passivité. Je veux arrêter avec cette sidération qui m’empêche d’avancer. Je veux et je vais faire quelque chose. Changer le monde, ça commence par se changer soi-même. C’est ce qu’ils disent tous. J’ai vraiment l’impression que tout le monde se conscientise en ce moment. Les chanteurs chantent à propos du changement climatique, les youtubeurs font des vidéos sur la surchauffe des serveurs, les stars de l’industrie du cinéma agissent en se mobilisant pour qu’on se mobilise : bref, je sens bien qu’il y a un sursaut collectif, et je veux en être.

Bien sûr, comme tout le monde, je me sens démuni devant l’ampleur de la tâche à accomplir. Et que fait un jeune trentenaire lorsqu’il ignore quelque chose ? Je vous le donne en mille : j’allume mon ordinateur. Après quelques recherches sur Internet, je suis tombé sur une vidéo pleine de bon sens d’un certain Julien Vidal, qui a su trouver les mots pour m’accompagner. J’avais besoin de ce genre de discours : je ne vais pas très bien en ce moment (je ne vais pas très bien depuis toujours, en fait…), et je ne souhaite pas que l’on me culpabilise davantage. Sa manière de présenter les choses, de les dire tranquillement, m’a directement touché. Il a raison : il faut rompre avec l’écologie punitive pour aller vers une écologie bienveillante, mettre fin à tous ces antagonismes, et se retrouver, tous ensemble, pour aller vers un monde meilleur. Pas à pas, j’ai donc suivi ses conseils.

La première chose que je fais le matin, c’est me laver les dents. Ça tombe bien : la vidéo conseille de faire son propre dentifrice. Ni une ni deux, me voilà sur un site web pour acheter du bicarbonate de soude, de l’argile, de l’huile de coco, et tout ce qui faut pour en faire soi-même, tout seul, en complète indépendance du système capitaliste et consumériste. En plus, ça n’a pas l’air difficile. Et c’est pas si cher que ça. La livraison est programmée pour demain. Ça me pose un petit problème, puisque je travaille à l’usine jusqu’à 18 heures, que je ne pourrai pas réceptionner la commande, et qu’en plus, je ne connais personne dans mon HLM qui pourra le faire à ma place, mais peu importe. Je ne vais pas renoncer à cause d’un détail aussi trivial, j’irai chercher le colis à la poste samedi matin, et puis voilà.

Satisfait, je me suis dirigé vers la cuisine pour avaler un café. Au moment de me servir, j’ai pensé à Julien qui dit qu’il faut manger bio, de saison, et soutenir le commerce équitable. Le problème, c’est que mon café pousse à l’autre bout du monde, et n’est ni biologique ni issu du commerce équitable. On parle plutôt du café soluble de base. Vu la quantité colossale de café — et surtout, vu les prix du café bio — que j’ingurgite tous les jours pour simplement ne pas m’écrouler quand je rentre du boulot, il faudrait que je souscrive à un crédit pour continuer à en consommer. Je devrais peut-être arrêter, tout bêtement. Le problème, c’est que le café, j’adore ça. Bref, je ne vais pas me faire des nœuds dans le crâne à cause de ça, chaque chose en son temps. Le monde ne va pas s’arrêter de changer parce que j’aurais bu un café soluble. Que disait la vidéo, ensuite ? « Installer un moteur de recherche écocitoyen ». C’est ce que j’ai fait. Il faudrait être idiot pour ne pas en trouver un en 2018. J’ai même eu le choix : j’en ai pris un qui plante des arbres à chaque fois que je fais une recherche. Je ne sais pas très bien comment ça fonctionne, ni même où ils plantent des arbres, ni quels arbres ils plantent, ni comment, mais je leur fais confiance. Il fonctionne plutôt pas mal, même s’il y a quelques sites qu’il a tendance à ne pas référencer. Pas grave, au pire, je les mettrai dans mes favoris. Tant que je peux continuer à surfer sur le net… J’avais franchement peur que changer le monde implique de devoir renoncer à internet.

Heureusement que Leclerc est là pour nous aider à sauver le monde. Grâce à cette entreprise, je peux un peu plus facilement appliquer les conseils du programme « Ça commence par moi », en mangeant bio.

Lundi 4 mars 2019

Aujourd’hui, il s’agit de ma première « journée full végétarienne ». Ça, c’est un vrai challenge pour moi. J’y ai déjà pensé plein de fois, après avoir vu les vidéos que des associations réussissent à faire dans différents abattoirs, mais je n’y suis jamais parvenu. J’ai été élevé dans un milieu dans lequel on mangeait de la viande quasiment à chaque repas : rillettes le midi, ou charcuterie ; steak haché le soir, ou simplement raviolis en boite… Bref, de la viande, il y en a toujours eu dans mon assiette. J’ai fouillé dans mes placards pour voir ce que je pouvais trouver, mais je n’y ai rien trouvé de bien convaincant. Des pâtes, du riz, des féculents, en somme … Je ne sais pas si manger des pâtes correspond à une « journée full végétarienne ». Si c’est le cas, ça m’arrive super souvent de faire des « journées full végétariennes ». Sauf que ce n’est pas vraiment un plaisir, et que je n’ai pas l’air aussi en forme que Julien. Je décide alors de faire un saut au supermarché pendant la pause de midi, il y a un rayon entier consacré aux produits bio, où j’achète une salade emballée dans un genre de plastique fait avec du maïs. Ce n’est pas de la mauvaise volonté, mais je n’avais pas de quoi la faire moi-même et pas le temps d’aller faire des courses avant de partir au travail.

La bonne nouvelle, c’est que j’ai eu de la chance pour ma livraison. Le livreur est arrivé pile au moment où je mettais la clé dans la porte de chez moi après être rentré du boulot. J’ai senti mon portable vibrer et le livreur m’a dit qu’il m’attendait en bas, devant la grille. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui faire une remarque, pendant que je signais le reçu, sur le fait qu’il avait laissé le moteur tourner et qu’un nuage épais à couper au couteau sortait de son pot d’échappement ; mais il n’a pas relevé. Ça m’agace de constater qu’on n’a clairement pas tous la même volonté de changer le monde.

Mercredi 6 mars 2019

Mon geste pour la planète, aujourd’hui, c’est d’aller au travail à vélo. Ma boîte est dans la banlieue de la ville où j’habite, j’ai calculé avec Google Maps que je devrais mettre une heure à m’y rendre : c’est trente minutes de plus que ce que je mets en bus, mais si c’est bon pour la planète, alors c’est bon pour moi. Et puis un peu de sport ne pourra pas me nuire, j’ai arrêté le basket depuis que je travaille à l’usine. Il faudra que je pense à trouver une alternative à Google Maps, au passage.

Ça faisait un petit moment que je n’avais pas roulé en ville avec un vélo, et je me suis brutalement rappelé pourquoi : j’ai failli passer sous les roues de deux voitures différentes, et je suis rentré dans la porte d’une voiture stationnée sur la piste cyclable. Le choc n’a pas été très violent, mais j’ai été obligé de m’asseoir une dizaine de minutes sur le trottoir pour reprendre mes esprits : plus de peur que de mal, mais j’ai quand même eu peur.

Et évidemment, je suis arrivé en retard au boulot. Mon chef d’équipe m’a joyeusement engueulé devant toute la chaîne de montage, et j’ai passé la journée à devoir expliquer à mes collègues la raison qui m’a subitement poussé à venir au boulot en vélo. L’un d’eux m’a conseillé d’acheter une voiture pour être totalement autonome. C’est ce qu’il a fait lui, il y a six mois, et c’est précisément pour ça qu’il continue à venir travailler ici : il doit rembourser le crédit. J’ai essayé de l’amener à déduire tout seul que c’était con : qu’il venait bosser, donc se faire du mal, pour payer un truc inutile qui lui permettait seulement de venir bosser, mais la dissonance cognitive était trop forte. Ça m’a mis en colère, contre lui d’une part, et contre moi, ensuite : je me suis senti totalement impuissant. À quoi bon désespérément empiler les petits gestes quotidiens pour sauver le monde si des types comme lui continuent à n’en avoir rien à secouer ?

Samedi 9 mars 2019

Mon dentifrice a une odeur dégueulasse, j’ai dû oublier un ingrédient dans la préparation, quoi qu’il en soit il est inutilisable. Je vais être obligé d’utiliser mon dentifrice pas-fait-maison. Ça commence à me faire doucement chier, l’écologie déculpabilisante. Le week-end commence plutôt mal. D’autant que pour respecter la semaine-type que conseille Julien, ce soir, je dois trouver « un bar branché », or je n’ai aucune idée de l’endroit où je pourrais bien aller. D’ailleurs, je me dis que c’est une drôle de conception de l’écologie d’aller boire du thé vert au milieu de cadres sups qui parlent de leurs jobs respectifs le samedi soir. Mon père était sûrement moins écolo que Julien, mais le samedi soir, je me souviens qu’il en profitait pour aller s’asseoir sur un banc au-dessus de la vallée pour profiter du calme en fumant ses Gitanes, et regarder les étoiles. Mais je digresse. J’ai consulté mon compte bancaire, et comme je n’ai pas encore reçu ma paye, je crois que ça va être compliqué d’aller « dans un bar branché ». Je vais plutôt garder mes bonnes vieilles habitudes et aller jouer à FIFA avec les copains. Au pire, ce que je peux faire, c’est ne pas toucher aux chips qu’ils auront achetées. Faute de grives on mange des merles. Ou on ne mange pas du tout. C’est drôle de se dire qu’on peut changer le monde en refusant de manger quelque chose de spécifique, au passage. Je me dis que ça ferait certainement rire jaune ceux qui souffrent de la famine.

Dimanche 10 mars 2019

Pour être écolo, je n’ai rien regardé sur Netflix aujourd’hui, comme le conseillait Julien, mais c’était facile pour moi, je ne suis pas abonné : je pirate les séries grâce au peer-to-peer. J’ai regardé un documentaire dans lequel un acteur richissime se rendait aux quatre coins du monde pour aller voir des populations souffrant des désastres climatique, ou pour filmer des endroits directement touchés par le réchauffement. Les images étaient très belles, mais je ça m’a quand même énervé de voir ce type me faire la morale dans son hélicoptère. Pour me calmer, je devrais peut-être me mettre au yoga, faire la paix avec moi-même, mais je ne suis pas sûr qu’on donne des cours près de chez moi, et puis je ne crois pas pouvoir m’en payer, et de toute façon, aucune chance pour que leurs horaires collent à mes journées de travail.

Par contre, toute la semaine, chaque matin, je pense à faire pipi sous la douche, comme le conseille Julien. Le problème, c’est que j’urine au moins 6 fois par jour, peut-être à cause de tout ce café que je bois. Je me demande vraiment si ça fait une différence, mon pipi du matin sous la douche. Je pourrais essayer de me retenir, mais je préfère ne pas tenter le diable, j’ai déjà fait des calculs rénaux et je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose d’essayer… comme quoi j’aurais une infection bactérienne chronique du système urinaire, ou quelque chose du genre : je ne m’en suis jamais occupé, pas les moyens. Il faudrait que j’écrive un mail à Julien pour lui demander s’il sait s’il y a des gens qui réussissent à ne faire pipi qu’une fois par jour.

J’ai aussi collé un « stop pub » sur ma boite aux lettres. D’ailleurs, croyez-le ou non, mais j’ai vu un type y mettre quand même des prospectus. Je l’ai interpellé de ma fenêtre, pour lui demander des explications, et il m’en a donné. Il m’a dit que ça le faisait chier ces interdictions, parce qu’il ne pouvait plus distribuer autant de prospectus qu’avant, et qu’il ne faisait pas ça pour le plaisir, mais parce qu’il n’arrivait pas à vivre sur son minimum vieillesse. Je lui ai répondu que ça n’était pas mon problème, que j’essayais de changer le monde et que si je m’arrêtais à ce genre de considérations, je n’étais pas prêt de le changer, le monde. Je n’aime pas qu’on essaye de me culpabiliser. Résultat : ma boîte aux lettres est pleine de prospectus. D’une chaîne de magasins quelconque qui essaye de me vendre ses produits cancérigènes à cette enseigne spécialisée dans le loisir, le multimédia et l’électroménager qui tente de me refourguer ses gadgets inutiles dont je n’ai pas besoin et que je ne peux de toute façon pas me payer, en passant par ce voyagiste qui me propose de partir au soleil cet été pour la modique somme d’un mois de salaire mensuel – afin de suivre des grappes de touristes entassés dans des bus dont l’activité principale sera de passer de la plage aux boutiques et des boutiques à la piscine, en multipliant les photos floues d’eux-mêmes afin de se mettre en scène une fois rentrés au bercail – il y en a pour tous les dégoûts. Je repense d’ailleurs à Julien qui parlait de sa semaine de vacances passée à faire de la voile sur les côtes bretonnes. Au même moment, je n’étais pas très loin de lui, puisque j’étais au camping municipal de Tredrez-Locquemeau… Géographiquement, nous étions proches, socio-culturellement, tout nous séparait. J’ai passé ma semaine à jouer à la pétanque, ramasser des gorgones, siroter des 1664 en regardant le soleil se coucher… J’adorerais sûrement faire du voilier, mais je ne me ferai pas l’offense de regarder les tarifs de ce genre d’activité.

Ce soir, il y a un Cash Investigation consacré à la déforestation en Amazonie. Je vais le regarder. Apparemment, le nouveau président brésilien a supprimé le ministère de l’Environnement du Brésil, et il est en train de faire construire une énorme autoroute pavée en plein milieu de la forêt. Une autoroute au milieu de la forêt. Quel genre de personnes peut bien se dire qu’il est malin de construire une autoroute au milieu de la forêt ? Ça m’inspire plusieurs questions, d’ailleurs… Qui sera responsable ? Ceux qui ont pensé qu’il s’agissait d’une idée brillante ? Ceux qui auront travaillé sur le projet ? Ceux qui l’emprunteront ? Je n’ai aucune réponse précise, tout ça, c’est bien trop complexe pour moi. Je ne constate qu’une chose : en entrant dans l’écocitoyenneté, je ne suis pas pour autant sorti de la merde. Je n’ai pas vraiment changé. Je n’ai pas non plus l’impression que le monde ait changé. J’ai même le sentiment que le monde est tellement complexe qu’il n’a même pas remarqué mon intention de le changer. Je n’ai aucune idée de l’empreinte carbone que je laisserai sur la terre, mais je commence à réaliser que si je veux vraiment faire quelque chose, ça ne passera pas par l’accumulation de ces petits gestes.

Peut-être qu’il va falloir se battre autrement. Au point où j’en suis, je n’ai plus grand-chose à perdre, et je pense que si un mouvement s’organisait dans ce sens-là, j’en serai. Après tout, j’ai bien essayé de changer le monde en faisant du dentifrice… Ce que tous les Julien Vidal du monde semblent ne pas saisir, et ce que je comprends amèrement, c’est que leur naïveté est proportionnelle au plaisir (et au cynisme) avec lequel le système industriel s’accommode de leur stratégie des petits pas. Lorsque quelque part en Suède un millier de personnes décident de prendre le vélo, au même moment, un navire de croisière – au hasard, le MSC Bellissima – de 315 mètres, pouvant accueillir 5 000 personnes, est mis en service. Dès que j’adopte le régime végétarien, un magnat de l’agro-alimentaire ouvre une ferme des mille vaches. Lorsqu’aux États-Unis des centaines de personnes se tournent vers le logiciel libre, en même temps, des dizaines de mines sont ouvertes en Asie afin d’extraire les matériaux nécessaires à la fabrication des composants des outils informatiques qu’ils utilisent. Quand je décide de faire moi-même mon déodorant (vraiment moi-même, en me procurant localement tout ce dont j’ai besoin, pas en commandant divers produits industriels sur Internet que je m’amuse ensuite à assembler pour prétendre que je suis autonome), une bande de psychopathes en costume-cravates décident d’aller forer le sol lunaire. Empiler les petites actions citoyennes n’est pas une forme de lutte. La lutte implique une opposition physique, un empêchement, une mise hors d’état de nuire de l’adversaire. « Nous ne consommons plus des oranges, mais de la vitalité ! » écrivait Aldous Huxley dans Retour au meilleur des mondes. Et tous les Julien Vidal du monde de s’écrier à sa suite : « Nous luttons contre les machines du système industriel non pas les armes à la main, mais avec de la bonne volonté et de la bienveillance ». Tout nous démontre que cela ne fonctionne pas. Le film Demain fêtera bientôt ses quatre ans, et rien n’a changé. Rectification : rien n’a changé en mieux. Tout a empiré. Tout empire sans cesse. Et voilà qu’ils produisent Après-Demain.

Je pense que je vais aller me faire un café.