Saillans, un village dont devrait s’inspirer Quiéry !

 Ce village de 1200 habitants dans la Drôme est le symbole de la démocratie participative malgré lui

Il faut souligner que l’actuel maire de Saillans « a fait le choix de ne pas être candidat à sa propre succession pour rester en cohérence avec un projet où il s’agissait d’abord de démythifier la fonction d’édile et de ne pas tomber dans les gestions personnalisées de nombre d’élus ».

On en est évidemment très loin avec la pratique de JL Leroux à Quiéry depuis 2001 !

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Avant de lire l’article de mediapart, lire, en pièce jointe, celui de Politis :

Saillans_travailler ensemble

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Dans cette commune de la Drôme, une liste citoyenne mène une expérience inédite entre « municipalisme » et « participalisme », depuis 2014. Sera-t-elle reconduite en mars ? Ou ces pratiques perfectibles seront-elles étouffées par les oppositions et la lassitude ? Reportage.

 Le dimanche, à Saillans, village en bordure de Drôme flanqué au nord par les retombées du Vercors et au sud par la majestueuse montagne des Trois Becs, c’est jour de marché. En cette mi-février, c’est aussi jour de campagne. Deux petits groupes, chacun posté à un bout de la grande rue, distribuent des tracts en vue des prochaines municipales.

À côté de l’église se tiennent, en proposant du vin chaud aux passants, les candidats et les soutiens de l’actuelle municipalité, regroupés sous l’étiquette « S’engager ensemble pour Saillans ». Ceux-là veulent prolonger et compléter l’expérience démocratique inédite qui s’est mise en place dans la localité depuis la victoire dès le premier tour, en 2014, d’un groupe de citoyens sans tête de liste, ni autre programme que de donner le pouvoir aux habitants de la commune d’élaborer une politique pour celle-ci, en se fondant sur des processus de participation et de collégialité approfondis et diversifiés.

À l’entrée du village se trouvent les membres de la liste d’opposition, intitulée « Saillans. Un avenir en commun », sans qu’il faille y voir un clin d’œil au programme de La France insoumise. Leur tract parle de « transparence », d’associer « les habitants aux décisions significatives », « d’outils de décisions collectives », de consultation des « habitants, y compris par référendum local », comme si la municipalité sortante avait réussi à imposer ces principes même parmi celles et ceux qui la contestent.

En commençant la discussion, on apprend que ce n’est pas la « légitimité de la participation qui est mise en cause, mais la manière dont elle est gouvernée » et que cette liste-ci ne serait pas, contrairement à l’autre, « militante ». Mais on n’en saura guère plus.

En effet, sollicité, le chef de file, François Brocard, décline tout entretien à la « presse nationale ». Les raisons ? « Nous ne voulons pas alimenter le battage médiatique dont Saillans est l’objet actuellement. Nous avons trouvé les articles déjà parus insuffisamment critiques sur le bilan de la mandature actuelle. » En outre, Saillans ne « mérite pas la profusion d’articles ou d’ouvrages qui lui sont consacrés. Et dans les deux sens du verbe mériter : ce qui s’est passé à Saillans depuis six ans ne justifie pas cette publicité et Saillans aspire à plus de sobriété et de sérieux, et cette agitation n’a pas à lui être infligée. Ce qui se passe autour du village le dépasse et irrigue des mouvements d’idées beaucoup plus larges qu’une petite municipalité drômoise. »

Cette idée que la surexposition médiatique et politique de la commune, pionnière d’une démocratie participative en actes dans un contexte national de mort lente de la démocratie représentative et de montée de l’extrême droite, lui a fait du tort, est partagée bien au-delà de la liste d’opposition. Un pilier de L’Oignon, le bar associatif installé dans les locaux d’un ancien cercle républicain baptisé L’Union, refuse lui aussi une rencontre, au motif qu’il « est temps de laisser le village un peu tranquille » : « Les projecteurs ne nous ont rien amené de positif et ont mis à mal le respect des élus, à mon sens. »

La journaliste Maud Dugrand, qui a écrit un ouvrage constituant à ce jour le travail le plus exhaustif consacré, selon son titre, à La Petite République de Saillans (coll. « La Brune » aux Éditions du Rouergue), y écrit que « porteur d’espoir », Saillans s’est retrouvé « brutalement aussi rat de laboratoire », alors que « le village n’est pas un gadget prêt à être balancé à la poubelle en cas d’obsolescence ou brandi tel un étendard trop grand pour lui ».

Même le maire actuel, Vincent Beillard, qui a fait le choix de ne pas être candidat à sa propre succession pour rester en cohérence avec un projet où il s’agissait d’abord de démythifier la fonction d’édile et de ne pas tomber dans les gestions personnalisées de nombre d’élus, estime que « l’écho qu’a eu Saillans a mis la barre trop haut. Les médias [lui] ont fait mal ».

Toutefois, le refus de la liste d’opposition de parler à la presse nationale est aussi un « argument de campagne visant à accréditer l’idée qu’il y aurait d’un côté ceux qui se battent pour le village et de l’autre ceux qui se battent pour sauver le monde, alors que c’est compatible et complémentaire », cingle la dynamique adjointe à l’environnement de l’actuelle municipalité, Sabine Girard. Elle ne se représente pas. La première raison est personnelle et tient à la difficulté de rendre compatibles vie familiale et investissement municipal, dans une mairie ouverte et ayant fait de l’implication des habitants son mot d’ordre.

La seconde est liée, pour cette chercheuse ayant travaillé sur l’écologie et les nouvelles formes de démocratie, à son envie de documenter ce qui s’est passé ici pendant six ans. « Tout le monde parle aujourd’hui de Saillans à partir de l’idée qu’il s’en fait : municipalisme ou participalisme. Et j’ai envie d’utiliser mes compétences pour raconter cette expérience en évitant un discours caricatural, normatif ou partisan, explique-t-elle, attablée à la terrasse du Café des sports, d’où l’on aperçoit la mairie. J’ai vécu cela de l’intérieur, et cela change la perception, alors que les experts de la participation se contentent souvent d’observer et de conseiller, sans payer les risques et les effets de celle-ci. Ces derniers font pourtant partie intégrante de la participation, comme j’ai pu le constater ici, où on s’est fait traiter de naïfs, au motif qu’on n’aurait pas eu de vision, parce qu’on voulait la construire avec les habitants, à rebours des habitudes administratives et culturelles de la France. »

Pour celle qui a longtemps affirmé qu’on « n’était pas en train de faire une révolution » et qui n’est pas « habituée à se jeter des fleurs », il faut quand même dire « qu’on a eu le courage de rompre avec les cadres existants pour faire une révolution lente qui dessine un modèle moins planificateur et plus adaptatif, sans doute mieux à même de répondre à la transition écologique ».

La troisième raison de son retrait réside dans une contradiction intime qui s’est exprimée notamment lors de la réécriture du Plan local d’urbanisme (PLU), effectuée dans le cadre d’un dispositif innovant marqué en particulier par le tirage au sort de douze habitants pour y travailler en compagnie de quatre élus. Sabine Girard, en tant qu’adjointe à l’environnement, s’était portée garante de la méthode mais s’est retrouvée « prise dans un conflit de valeurs entre le processus et ce qu[’elle] pensai[t] », soupire-t-elle. Le PLU n’est pas, pour elle, allé assez loin et elle préfère désormais mettre son énergie davantage dans « l’urgence écologique qu’au service de la démocratie participative ». Ce PLU, jugé trop décroissant par certains, trop timoré par d’autres, oblige en effet à distinguer radicalité politique et radicalité démocratique, qui ne coïncident pas nécessairement, tant la recherche du consensus peut aussi pousser à des voies moyennes insatisfaisantes pour tout le monde.

« Cela n’a pas grand-chose à voir avec le simple débat public »

Il y eut même un épisode où Sabine Girard a préféré déléguer sa plume d’adjointe pour ne pas avoir à rédiger quelque chose quand elle était trop en désaccord. La municipalité avait en effet décidé de mettre sur la place publique la question de l’habitat dit léger, mobile ou éphémère : yourtes, caravanes, tiny houses… Les opposants à ce type de logement se sont emparés des procédures participatives pour contraindre la municipalité à rejeter toute possibilité d’en installer sur la commune, aboutissant au paradoxe que la commune labellisée la plus démocratique de France aura fini par rejeter une option que des mairies classiques commençaient de plus en plus à accepter.

« C’est emblématique de la façon dont le cadre de nos politiques publiques empêche une politique adaptative par rapport aux transitions écologiques, peste encore aujourd’hui Sabine Girard. Cet habitat est démontable, n’artificialise pas les sols et oblige à réfléchir à l’approvisionnement en eau et en énergie. En outre, c’est un habitat moins cher, social, qui correspond souvent à un moment d’une trajectoire de vie, pas à la vie entière. À Saillans, c’était déjà une réalité, avec des cabanes dans les bois, quelques camions et la situation des saisonniers qui viennent travailler dans la vigne. Si on n’avait rien dit, ce serait passé comme une lettre à la poste, mais comme cela existait déjà et que c’était un sujet intéressant, on a ouvert la question au public, même si on a sans doute fait des erreurs dans le processus en braquant une partie de la population. Mais, par incompréhension, intolérance et/ou confusion avec la problématique des gens du voyage, j’ai vu surgir des mouvements de rejet fort de la différence, et cela a abouti à un PLU contraignant, qui exige des toits en tuile sur la commune dans le but d’éviter quelques yourtes ! »

Pour le maire, cet épisode constitue aussi le pire souvenir de son mandat. Dans la maison où il vit en colocation depuis sa séparation d’avec son compagnon – son couple n’a pas survécu à l’activité municipale et intercommunale, doublée d’un travail de nuit à trois-quarts de temps dans un lieu accueillant des adultes polyhandicapés situé à quelques kilomètres de Saillans –, il se souvient : « Le sujet était clivant et cela a donné une réunion où la moitié des gens étaient venus pour en découdre et non être à l’écoute. La participation citoyenne suppose des outils et des méthodes d’intelligence collective, permettant de coconstruire des décisions et d’arbitrer entre différentes positions. Cela n’a pas grand-chose à voir avec le simple “débat public” tel qu’il se fait partout, où s’expriment d’abord les grandes gueules, et qui ne permet pas de faire de véritables choix de société éclairés. »

Vincent Beillard, bientôt 48 ans, a grandi dans un grand ensemble de la banlieue parisienne, avant de passer par les communautés non violentes fondées par Lanza del Vasto et de poser ses bagages à Saillans en 1997. Il n’avait « jamais pensé devenir maire » mais s’est engagé dans la liste citoyenne en 2014, convaincu que « faire des manifs » ne suffisait plus. Choisi comme édile pour ses capacités de médiation et sa passion pour la pédagogie, mais fonctionnant en binôme avec sa première adjointe selon un principe généralisé à Saillans à toutes les fonctions municipales importantes, il garde comme meilleur souvenir de son mandat la création de « l’abri du besoin ». Située à l’entrée du village, cette station-service abandonnée a été transformée en lieu de gratuité, dans lequel on peut déposer ou prendre à sa guise vêtements, jouets ou objets. « Cela a été fait de manière totalement autonome, la mairie n’a fait qu’accompagner le mouvement. Et cela ne nous a jamais été reproché, alors même que cela aurait pu être clivant, car suspect d’attirer des populations marginales. »

Aujourd’hui, sans rempiler pour la fonction de maire, il se trouve sur la liste qui veut continuer le travail effectué, tout en faisant évoluer les dispositifs mis en œuvre pour impliquer les habitants, dont certains reprochent à la municipalité d’avoir installé une « bureaucratie participative ». La mairie a donc fait passer un questionnaire pour savoir « ce qu’il fallait changer et ce qu’on voulait garder ». Les évolutions demandées sont sémantiques – « fonctionnement » plutôt que « gouvernance » ; « commissions » plutôt que GAP (pour « Groupes Action-Projets ») – mais aussi structurelles.

Si les piliers de la collégialité et de co-élaboration des politiques publiques entre citoyens et élus demeurent au cœur du projet, il s’agit de transformer celui-ci à l’aune des lassitudes et/ou des faux pas ressentis pendant la première mandature : abandon des commissions thématiques participatives au profit d’assemblées de village tous les deux ans, « votations » citoyennes fondées sur un nouvel outil numérique, réduction du nombre de réunions et clarification du fonctionnement, « sans tomber dans le maternage des gens, car la participation demande, de toute façon, un investissement… »

Ce dimanche après-midi, Vincent Beillard est aux côtés de ses colistiers pour présenter la liste de continuité dans la salle polyvalente. De l’équipe municipale actuelle, trois membres seulement se soumettent de nouveau au scrutin : les autres candidats sont des néophytes dont la plupart relisent fébrilement leur texte avant de s’avancer devant une centaine de personnes pour se présenter. Dans une ambiance joyeuse, chacun parle tour à tour, dans l’ordre aléatoire mais paritaire d’un tirage au sort puisé alternativement dans un chapeau « hommes » et un chapeau « femmes ».

« L’équipe précédente a fait le bilan de ce qui ne marchait pas »

pour en savoir plus :

Saillans

https://www.mediapart.fr/journal/france/270220/saillans-village-symbole-de-la