Masques toxiques ?

Le principe de précaution impose le retrait

L’Union européenne a interdit l’usage de la zéolithe d’argent et de cuivre dans les masques. Jouant d’une interprétation juridique, la société Dim affirme que cet usage reste possible. Dans l’attente d’un examen précis par une autorité indépendante, le retrait s’impose. C’est ce qu’a commencé à faire l’Etat, alors que, comme le révèle Reporterre, les masques à la zéolithe d’argent et de cuivre ont été distribués, non seulement aux enseignants, mais à de très nombreux fonctionnaires.

Les masques distribués par millions à ses fonctionnaires par l’État depuis plusieurs mois sont-ils toxiques, du fait qu’ils contiennent un produit biocide, la zéolithe (ou zéolite) d’argent et de cuivre ? C’est la question que posait Reporterre le 13 octobre, relayant l’inquiétude de plusieurs spécialistes de chimie et de nanoparticules. En fait, le 27 novembre 2019, l’Union européenne a décidé de refuser l’utilisation de la zéolithe d’argent et de cuivre pour être incorporée dans les textiles, les tissus, ou les masques : « La zéolithe d’argent et de cuivre n’est pas approuvée en tant que substance active existante destinée à être utilisée dans les produits biocides des types de produits 2 et 7. »

Les types de produits (TP) TP 2 concernent les « Désinfectants et produits algicides non destinés à l’application directe sur des êtres humains ou des animaux. [Ils sont] Utilisés [entre autres usages] pour être incorporés dans les textiles, les tissus, les masques, les peintures et d’autres articles ou matériaux, afin de produire des articles traités possédant des propriétés désinfectantes. »

Le type de produit (TP) 2 de l’Echpa.

Cette décision fait suite à un long processus d’évaluation menée au sein du Comité des produits biocides (BPC, Biocidal Products Committee) de l’Agence européenne des produits chimiques (Echa, European Chemicals Agency). La question des produits incorporant des ions argent préoccupe suffisamment les experts pour qu’une European Silver Task Force (Groupe d’étude européen sur l’argent) ait été constituée de longue date et qu’ait été lancée en 2007 une procédure d’évaluation de la zéolithe d’argent et de cuivre. L’étude a été confiée à la Suède, et examinée par le BPC en 2017 et 2018. Au terme de cette longue étude, le groupe européen d’experts a conclu que la molécule « ne devrait pas être approuvée », du fait que « la zéolithe d’argent et de cuivre suscite des inquiétudes pour la santé humaine et pour l’environnement ». En particulier, la zéolithe d’argent est « susceptible de nuire à la reproduction » et, « très toxique pour les organismes aquatiques », elle « entraîne des effets néfastes à long terme ».

« Les ions argent peuvent franchir toutes les membranes humaines »

Conclusion provisoire : l’État français, sans doute dans la précipitation créée par son impéritie en matière de gestion de masques, a lancé au printemps des commandes sans accorder une attention suffisante aux problèmes sanitaires posés par les produits livrés par certains de ses fournisseurs, en l’occurrence les masques de la marque Dim.

Interrogé par Reporterre, Dim assure que « l’utilisation du traitement à base de zéolithe d’argent et de cuivre, qui assure la conservation du masque, est réalisée dans le cadre de la catégorie TP09 », du tableau que nous avons cité. Elle ne serait donc pas concernée par l’interdiction européenne qui vise les TP2. Cette catégorie TP9 concerne « les produits biocides qui empêchent l’accumulation de microorganismes sur la surface des matériaux et qui préviennent ou empêchent la formation d’odeurs et/ou qui présentent d’autres types d’avantages ». Le problème est que ce classement en catégorie TP 2, en TP 9, ou en tout autre est réalisé par le fabricant lui-même, et non par une autorité extérieure, comme nous l’a confirmé l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire, alimentation, environnement, travail). Or, les masques sont rangés par la réglementation européenne dans la catégorie TP2, pour laquelle la zéolithe d’argent et de cuivre est interdite.

La France doit appliquer les décisions européennes. Et puisque l’Europe laisse les industriels décider eux-mêmes le classement de leur produit, ces industriels devraient justifier de ce classement. Or, la porte-parole de l’entreprise nous indique qu’« aucun autre produit de la marque Dim n’a de traitement à base de zéolithe d’argent ou de cuivre ». Dès lors, pourquoi cette molécule serait-elle nécessaire à la conservation de masques qui ne visent pas un usage durable (trente lavages) ? Si cette molécule avait une utilité de conservation, pourquoi n’est-elle pas utilisée sur les autres produits textiles de cette marque ?

Alain Crespy, professeur émérite à l’université de Toulon, ancien membre du Laboratoire de physico-chimie du matériau et du milieu marin (LPCM3), pose d’autres questions, à partir du fait que « les ions argent peuvent franchir toutes les membranes humaines qui nous protègent, parce que ces particules sont de taille extrêmement faible. Au vu de la durée d’utilisation journalière [des masques,] il semble qu’il y ait un contact prolongé avec ces particules d’argent. Il faudrait savoir comment sont fabriqués ces masques : quelles sont les matières supports ? Comment est incorporé l’argent à ce support ? Sous quelle forme ? A-t-on une maîtrise de la taille des nanoparticules ? A-t-on une idée des relargages de particules d’argent ? »

En attendant que Dim réponde à ces questions, et que les autorités sanitaires décident alors si le classement en TP 9 est justifié, le principe de précaution impose le retrait, selon Alain Crespy.

Le chercheur en neurosciences Yves Burnod, de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), partage cet avis. Il est un de ceux qui ont lancé l’alerte dès le printemps dernier, avertissant la mairie de sa commune de L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne). Pour le scientifique, qui a transmis à Reporterre une dizaine d’articles scientifiques soulignant la toxicité du produit, « les matériaux d’argent constituent un danger potentiel pour la santé. Par conséquent, leur production et leur utilisation accrues dans les produits de consommation doivent être accompagnées de processus appropriés d’évaluation des risques et de la conception de cadres réglementaires qui protègent la santé publique. » Et le chercheur en neurosciences de poursuivre : « Pourquoi donner des masques avec des ions argent alors qu’il existe des masques sans danger ? C’est le principe de précaution : n’utilisons pas de produit potentiellement toxique même si c’est une dose infime. »

Alice Desbiolles, médecin de santé publique, spécialisée en santé environnementale, va dans le même sens : « Il y a une plausibilité mécanistique et physiopathologique au regard des potentiels effets sanitaires de certaines substances présentes dans les masques » dit-elle à Reporterre. « Il subsiste une incertitude sur la biopersistance dans l’organisme de ces substances dans un contexte de port de masque régulier et incertitude sur les effets. Dans cette situation d’incertitude, il est important de peser la balance bénéfices/risques de l’usage de ces masques à la zéolithe d’argent et de cuivre. Et bien sûr, il faut respecter les gestes barrière et la réglementation actuelle en ce qui concerne le port du masque. »

« Au nom du principe de précaution, je vous invite à ne plus utiliser ces masques »

Les questions révélées par Reporterre ont suscité une grande inquiétude chez de nombreux syndicats de la Fonction publique, alors que plusieurs enseignants ou fonctionnaires avaient déjà lancé l’alerte sur ces masques, sans être entendus. Dès le 1er septembre dernier, Claire Roblet-Barreau, professeure des écoles dans le 19e arrondissement de Paris, a envoyé un droit d’alerte à l’Académie de Paris : « Au vu de ces différentes observations, j’ai un motif raisonnable de penser que les systèmes de protection mis en place (masques de marque DIM) sont défectueux en ce qu’ils ne répondent pas à la législation européenne quant au traitement virucide par la zéolite d’argent et de cuivre, ce qui constitue un danger grave et imminent pour ma santé. Conformément à l’article 5-6 du décret n°82-453 relatif à l’hygiène et à la sécurité au travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique, je tiens à vous alerter concernant les masques DIM. » Elle n’a pour l’instant jamais reçu de réponse.

Ce n’est pas seulement dans l’enseignement que les masques ont été distribués, mais dans de larges parts de la Fonction publique. Interrogé par Reporterre, le ministère de l’Éducation nationale nous a indiqué que la commande n’avait pas été faite à son initiative, mais en « interministériel. Il n’y a pas que les professeurs qui ont reçu ces masques. Tous les agents publics sont concernés, des préfectures aux rectorats ». Le ministère a saisi les services concernés de l’État pour obtenir confirmation de l’innocuité de ces masques Dim. Et pour toute autre question, nous a renvoyé vers le ministère de la Santé, responsable de cette commande groupée. Interrogé, celui-ci nous a indiqué que nous n’aurions « pas de réponse avant la semaine prochaine ». En 2018, on comptait 5,48 millions d’agents de la Fonction publique et tous ont potentiellement reçu les masques de la marque Dim.

Même si ce n’est pas encore officiel, l’État fait marche arrière sur la distribution de ces masques à la zéolithe d’argent et de cuivre. Dès le 14 octobre, à la suite de l’enquête de Reporterre, 
la préfecture de la région Rhône-Alpes Auvergne a envoyé à ces agents un courrier indiquant : « Dans l’attente de complément d’information et même si à cette heure, la DGPR confirme la conformité de ces masques, au nom du principe de précaution, je vous invite à ne plus utiliser ces masques dans l’attente de précision sur la réalité du risque. Ces derniers ne seront plus distribués par les services de l’État. »

De même, selon nos informations, un courriel a été envoyé aux agents du ministère de la Transition écologique recommandant de ne pas utiliser les masques suspects dans l’attente des résultats des tests et de nouvelles informations : « Nous sommes en train d’organiser une distribution d’autres masques auprès des différents sites de la direction régionale et interdépartementale de l’Environnement et de l’Énergie (Driee), la semaine prochaine. Nous disposons en effet d’un stock de masques qui a été réapprovisionné la semaine dernière par la préfecture de région. La quantité à notre disposition est suffisante pour couvrir vos besoins. » Et selon un courriel du 19 octobre dont Reporterre a eu copie, le directeur des ressources humaines du ministère du Travail écrit : « Concernant les masques DIM, potentiellement distribues aux services par les préfectures dans le cadre du dispositif interministériel d’achat et d’approvisionnement, consigne a été donnée aux chefs de service de suspendre leur distribution et leur utilisation, compte tenu des signalements et d’un principe de précaution. »

De surcroît, les syndicats de nombreuses professions, à la suite des enseignants (comme nous l’avons rapporté le 14 octobre), ont commencé à s’inquiéter. La CGT Finances publiques a envoyé un courriel demandant de faire retirer ses masques « par principe de précaution » et d’avoir « un retour de la médecine de prévention/ISST concernant la potentielle nocivité de traces de nitrates d’argent. » Le syndicat FO Préfectures a relayé l’enquête de Reporterre, s’inquiétant pour « l’ensemble du personnel du ministère de l’Intérieur qui a lui aussi été bénéficiaire de ce modèle de masques sur l’ensemble du territoire ». La CGT de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) a aussi demandé de retirer ces masques par principe de précaution, tout comme la CGT Douanes, tandis que la section lilloise du syndicat de police Alliance a publié un tract au design assez anxiogène qui s’interroge : « COVID ou empoisonnement à la zéolithe d’argent : entre la peste et le choléra, nous voilà bien ! »

Plutôt que de laisser courir l’inquiétude, et de laisser des millions de masques contenant une substance interdite dans cet usage par la réglementation européenne en circulation, la responsabilité de l’État devrait être de retirer ces masques de marque Dim par principe de précaution, et d’interroger précisément, par une autorité indépendante, la firme pour qu’elle détaille ses procédés de fabrication et ses connaissances sur le comportement des ions argent dans ses produits.

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