Transition – Puissance – Nation

Le dernier article commis par Renart sous les pâles d’éoliennes de la baie de Somme, pendant qu’un autre Picard planifiait d’en ajouter encore, et qu’une Ministre des armées apportait son concours singulier à ce Plan transitionnel.

Sur la digue à l’arrivée des beaux jours, l’affluence de touristes et d’oiseaux migrateurs prouve que la côte picarde a encore un certain charme. La baie de Somme et son Parc du Marquenterre, la baie d’Authie et sa pêche aux coques, la vallée de la Canche jusqu’au port d’Étaples, le bocage boulonnais jusqu’au cap Gris-nez – réputé pour ses suicidés célèbres, tel Raoul de Godewarsvelde achevant ici son œuvre avec poésie –, l’arrière-pays côtier demeurait préservé de l’industrie lourde. Il est aujourd’hui dévasté par l’industrie éolienne. Les Picards Emmanuel Macron, Barbara Pompili, Yannick Jadot, François Ruffin, n’ont que faire du ras-le-bol de leurs co-régionaux envers les grandes pales – l’important, c’est l’emploi ; la seule question, c’est le climat. Le Picard Xavier Bertrand, le Nordiste Fabien Roussel et la « Pas-de-Calaisienne » Marine Le Pen, pour sauver le climat, leur préfèrent l’atome. Macron a parlé, nous subirons les deux. Il couvrira la France de quatorze centrales supplémentaires, cinquante usines éoliennes offshore, et doublera le nombre d’éoliennes terrestres. Imaginez dans la Somme, le premier département éolien de France.
« La transition énergétique, c’est la guerre des métaux », écrivions-nous le 3 février, tant les grandes puissances convoitent de terres rares et de lithium pour leurs éoliennes, leurs panneaux solaires et leurs batteries de voitures électriques. Dix jours plus tard, le Ministère des Armées publie sa « Stratégie interministérielle de maîtrise des fonds marins ». Drones et robots sous-marins, la guerre des métaux est engagée. Transition – Puissance – Nation.

La Somme ressemble en cela à la Meuse : on y a creusé des tranchées et tué des millions de paysans, puis on y a planté une monoculture mécanisée de patates et de betteraves. Le paysage est maintenant suffisamment dépeuplé pour y oublier des déchets millénaires ou le saturer d’éoliennes. S’en offusquer ne serait que sensiblerie réactionnaire. Pour les progressistes du climat, version dégradée de leurs ancêtres éco-technologistes, qu’ils soient partisans de l’atome ou du « renouvelable » [1], de telles surfaces ne sont plus qu’une ressource de Kilowattheures. Pourquoi se soucieraient-ils alors des fonds marins, quand on voit ce qu’ils ont commis dans la Somme et la Meuse ?

Mis en scène devant « un monstre rutilant de 300 tonnes » – une turbine de réacteur nucléaire d’un bleu éclatant –, Emmanuel Macron a annoncé le 10 février à Belfort « reprendre le contrôle de notre destin énergétique » [2]. Voilà qui a de l’allure. Du panache. « Renaissance », « Souveraineté », « Planification », voilà un capitaine pour la France, un patron, digne de la septième puissance militaro-industrielle du monde, mais un patron moderne engagé vers une « économie décarbonée » : sa « stratégie plurielle » poussera les réacteurs nucléaires au-delà des cinquante ans, installera quatorze réacteurs supplémentaires et cinquante usines éoliennes offshore, doublera le nombre d’éoliennes terrestres et décuplera la « puissance installée » en solaire. Son programme – son cap : tout saccager, partout, et pour toujours. Transition – Puissance – Nation. Le million de voitures électriques qui sortiront des usines nordistes d’ici 2030 auront besoin d’énergie [3]. Peut-être l’équivalent de quatre, six, dix réacteurs atomiques – et combien d’éoliennes ? Les quantités de métaux et de lithium nécessaires seront telles que le chef de l’État s’adjoint les services des armées, à la fois pour cartographier les fonds marins, et pour sécuriser les (futures) infrastructures. Pour « Connaître – Surveiller – Agir », résume avec efficacité le langage militaire.

Militarisation des grands fonds

Les écologistes des années 70 avaient pour slogan : « Société nucléaire, société policière ». Le nucléaire rime surtout avec militaire, depuis les unités d’élite de la gendarmerie chargées de sécuriser les centrales, jusqu’aux troupes déployées aux alentours des sites d’extraction d’uranium au Niger. La Transition énergétique et l’« économie bleue » de l’extraction sous-marine nous obligent aujourd’hui à « recycler » nos slogans anti-militaristes :

« Les fonds marins constituent un nouveau champ de conflictualité au même titre que l’espace exo-atmosphérique, le cyberespace et la sphère informationnelle. Avec la deuxième zone économique exclusive au monde, la France veut être en mesure de garantir la liberté d’action de ses forces et de protéger sa souveraineté, ses ressources et ses infrastructures jusque dans les profondeurs océaniques », informe le Ministère des armées, le 15 février 2022 [4]. La France doit « protéger ses ressources » sous-marines et ses infrastructures « comme les câbles de communication et de transport d’énergie (électricité, gaz, pétrole). » C’est-à-dire les câbles Internet, les pipelines et les lignes à haute tension. Transition – Puissance – Nation.

Les militaires apporteront leur concours à la « transition énergétique » : dans le cadre du « plan d’investissement ‘’France 2030’’ présenté en octobre 2021 par le Président de la République, [l’armée] contribue directement à la valorisation et à la protection des enjeux de souveraineté qui gisent jusque dans les plus grandes profondeurs océaniques en contribuant de manière décisive à la résilience de la Nation [5]. » Référence aux désormais fameux « nodules polymétalliques », gisant au fond des océans, dans lesquels se trouvent quantités de métaux précieux comme le manganèse, le nickel, le cuivre, le cobalt, le silicium [6] – bref, les matières nécessaires à leurs énergies « décarbonées », à leurs machines informatiques, à leurs soldats augmentés.

Dronisation à pas cadencés

Comme la colonisation des continents hier, celle des fonds marins et de l’espace aujourd’hui s’accompagne de manœuvres militaires. La France doit « rattraper son retard » sur les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde et le Japon, en matière d’équipements de surveillance des grands fonds. Rappelant au passage son rôle central dans l’Économie et la Recherche, le Ministère des armées compte s’équiper dès cette année de « drones et de robotique sous-marine », capables de « surveiller et agir » jusqu’à 6 000m de profondeur. Soit des machines inhabitées et pilotées à distance, munies de sondes et de capteurs, de pinces et de bras mécaniques, de tous les outils nécessaires à la réparation et la prévention d’actes de sabotage, tels qu’ils se multiplient sur les câbles Internet sous-marins.

A la guerre économique comme à la guerre. Le contre-amiral Jean-Marc Durandau, ancien commandant de sous-marins nucléaires et responsable « Dissuasion » à l’état-major de la Marine, est au rapport dans les colonnes du Monde : « Partout dans le monde, l’accélération de l’exploration, puis de l’exploitation des ressources minérales et énergétiques, pousse tout un écosystème industriel à aller vers les grands fonds. La dronisation du fond de la mer va devenir une réalité [7]. » Transition – Puissance – Nation.

La défense de nos paysages terrestres et côtiers n’est que la partie visible de la colonisation du monde par la puissance électrique, militaire et civile, atomique et « renouvelable ». Tous nos « Picards pour le climat », qu’ils adoptent un air de président martial ou de sauveteur de bébés dauphins au moment de dévoiler leurs plans quinquennaux, sont de fait les agents de la militarisation du globe. C’est maintenant qu’il faut les dégager.

Notes

[1] Cf « De Dunkerque au Tréport, un panier de crabes au pied des éoliennes offshore », Chez Renart, 25 février 2021.

[2Le Monde, 11 février 2022.

[3] Cf. « Quand la Transition gagne le nord », Chez Renart, 3 février 2022.

[5] « Stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins – 10 points clés », defense.gouv.fr.

[6] « Le cycle du silicium », Pièces et main d’œuvre, 27 octobre 2021.

[7Le Monde, 16 février 2022.

 

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