Les riches ruinent toute possibilité d’un avenir digne

Ils ne sont pas les premiers à le dire

Les chercheurs d’Oxfam démontrent, une fois de plus, que les inégalités de richesses sont insupportables, qu’elles ne font que croître et qu’au-delà de la misère sociale qu’elles créent, elles sont à la source des bouleversements climatiques qui menacent l’avenir de toutes les sociétés humaines.

En 2007 déjà, Hervé Kempf publiait son livre Comment les riches détruisent la planète[1], ouvrage dans lequel il montrait que la concentration des richesses monétaires dans quelques mains était la cause, entre autres désastres, du changement climatique que certains contestaient encore à l’époque. Aujourd’hui, seuls quelques pratiquants des « faits alternatifs » osent encore démentir un consensus scientifique mondial, mais on n’insiste pas assez sur les responsabilités différentiées des différents groupes sociaux quant à la poursuite de la croissance des émissions de gaz à effet de serre.

Une ONG exemplaire

Il y a peu d’organisations qui peuvent se vanter d’un bilan aussi brillant qu’Oxfam International. Née en 1942, en pleine seconde guerre mondiale, Oxfam (Oxford Committee for Famine Relief) est une confédération de 20 organisations caritatives indépendantes à travers le monde. Celles-ci travaillent ensemble et en collaboration avec des partenaires locaux répartis dans 66 pays dans le monde, pour s’attaquer de manière globale à la pauvreté et aux inégalités : actions humanitaires d’urgence, programme de développement et d’appui de long terme, mobilisation citoyenne et plaidoyer – ou « lobby citoyen » – pour agir sur les causes profondes de la pauvreté et des inégalités et obtenir des changements durables. En Belgique, Oxfam est organisée en deux structures spécialisées : Oxfam Magasins du monde qui développe la commercialisation de produits issus du commerce équitable, principalement issus du sud de la Planète, et Oxfam Solidarité qui agit dans le créneau de la réutilisation des objets en fin de vie, les revalorisant et les vendant en seconde main. Les bénéfices de ces activités qui s’appuient sur un grand nombre de bénévoles, sont destinés à la raison sociale de l’ONG : soulager la misère, surtout dans le sud.

Œuvrer à soulager les misères du monde, c’est un bel objectif, mais en 80 années de militantisme, Oxfam a développé une expertise qui l’a incité à comprendre et à dénoncer les causes des souffrances qu’il tente de soulager. Et là, les inégalités croissantes que crée la logique du capitalisme néolibéral a poussé Oxfam à mettre en place des services d’études qui analysent les mécanismes à la source des insupportables écarts de richesses. Les médias relaient assez bien les chiffres fournis par Oxfam chaque année qui montrent que les avoirs matériels se concentrent toujours plus dans quelques mains avides (derniers chiffres : les 1% les plus riches de la planète – 7 millions de personnes – possèdent deux fois plus que les richesses cumulées de 6,9 milliards de personnes). Plus énorme encore : au mois de janvier 2020, un rapport d’Oxfam publié à la veille du Forum économique de Davos (les vacances de sports d’hiver des hyper-privilégiés), a révélé que 2.153 milliardaires du ce monde fou se partagent plus de richesses que 4,6 milliards de personnes, soit 60 % de la population de la planète.

La course au suicide collectif

Même si elles atteignent des sommets jamais atteints, les inégalités existent depuis longtemps et cela n’a hélas pas poussé ceux qui sont relativement privilégiés dans nos contrées, comparativement préservées, d’être solidaires des damnés de la Terre, bien plus nombreux, un peu au nord et beaucoup au sud. Oxfam a dès lors insisté sur le fait que ce sont les plus riches qui sont, non seulement par le passé, mais encore aujourd’hui, largement responsables des graves menaces que le dérèglement climatique fait peser sur notre avenir à tous. Dans un communiqué paru ce 8 décembre, Oxfam dénonce : « Réchauffement climatique : dans l’UE, seuls les plus pauvres réduisent leurs émissions ». Une étude d’Oxfam révèle en effet que les réductions d’émissions de gaz à effet de serre dans l’UE depuis 1990 n’ont été obtenues que parmi les citoyens européens à revenu faible et moyen, alors que les émissions totales des 10% les plus riches ont augmenté. C’est dans un rapport intitulé Combattre les inégalités des émissions de CO2 dans l’Union européenne que l’ONG publie le résultat de ses recherches menées avec l’Institut de l’environnement de Stockholm, portant sur les émissions liées à la consommation de la population entre 1990 et 2015. Au cours de cette période, les émissions liées à la consommation ont diminué de 12% mais les réductions sont très inégalement partagées. Lisons les résultats de l’enquête : « …10% des citoyens européens les plus riches sont responsables de plus d’un quart (27%) des émissions de l’UE, soit la même quantité que la moitié la plus pauvre de la population de l’UE réunie. Les 40% d’Européens classés dans la tranche de revenu intermédiaire sont quant à eux responsables de 46% des émissions et le 1% des plus riches de 7% des émissions. La moitié la plus pauvre de la population européenne a réduit ses émissions de près d’un quart (24%), et celle à revenu moyen, de 13%. En revanche, les 10% des Européens les plus riches ont augmenté leurs émissions de 3% et cette augmentation atteint 5% chez le 1% de plus nantis ».

Ces chiffres sont éloquemment visualisés dans le graphique d’Oxfam ci-dessous.

 

Il faut réduire les émissions chez les plus riches

Pour rester sur la voie de la survie qui a été décidée à Paris lors de la COP21, il faut maintenir le réchauffement planétaire en deçà de 1,5°C. Selon Oxfam, cela signifie que l’empreinte carbone des 10% d’Européens les plus riches devrait être divisée par 10 d’ici 2030, et celle du 1% des plus riches devrait être 30 fois moins élevée qu’aujourd’hui. Quant à l’empreinte carbone des 50% les plus pauvres, elle devrait être réduite de moitié.

Il ne faut pas imaginer que la petite Belgique est innocente dans ce contexte :

Les 10% de Belges les plus riches sont responsables d’autant d’émissions que l’ensemble de la population de la Hongrie, de la Suède, de la Finlande ou du Danemark. De plus, les émissions par habitant des 10% de Belges les plus riches sont les deuxièmes plus élevées de l’UE, seules les émissions des 10% les plus riches du Luxembourg sont plus élevées. 

 Oxfam recommande donc à la Belgique de soutenir la proposition climatique la plus ambitieuse (soit une baisse de 60% des émissions de CO2 d’ici à 2030) lors du sommet européen qui se réunit cette semaine pour convenir d’un nouvel objectif de réduction des émissions pour 2030. Quelques jours plus tard, les dirigeants des 27 États membres se sont mis d’accord sur un objectif de réduction de 55% des émissions d’ici 2030. On verra si cette promesse sera suivie de réalisations sur le terrain, car ce qui s’est passé depuis la COP21, il y a 5 ans, fait douter de la sincérité des belles déclarations d’intentions. De plus, comme le dénonce Oxfam : « Jusqu’à présent, la réduction des émissions de l’UE a coïncidé avec une augmentation des inégalités économiques, laissant les émissions des Européens les plus riches à un niveau inacceptable ». L’ONG appelle dès lors  les dirigeants européens à «placer les principes d’équité et de transition juste au cœur du Green Deal ».

Victimes parmi les victimes : les femmes

Toujours à la tête de la lutte contre les injustices, Oxfam a aussi publié un autre rapport, Celles qui comptent qui montre combien notre modèle économique est sexiste et que la concentration de richesses considérables entre les mains d’une élite fortunée se fait aux dépens des personnes ordinaires et en particulier les femmes et les filles pauvres :

Des femmes et des filles assument chaque jour l’équivalent de 12,5 milliards d’heures de travail de soin non rémunéré, un travail dont la valeur serait d’au moins 10.800 milliards $ chaque année, soit plus de trois fois la valeur du secteur des technologies à l’échelle mondiale.

Amitabh Behar, directeur général d’Oxfam Inde, a ainsi déclaré :

Les femmes et les filles sont parmi les personnes qui profitent le moins du système économique actuel. Elles passent des milliards d’heures à s’occuper des repas, du nettoyage, de la garde des enfants et de l’accompagnement des personnes âgées. Le travail de soin non rémunéré est le moteur caché qui fait tourner nos économies, nos entreprises et nos sociétés. Il est principalement réalisé par des femmes qui manquent souvent de temps pour s’instruire, gagner un salaire décent ou participer à la gestion de la société, et qui sont donc piégées au bas de l’échelle économique.

Le rapport montre que les gouvernements accordent des allégements fiscaux massifs aux particuliers et aux entreprises les plus riches et qu’ils ne perçoivent pas les recettes qui pourraient aider à décharger les femmes de la responsabilité du travail de soin ainsi qu’à lutter contre la pauvreté et les inégalités.  Dans le même temps, les gouvernements sous-financent des services publics et des infrastructures vitales qui pourraient contribuer à réduire la charge de travail des femmes et des filles. Des investissements dans l’eau et l’assainissement, l’électricité, les soins aux enfants et les soins de santé permettraient de faire gagner du temps aux femmes et d’améliorer leur qualité de vie. Les femmes représentent deux tiers de la main-d’œuvre assurant un travail de soin rémunéré. Les emplois de puéricultrice, de travailleuse domestique et d’aide-soignante sont souvent mal payés, offrent peu d’avantages sociaux, imposent des horaires irréguliers et peuvent avoir un fort impact physique et émotionnel. Les femmes réalisent donc plus des 3/4 du travail non rémunéré dans le monde. Leur charge de travail de soin les conduit souvent à réduire leur nombre d’heures de travail ou à quitter leur emploi rémunéré. Dans le monde, 42% des femmes en âge de travailler n’occupent pas d’emploi rémunéré (contre 6% des hommes) du fait de leurs responsabilités en matière de travail de soin non rémunéré.

On peut dès lors être d’accord avec Amitabh Behar quand il conclut :

Nos modèles économiques défaillants ponctionnent l’argent auprès des femmes et des hommes ordinaires pour le mettre dans les poches des milliardaires et des grandes entreprises. Il n’est pas étonnant qu’on commence à se demander si les milliardaires devraient même exister.

[1] Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète, Seuil, Points essais poche,[2007], 2014, 7,50€. Kempf résume son propos dans un article du Monde diplomatique que l’on peut consulter en ligne : https://www.monde-diplomatique.fr/mav/99/KEMPF/16157

pour.press