Le réchauffement climatique dans le Nord ?
Cet été, le département connaît un épisode de sécheresse exceptionnel. Sur place, agriculteurs et maraîchers constatent un changement global du climat.
«La sécheresse, c’est ça !» D’une main, Olivier écrase un bloc de terre qui file en poussière dans un coup de vent : «On se croirait à Bray-Dunes [une plage du Nord, ndlr], et encore, on a arrosé…» Ce maraîcher, 50 ans, fait pousser soixante variétés de fruits et légumes sur sa petite exploitation, les Jardins de Liselotte, à Catillon-sur-Sambre (Nord), 8 000 m² situés entre Cambrai et la frontière belge. Les sécheresses s’y succèdent depuis quatre ans, comme dans tout le nord de la France, et inquiètent le milieu agricole.
Ancien jardinier, Olivier travaille depuis trois ans comme maraîcher bio, avec sa compagne, Yaëlle, ancienne professeure d’histoire-géographie. Elle : «On a arrêté de manifester. Maintenant, on fait face aux aléas climatiques tous les jours. On est au front.»
«4 × 4»
Depuis fin mai, le département du Nord est en vigilance sécheresse avec des restrictions d’usage de l’eau dans les zones les plus à sec. L’absence de pluie depuis la mi-mars, le climat doux et le retour des activités économiques ont engendré des pics dans la consommation, note la préfecture. «L’absence quasi totale de pluies durant le mois de mai a considérablement accentué la dégradation de l’état des cours d’eau», indique le service de l’État, qui appelle industriels, agriculteurs et particuliers à économiser la ressource. Les pluies des dernières semaines ne suffisent pas à améliorer la situation.
Cela implique pour les premiers de réduire de 10 % leur consommation. Les agriculteurs, eux, doivent en utiliser le strict nécessaire, quand les particuliers sont invités à limiter l’arrosage des pelouses, le remplissage des piscines et à laver les voitures dans des stations dédiées. «C’est un phénomène sur la durée. Il y a vingt ans qu’on aurait dû interdire de laver son 4 × 4 avec 200 litres d’eau et arrêter d’utiliser de l’eau potable pour tirer des chasses d’eau, gronde Olivier. Il faudrait peut-être qu’on augmente le prix de l’eau, qu’on la paye à sa juste valeur !»
Selon la préfecture, la situation dans certains bassins est encore plus préoccupante que l’année précédente. Pourtant, la sécheresse de 2019 était déjà exceptionnelle par sa durée et son intensité. «Pour la première fois depuis 1976, le puits était vide», se souvient Olivier. Il pointe une mare : «Elle est représentative du niveau de la nappe et on voit qu’elle s’assèche année après année…»
Son mode de production est minoritaire dans une région où les terres servent surtout aux grandes cultures, notamment céréalières, visibles sur plusieurs hectares de champs. Pour autant, plusieurs agriculteurs conventionnels qui fournissent l’industrie agroalimentaire constatent aussi les effets du dérèglement climatique. «Depuis une dizaine d’années, on n’a plus d’hiver avec du grand froid. Les phénomènes météo sont plus marqués et plus violents qu’avant, note l’un d’eux, installé dans les Flandres. On passe d’un extrême à l’autre : du très sec au très pluvieux.» Des épisodes pluvieux qui favorisent les crues plutôt que le rechargement des nappes phréatiques.
Le temps change. Des balles rondes de paille habillent déjà les champs dorés de la région. «L’an dernier, on a fini la moisson fin juillet. Là, on est le 25 juillet et c’est déjà terminé. On a encore une semaine d’avance. On a d’excellents rendements dans les céréales, mais la terre est comme du béton», montre Philippe, 46 ans, agriculteur depuis 1997. Des sillons traversent le sol à plusieurs endroits. «D’habitude, je sème du ray-grass après la moisson, une herbe qui me sert pour alimenter les bêtes. Cette année, je ne vais pas la planter, ça ne poussera pas.» Dans ses pâtures, l’herbe aussi a séché, privant ses vaches de nourriture fraîche.
«Paillage»
Par endroits, des pâtures de la région ont été converties pour cultiver du maïs, plus rentable que l’élevage pour certains agriculteurs. Problème : il réclame beaucoup d’eau, pouvant accentuer les phénomènes de sécheresse. «La grande culture aura les mêmes problèmes que nous dans dix ans», alerte Olivier. Déjà, certains producteurs arrosent leurs patates pour les aider à grossir. Inimaginable dix ans plus tôt.
Comment préserver l’eau ? L’installation de système d’irrigation coûte cher, peu d’agriculteurs s’équipent. «Ça nous pénalise de ne pas en avoir», dit Olivier. «On ne plante pas dans le désert, soupire Yaëlle devant du fenouil déjà récolté. Il faut éviter que l’eau s’évapore et s’en aille, alors on met du paillage et des bâches pour retenir l’humidité.» Sous les serres, ils ont installé un système de goutte-à-goutte, plus économe, pour arroser leurs plants de tomates. Le couple puise aussi dans la diversité des variétés de légumes, notamment anciennes, plus aptes à s’adapter aux nouvelles conditions climatiques. «Tous les légumes ont besoin d’eau, insiste Olivier. Sans eau, on est morts !»
Libé