Il y a un éléphant dans la pièce et personne ne le voit

« Tanuro est parfaitement conscient du fait que la catastrophe a déjà commencé et risque de se transformer, d’ici quelques décennies, en cataclysme

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/12/08/il-y-a-un-elephant-da

Mais il refuse les postures fatalistes et le pessimisme passif de celleux qui proclament qu’il est trop tard et que le « collapse » est inévitable ; d’où le titre ».

Michael Löwy dans une courte préface discute du juste titre de l’ouvrage « Trop tard pour être pessimistes ! », des échecs des conférences climatiques internationales, de solutions à la crise écologique, « une alternative à la course vers l’abîme du changement climatique, sont-elles possible sans « changer de système », c’est-à-dire sans affronter le capitalisme ? », du système d’organisation et de hiérarchisation sociale, des limites de propositions partielles d’alternatives telle le Green New Deal, de changement de « paradigme civilisationnel », de « planification écologique démocratique ». Il conclut : « Son livre est avant tout un appel urgent à l’action, une action collective radicale, c’est-à-dire capable de s’attaquer aux racines du mal : la civilisation capitaliste industrielle moderne. »

« Des hôpitaux débordés, des personnels épuisés, sous-équipés, des morgues bondées. Des malades sacrifié·es, des femmes confinées avec leur bourreau, des prisonnier/ères bouclé·es dans leur cellule, des personnes âgées claquemurées dans les maisons de retraite. Des millions de précaires abandonné·es, quasiment sans ressource, des millions d’employé·es confiné·es en télétravail dans des logements trop petits et des millions d’ouvrier/ères contraint·es de se mettre en danger parce que, sans travail humain, les machines « intelligentes » ne sont que des objets inertes. Partout la peur, la peur de la mort. Mais la situation est infiniment plus grave aux marches de l’Empire. Migrant·es rejeté·es comme des chiens ou parqué·es comme du bétail, Palestinien·nes enfermé·es dans leur ghetto, sans médicaments, et quelque trois milliards et demi de pauvres qu’aucun système de santé digne de ce nom ne peut protéger, alors qu’il y a tant d’argent accumulé ! ». Dans son avant-propos, (datant du 4 avril 2020) – L’avertissement du virus –daniel-tanuro-avant-propos-a-son-livre-trop-tard-pour-etre-pessimiste/, Daniel Tanuro aborde, entre autres, la crise engendrée par le Coronavirus, l’avenir devenu soudain opaque, le « saut qualitatif de la maladie qui ronge les sociétés humaines », les indicateurs abstraits de l’accumulation des profits et le concret de la maladie et de la guérison…

L’auteur souligne le caractère moderne de l’émergence et de la diffusion du virus. Il revient sur les prédécesseurs du SRAS-CoV2 et le franchissement de la barrière des espèces, « Parce que la distance entre les animaux porteurs et Homo sapiens est affaiblie du fait des pratiques de l’extractivisme et du productivisme : élimination des écosystèmes naturels, déforestation, orpaillage, industrie de la viande, monocultures et commerce des espèces sauvages », les nouveaux agents pathogènes, l’oubli des risques des zoonoses dans « le programme de recherche international « géosphère-biosphère » (IGBP) »…

Daniel Tanuro montre la surdité et l’aveuglement des gouvernements. Il discute du refus de l’anticipation et de l’abandon des recherches, « Parce que la recherche publique est de plus en plus soumise aux objectifs de rentabilité à court terme du privé. En particulier de l’industrie pharmaceutique, dont le but n’est pas la santé publique, mais le profit, par la vente de médicaments sur le marché à des malades solvables », de la doxa néolibérale, « la science sert à intensifier l’exploitation des êtres et des choses, pas à souligner les limites de celle-ci », de l’« économie » comme vache sacrée, de darwinisme social, de la gestion de la crise sanitaire comme « gestion de classe, taillée sur mesure pour les intérêts du capital », du « Chacun pour soi et le marché pour toustes ». Il ajoute : « La crise du coronavirus confirme ainsi la règle historique qui veut que la classe dominante, en période de crise aiguë, n’ait qu’un seul outil vraiment fiable : l’appareil d’État autour duquel elle s’est constituée historiquement »…

L’auteur revient sur l’asymétrie des responsabilités, « l’injustice coloniale n’a pas fini de peser sur les peuples du Sud global. Ils ne portent pas plus de responsabilités dans la pandémie que dans le changement climatique, mais les gouvernements du Nord n’en ont cure. Or, le confinement est impossible pour plus de la moitié de l’humanité, qui se débrouille au jour le jour sans filet social de sécurité », le « Le triomphe de la mort », les 750 millions de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable, la désignation de boucs émissaires, « Pour détourner l’attention de leur responsabilité, iels exciteront le nationalisme, le racisme, le machisme et désigneront des boucs émissaires », le recours au nucléaire, et à la géo-ingénierie, « ou à d’autres technologies dangereuses pour l’humanité – mais intéressantes pour le capital », l’imposition de réglementation aux populations et de surveillance « par des technologies intrusives »…

« Trop tard pour être pessimistes ! » ou « L’heure des choix, c’est maintenant ». Daniel Tanuro développe autour des mesures nécessaires afin de rester sous une hausse de la température de 1,5°C, « Dans les pays dits « développés » et « émergents », les réductions d’émissions doivent commencer tout de suite et être très drastiques », des résistances et des soulèvements populaires à travers le monde, du mouvement mondial de la jeunesse, du refus « de transformer le respect des consignes sanitaires en unité nationale autour du capital. Nous sommes toustes sur le même océan, oui, mais pas sur le même bateau : une minorité se prélasse sur des yachts, tandis que la majorité souque dans des barquettes ou dérive sur des radeaux de fortune », de réponse globale, « La première crise de l’Anthropocène exige une réponse globale – économique, sociale, écologique, féministe et décoloniale – à la hauteur du défi. Osons exiger ce qui est impossible dans le cadre capitaliste : le pain et les roses, une vie de qualité et un environnement sain, la satisfaction des besoins humains réels, démocratiquement déterminés, dans le respect prudent de la beauté du monde »…

Il convient d’en finir avec « l’absurde système productiviste qui « épuise les deux seules sources de toute richesse », la Terre et le travail humain », de changer de civilisation et non seulement de régime d’accumulation, « La pandémie nous suggère un objectif plus ambitieux : déconstruire la Machine. Changeons de paradigme et les cavaliers de l’Apocalypse disparaîtront comme Nosferatu aux premiers rayons du soleil », d’opposer « le paradigme du « Prendre soin » au paradigme de la production, celui de la vie à celui de la mort, celui des richesses concrètes à celui de la valeur abstraite symbolisée par l’argent, étendons cette logique aux rapports entre humains et non humains ». Pour l’auteur, « La préoccupation pour le soin, en effet, est immédiatement sociale et écologique à la fois », l’enjeu du caractère social des enjeux environnementaux relève de l’immédiat, la question du soin « comme finalité du travail et du temps qui y est consacré » est un enjeu majeur de l’après-pandémie…

« L’ouvrage est divisé en cinq chapitres. Le premier dresse un état des lieux de la crise écologique et discute brièvement la notion d’Anthropocène. Le deuxième montre que l’accord de Paris pour une stabilisation du réchauffement au-dessous de 1,5°C est sous-tendu par un projet délirant : le « dépassement temporaire » du seuil de dangerosité compensé par le déploiement ultérieur de technologies censées refroidir le globe. Le troisième examine les biais idéologiques de la recherche scientifique, les présupposés de la modélisation mathématique du climat, et ceux de certains spécialistes de la conservation des espèces. Le quatrième revient sur les raisons fondamentales de l’incompatibilité entre capitalisme et écologie, discute sur cette base les positions de diverses variantes de l’écologie politique et rend un hommage critique à « l’écologie de Marx ». Le cinquième est consacré à l’alternative écosocialiste en termes de vision du monde, de programme et de stratégie pour combler le gouffre entre la radicalité si nécessaire et les niveaux de conscience actuels. ».

J’ajoute, pour mes ami·es, toujours sous la dictature masculiniste du soi-disant masculin générique, Ce livre est, comme le précédent, rédigé en écriture inclusive.

Je ne souligne que certains points développés.

Calamités, catastrophes, cataclysmes : bienvenue dans « l’Anthropocène »

« Or, non seulement les conséquences de ce qui est peut-être déjà en train de basculer sous nos yeux sont littéralement incalculables, mais en plus la probabilité du basculement augmente à vue d’œil ». Daniel Tanuro discute de neuf paramètres, « la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore, du carbone, la disponibilité en eau douce, le déclin de la biodiversité, l’acidification des océans, la pollution chimique, la concentration atmosphérique en aérosols, les changements d’utilisation des sols, l’état de la couche d’ozone stratosphérique », des limites de soutenabilité, des seuils et des plafonds qui « devraient faire l’objet de décisions humaines et celles-ci devraient être démocratiques », du niveau des océans, des effets aggravés par les rapports sociaux inégalitaires et par l’accaparement des terres, des causes de déclin de la biodiversité et de l’importance de celle-ci du point de vue de l’existence humaine, des effets du réchauffement qui accélèrent le réchauffement, de pollution, d’énergie, des plafonds relatifs de la soutenabilité du développement humain sur une planète finie, de la réintroduction du social et de l’historique pour « empêcher leur éviction par la géologie »…

« Neutralité carbone » : de la théorie à la pratique

« Pendant toutes ces années, le climato-négationnisme financé par les multinationales de l’énergie fossile a répandu ses mensonges. Battu·es depuis belle lurette sur le terrain de la science, les « marchand·es de doute » ne lâchent pas le morceau ». L’auteur interroge la « perturbation anthropique », sa dangerosité pour qui et pourquoi, les conférences internationales, le fossé entre les paroles et les actes, les responsabilités différenciées et la justice climatique, les pratiques des « compensations carbone » et leurs effets, la grande différence entre la réduction des émissions et l’augmentation des absorbions, les projets insensés des biotechniques et de la bioénergie, le mal nommé capitalisme vert, les dépassements temporaires envisagés et ses conséquences en termes de catastrophe définitive, le déni « de l’antagonisme entre la finitude de la Terre et l’infinitude de la soif de profits », la nécessité de faire diminuer la demande énergétique et de rompre avec la logique d’accumulation capitaliste, « La transition vers une économie basée à 100% sur les renouvelables (sans fossiles ni nucléaire) requiert la construction d’un nouveau système énergétique, donc de gigantesques investissements consommateurs d’énergie ; celle-ci étant fossile à 80% aujourd’hui, la transition, toutes autres choses restant égales, implique forcément un surcroît d’émissions de CO2. Pour éviter celui-ci et rester au contraire sur le chemin menant à la neutralité carbone en 2050, il ne suffit pas de réguler, de planifier et d’innover, il faut renoncer à « la relance », rompre avec l’accumulation, produire et transporter moins, partager plus ». Les absorptions ne peuvent mises sur le même plan que les réductions structurelles dans l’extraction et la combustion de carbone enfermé dans le sous-sol depuis des millions d’années. L’auteur aborde aussi la co-construction des réglementations avec les industries destructrices, le « prix du carbone », les choix incompatibles avec le dogme néolibéral…

Science, modèles et idéologie

Daniel Tanuro revient sur des débats, le malthusianisme, les problèmes posés par les modélisations contemporaines, les finalités sociales des modèles, « ils sont taillés sur mesure pour les valeurs et les finalités du capitalisme en général, de sa déclinaison néolibérale en particulier ! », les biais idéologiques du GIEC, la focalisation sur le marché, l’oubli des productions ou consommations « nuisibles ou inutiles », la géo-ingénierie et le nucléaire, les délires technologiques, les données crachées par l’ordinateur ventriloque, « En réalité, l’ordinateur ventriloque ne fait qu’exprimer les conceptions politiques des scientifiques qui ont fait tourner les modèles »…

La non-prise en compte des rapports sociaux fait plus que déformer l’appréciation des liens entre « déforestation, expansion de l’agriculture et destruction de la biodiversité ». L’auteur discute des assertions sur l’agriculture contre la nature ou sur la population contre la biodiversité. Il conclut au contraire, « le combat pour la biodiversité s’unit étroitement à celui des paysan·nes et des sans-terres pour l’agroécologie et la souveraineté alimentaire, contre l’agrobusiness », sans oublier que la surpopulation est toujours relative et non absolue…

« En dépit des importantes différences qui les distinguent, les travaux commandités par le Club de Rome au début des années 1970, d’une part, puis ceux qui ont été réalisés dans le cadre des conventions de Rio sur le climat et la biodiversité, d’autre part, ont pour point commun de faire abstraction des rapports sociaux. « Il y a un éléphant dans la pièce et personne ne le voit » : le mouvement féministe a popularisé cette formule pour exprimer le fait que la domination masculine est à ce point omniprésente que la société patriarcale « oublie » de l’invoquer même pour expliquer des phénomènes où son rôle crève pourtant les yeux »…

Le quatrième chapitre part d’un constat : « La majorité des chercheur/euses étudient cette crise en faisant comme si la course au profit, la rentabilité, la concurrence et la compétition étaient des lois de la nature, regrettables peut-être, mais intangibles. Le moins qu’on puisse dire est que cette cécité n’aide pas à dissiper la confusion idéologique et stratégique face à la catastrophe grandissante »

La faute de l’écologie politique

« Dans ce chapitre, nous résumons les raisons structurelles qui font du capitalisme l’obstacle à abattre, discutons les analyses de quelques courants ou auteurs qui croient possible de contourner cet obstacle, et terminons par une invitation à investir le chantier riche, mais inachevé de « l’écologie de Marx » ». Daniel Tanuro commence par rappeler que « le capitalisme n’est pas la cause unique des destructions écologiques » avant de présenter le système « où tout s’achète et tous se vend », la domination de la valeur abstraite, le rapport social d’exploitation « un rapport né du déchirement imposé entre les êtres humains et la nature – et le capitalisme est la forme sociale où ce rapport est hégémonique ». Il discute, entre autres, de l’argent, du capital, du capitalisme, des contraintes, de l’accumulation, de la force travail « seule marchandise capable de créer de la valeur », de la division sociale du trail, de la production marchande généralisée, des rapports entre la société et la nature, de la production pour la production, de la consommation pour la consommation, de la contradiction entre l’internationalisation des capitaux et le caractère national des Etats…

Il argumente particulièrement sur l’écologie libérale, l’écologie libérale sociale et « le salut par la taxe », l’écologie profonde « ou la tentation misanthrope », la « collapsologie » ou « le fatalisme de « l’Effondrement » », l’amalgame entre sciences sociales et sciences naturelles, l’illusion de rapports sociaux réglés par des lois naturelles, l’oubli qu’une partie des classe dominantes « est prête à faire couler des fleuves de larmes et de sang pour sauver ses privilèges », les compilations scientistes et acritiques « de publications scientifiques souvent biaisées socialement », l’écologie mystique et la « valeur intrinsèque » de la nature, l’écologie et l’« économie stationnaire », le fantasme du rétrécissement du capitalisme pour le « rendre marginal », la notion de « croissance » comme abstraction, « « la croissance » devient un mal mystérieux, omniprésent, sidérant, sur lequel on n’a pas prise »…

Certain·es semblent oublier l’existence matérielle de la très grande majorité de la population, « La limitation ne peut être que librement consentie et l’éthique sociale nécessaire à son épanouissement ne peut découler que de luttes collectives victorieuses contre l’austérité, l’inégalité, l’exploitation, le racisme, le colonialisme, le machisme et toutes les oppressions dont « les élites » assurent la perpétuation ». Comme le souligne l’auteur : « l’écologie politique qui pense l’exploitation de la nature sans penser l’exploitation du travail évite cette « totalité » et « fait partie du problème » ».

Daniel Tanuro revient sur les apports de la critique marxiste, les travailleurs et travailleuses « libres » c’est à dire « dépossédé·es », la grande capacité d’adaptation des animaux sociaux que nous sommes, le fétichisme de la marchandise, le caractère « à la fois écocidaire et génocidaire » du mode de production capitaliste, « le capital est un rapport social d’exploitation du travail et de la nature, tant qu’il y aura des ressources à piller et de la force de travail à exploiter, ce mode de production poursuivra son œuvre de mort », un certain nombre d’erreurs ou d’oublis de Karl Marx et de celles et ceux qui s’en inspirent. L’« écologie de Marx » reste un chantier « inachevé, traversé de tensions et de contradictions »…

La catastrophe grandissante et les moyens de l’arrêter