Le nucléaire n’est pas bon pour le climat

Un accident nucléaire peut-il se produire en France ?

L’enquête de Reporterre en cinq parties :

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Portés par un puissant lobbying, les pronucléaires tentent de séduire l’opinion publique.

Alors, le nucléaire, bien ou mal ? Écoutez cette journaliste du quotidien patronal L’Opinion : « La prétendue impossibilité de démanteler les centrales, la prétendue incapacité à traiter les déchets, relèvent de la fausse information. Et le nucléaire civil, quand on parle de son danger, de ses explosions, a fait dans toute son histoire moins de 1 000 victimes ». D’ailleurs, affirme-t-elle aussi : « Être antinucléaire, c’est l’équivalent climatique d’être antivax : le refus de la raison ».

Dans le fil d’une telle argumentation, on comprend qu’il soit permis d’injurier les responsables politiques qui prétendraient sortir du nucléaire : un nucléariste anonyme règle ainsi son compte à Jean-Luc Mélenchon : « Qu’est-ce qu’il est nul ! » ; un autre renchérit : « Sérieusement, quel abruti. » Et à propos d’une comédienne qui exprime sa crainte légitime d’un accident nucléaire, les « quelle conne » fusent de la part des trolls nucléaristes.

Un patient travail de lobbying

Ces personnages ne se permettraient pas de telles saillies si un patient travail de lobbying n’avait préparé l’opinion, depuis des années, à croire des sornettes.

Comme le disait l’ancien ministre de la Transition écologique François de Rugy, EDF est un des trois lobbies auquel il a été confronté, avec ceux de l’automobile et de la chasse. Le Premier ministre Édouard Philippe était un ancien directeur d’Areva, un des pivots français de la filière nucléaire (devenue Orano après sa quasi-faillite).

À Bruxelles, le lobby nucléaire, au sein duquel les Français sont les plus actifs, comptait en 2021 vingt-sept organisations employant 119 personnes et dépensant 7,9 millions d’euros par an pour peser sur les choix européens. Mais, à vrai dire, c’est toute la classe dirigeante française qui constitue le lobby nucléariste, tant par les écoles d’élite Polytechnique et Mines, qui ont formé l’ossature de la filière depuis des décennies, que par la majorité actuelle des partis politiques.

L’offensive a été relancée vigoureusement depuis quelques années, avec les moyens de l’époque : une utilisation assidue des réseaux sociaux, des Youtubeurs, voire des grands médias comme Ouest-France, payés pour vanter la gestion des déchets nucléaires, des chroniqueurs partisans comme Emmanuelle Ducros, ou des personnages pleins d’aplomb comme Jean-Marc Jancovici, à la tête du Shift Project. Tout cela est favorisé par l’ignorance fréquente des journalistes, comme le reconnaît honnêtement une journaliste de BFMTV : « Je prépare une chronique sur [le] nucléaire/renouvelable pour ce soir… mon niveau de méconnaissance est abyssal. Nous (journalistes) avons besoin de formation sur les questions énergétiques d’urgence ne serait-ce que pour comprendre les ordres de grandeur. »

Raisonner et s’informer avant de décider

Donc, avant d’être favorable à une relance du nucléaire en France, ou à d’autres solutions, il faut se libérer de la propagande, et raisonner en s’informant. Reprenons l’affaire à la base. Tout part du sophisme que voici : « Le nucléaire n’émet pas de gaz carbonique, le gaz carbonique est mauvais pour le climat, donc le nucléaire est bon pour le climat. » Le raisonnement semble très convaincant, mais il ne nous apprend en fait pas grand-chose.

Ou pas davantage que deux autres sophismes tout aussi convaincants : « Les énergies renouvelables n’émettent pas de gaz carbonique, le gaz carbonique est mauvais pour le climat, donc les énergies renouvelables sont bonnes pour le climat » ; ou « Économiser l’énergie n’émet pas de gaz carbonique, le gaz carbonique est mauvais pour le climat, donc économiser l’énergie est bon pour le climat ».

Les trois raisonnements étant également pertinents, plusieurs choix se proposent, si l’objectif est d’arrêter d’émettre des gaz à effet de serre : adopter soit l’une des trois voies proposées, soit une combinaison des trois ensemble, soit une combinaison de deux voies (nucléaire et solaire, nucléaire et économies d’énergies, économies d’énergie et énergies renouvelables). Sept choix sont possibles !

Donc, pour opérer le bon, il faut analyser comment les solutions proposées répondent à des critères autres que l’émission de gaz à effet de serre, paramètre pour lequel elles sont à égalité. Ces critères vont porter sur la dangerosité éventuelle des solutions, sur leur faisabilité, sur leur coût, sur ce qu’elles impliquent pour la vie quotidienne, sur le type de société qu’elles impliquent.

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Un accident nucléaire peut-il se produire en France ?

Comme Reporterre l’a analysé dans les parties 1 et 2 de cette enquête, on ne peut pas ignorer la possibilité d’un accident nucléaire, en France pas plus qu’ailleurs. Et si les médias et presque tous les politiques glissent sur le sujet, les responsables de la sûreté, eux, le prennent très au sérieux, avec une anxiété permanente. Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), l’a rappelé le 19 janvier dernier : « Un accident nucléaire est toujours possible et ceux qui prétendraient le contraire prennent une grande responsabilité. Il faut rester réaliste. Un accident nucléaire est toujours possible et cela suppose de l’anticipation. » Son prédécesseur, Pierre-Franck Chevet, l’avait reconnu dès 2012 : « L’accident est possible », disait-il à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas une déclaration en l’air.

Depuis plus d’une dizaine d’années, avant même Fukushima en 2011, la préparation à l’accident a été engagée en France : le Codirpa a été créé en 2005, et dès 2007 il produisait des scénarios d’accident radiologique majeur. Le travail a été amplifié en 2014 avec un Plan national de réponse intitulé « Accident nucléaire ou radiologique majeur ». Il existe même un site officiel pour se préparer et un « guide pratique pour les habitants d’un territoire contaminé par un accident nucléaire ». De la même manière qu’une pandémie majeure a fini par se produire — comme l’annonçaient de longue date les spécialistes des virus —, de même les accidents nucléaires ont une probabilité de récurrence importante, et sont même « inévitables », selon l’ex-directeur de l’Agence de sûreté nucléaire des États-Unis, Gregory Jaczko.

Aussi désagréable que cela soit, il faut donc intégrer l’hypothèse de l’accident nucléaire dans toutes les réflexions visant à atténuer les émissions de gaz à effet de serre. Et malheureusement, de nombreux faits poussent à penser que cette hypothèse monte en probabilité.

Des points stratégiques…

La guerre en Ukraine, avec les menaces sur les centrales de Tchernobyl et de Zaporijia, a rappelé la gravité potentielle d’un accident sur une installation nucléaire qui surviendrait par une frappe militaire. Notons que des chercheurs avaient réfléchi à cette possibilité dès 1980, en 2011, et en février dernier, avant l’invasion russe [6]. Les centrales nucléaires — leurs équipements électriques auxiliaires étant les parties les plus vulnérables — sont des cibles possibles, ou des moyens de faire pression sur l’adversaire.

Cette préoccupation peut bien sûr aussi concerner la France. Après les attentats du 11 septembre 2001, on s’était rendu compte que les sites nucléaires pouvaient être visés. En France, l’usine de La Hague (Manche), qui concentre une des plus grandes quantités de radioactivité au monde dans des « piscines » mal protégées, pourrait être un objectif stratégique. Et pendant plusieurs mois, en 2002, des missiles sol-air Crotale avaient été installés à proximité de l’usine. Il était aussi apparu à l’époque que la majorité des réacteurs nucléaires ne peuvent pas résister à la chute d’un avion de ligne.

D’autres événements moins spectaculaires pourraient aussi survenir, comme des sabotages : en 2014, la centrale de Doel en Belgique avait ainsi été arrêtée plusieurs mois à la suite d’un sabotage dans la turbine à vapeur — les criminels n’ont jamais été retrouvés. Les cyberattaques sont une autre source d’inquiétude pour les responsables de la sécurité nucléaire — des attaques opérées en 2017 contre des compagnies nucléaires aux États-Unis —, tout comme l’efficacité croissante des drones.

… vulnérables au changement climatique

En fait, la production d’électricité nucléaire est un système très centralisé : les réacteurs nucléaires sont des machines extrêmement puissantes et peu nombreuses. Ils présentent donc une plus grande vulnérabilité qu’un appareil de production constitué d’une myriade de petites unités disséminées sur le territoire, telles que les énergies renouvelables. Viser les centrales nucléaires — ou des installations recelant des quantités énormes de produits radioactifs comme les piscines de combustibles usés ou de déchets — pourrait donc avoir un effet déstabilisateur majeur sur un pays, entraînant des dizaines de milliers de personnes sur les routes, et un territoire contaminé pour des décennies.

Or le changement climatique risque fort d’accroître les tensions internationales, surtout si les pays ne font pas le choix de la sobriété, mais veulent maintenir une économie de croissance : il faut dans ce cas se situer dans « une perspective où la raréfaction accélérée des ressources nécessaires aux sociétés industrielles (pétrole, gaz, minerais…) viendrait à raidir les relations internationales », observait le sociologue Pierre Jacquiot.

En fait, l’atome suppose la paix et une société très stable. « Construire une centrale, observent les jeunes chercheurs Bérengère Bossard et Aurélien Gabriel Cohen, c’est faire le pari que rien de grave n’arrivera à cet endroit pendant au moins des décennies. » Un pari que le changement climatique rend hasardeux, voire irresponsable.

Les séismes constituent une source latente d’inquiétude

Bien d’autres événements inattendus que la guerre et le terrorisme pourraient bouleverser le paysage nucléaire. Les séismes constituent une source latente d’inquiétude, comme l’a rappelé le tremblement de terre du 11 novembre 2019, avec une magnitude de 5,4 qui a conduit à l’arrêt de la centrale de Cruas (Ardèche). En 2012, un séisme s’était aussi produit près du centre nucléaire de Cadarache (Bouches-du-Rhône). Les scientifiques présagent une plus grande fréquence des séismes en Europe.

Un autre scénario, bien connu des spécialistes, découle de la rupture possible du barrage de Vouglans, situé dans le Jura. Ce barrage présente un défaut de conception qui pourrait affaiblir sa stabilité. Or plusieurs réacteurs nucléaires se trouvent en aval de ce barrage, et pourraient être atteints par une éventuelle vague de submersion, notamment la centrale de Bugey (Ain).

Les centrales nucléaires sont aussi de plus en plus vulnérables au réchauffement climatique, qui devrait affecter leurs ressources en eau ou les soumettre à des événements extrêmes. Ce qui arrive déjà fréquemment en été — et qui n’implique pas de possibilité d’accident — est le réchauffement des eaux des rivières dont ont besoin les centrales ou même l’insuffisance d’eau : cela contraint les réacteurs à s’arrêter. Mais des inondations, des submersions marines et des tempêtes pourraient aussi se multiplier et devenir plus puissantes. La centrale du Blayais, en Gironde, a déjà expérimenté une submersion partielle en 1999, qui a forcé l’arrêt des réacteurs. Aux États-Unis comme en Chine, des ouragans et typhons sont passés près des réacteurs de Brunswick et de Taishan en 2018.

La gravité potentielle des effets du changement climatique explique que l’Autorité américaine de sûreté nucléaire, la NRC, ait annulé en février dernier une précédente autorisation d’allongement du fonctionnement des réacteurs américains : les propriétaires de centrales sont priés de documenter précisément les impacts potentiels de la crise climatique, comme l’augmentation du niveau des mers.

Un risque plus subtil s’annonce aussi à l’horizon d’un pays qui voudrait maintenir un important parc nucléaire : si le changement climatique et la catastrophe écologique s’approfondissent, l’économie mondiale se trouvera de plus en plus en difficulté. La tension sur toutes les dépenses sera croissante, et la pression pour alléger le maintien de la sécurité nucléaire de plus en plus lourde. Comment assurer la sécurité des centrales nucléaires — qui suppose un effort financier important — dans un pays appauvri ?

Les réacteurs français vieux et fragiles

S’il faut impérativement imaginer des événements extrêmes à la probabilité faible, mais réelle, il est tout aussi nécessaire de se rendre compte que la fragilité même du parc nucléaire français est une cause possible d’accidents graves.

Les réacteurs construits en série dans les années 1970 et 1980 vieillissent, alors qu’ils étaient conçus pour fonctionner quarante ans : au sein du réacteur, notamment, les pièces et matériaux sont soumis à un feu continu de neutrons qui amoindrissent peu à peu leur capacité d’endurance. Cela requiert donc une vigilance extrême, alors que la situation financière désastreuse d’EDF et de la filière dans son ensemble pousse à relâcher les exigences de sûreté.

Dix réacteurs ont ainsi des cuves qui présentent des fissures depuis leur fabrication dans l’usine du Creusot. La cuve est l’une des pièces cruciales d’un réacteur, une pièce qu’on ne peut pas changer. Elle est en permanence attaquée par le flux neutronique généré par la réaction nucléaire, si bien que toute imperfection, telles que des fissures ou une composition imprécise de l’acier, risque d’amoindrir sa résistance en cas d’accident.

De fait, assure le physicien Thierry de Larochelambert, en s’appuyant sur l’état des recherches internationales, « le vieillissement thermique des aciers sous irradiation des cuves, des couvercles, des boulons, des buses et des internes des réacteurs nucléaires accélère rapidement au-delà de quarante ans pour tous les réacteurs de 900 MW, ce qui risque de compromettre très fortement leur résistance à un éventuel choc froid sous pression ».

EDF compte cependant prolonger la durée de fonctionnement de ses réacteurs jusqu’à cinquante ans — avec l’accord sous réserve de l’ASN —, voire jusqu’à soixante. Mais cette ambition est problématique, notamment du fait de la fragilité des cuves. Par exemple, dans le cas du réacteur 1 de Tricastin, un des plus vieux mais aussi des plus problématiques du parc, l’IRSN a donné un avis favorable avec beaucoup de circonvolutions à un fonctionnement jusqu’à cinquante ans. Mais cet avis est critiqué par les experts de l’association Global Chance, qui s’interrogent sur le comportement de la cuve du réacteur. Ils n’ont pas obtenu la communication des statistiques techniques qui leur auraient permis d’affiner leur analyse. La transparence et un débat technique ouvert paraissent pourtant indispensables, vu la gravité de l’enjeu.

L’ASN a relevé 114 incidents en 2021

Le problème n’est pas nouveau : en 2018, une commission d’enquête parlementaire, dont la rapporteure était Mme Pompili, alors députée du groupe En marche, dressait un tableau alarmé de la situation de sûreté du parc nucléaire. Il pointait le manque de rigueur dans la construction et l’exploitation des réacteurs. En particulier, le recours est de plus en plus fréquent au principe d’« exclusion de rupture », qui permet de ne pas prévoir un certain nombre d’équipements et de procédures de secours (par exemple, dans un réacteur) au motif que la pièce (par exemple, la cuve) est tellement solide et bien conçue qu’il est impossible qu’elle rompe. « Or, il a été mis en évidence que certaines pièces comme la cuve de l’EPR de Flamanville, pourtant placées sous ce dogme de l’impossibilité de rupture, n’avaient pas été usinées de manière correcte », rappelait le rapport.

Depuis, la situation ne semble pas s’améliorer, même si l’ASN juge que « la sûreté des installations nucléaires s’est maintenue, dans l’ensemble, à un niveau satisfaisant ». Elle n’en a pas moins relevé 114 incidents en 2021. Vingt-cinq réacteurs (sur cinquante-six) étaient à l’arrêt début avril 2022. En particulier, quatre parmi les plus puissants du parc d’EDF sont débranchés en raison de corrosion et de fissuration dans les circuits d’injection de sécurité. Ces défauts pourraient empêcher le système de sauvetage du cœur de bien fonctionner en cas d’accident. « La corrosion réduit la résistance mécanique des tuyauteries concernées. Celles-ci pourraient alors rompre à la suite d’une sollicitation mécanique (par exemple un séisme) ou de l’utilisation du système d’injection de sécurité », explique l’ASN à Reporterre.

Les tensions affectant les réacteurs méritent d’autant plus l’attention que les industriels nucléaires peuvent dissimuler des informations cruciales. Durant des années, l’usine Framatome du Creusot, qui fabrique des pièces indispensables aux réacteurs, a ainsi caché délibérément des défauts de fabrication à l’Autorité de sûreté. Ces pratiques frauduleuses n’ont pas disparu, puisqu’un cadre de la centrale de Tricastin — une des plus vieilles centrales de France — accuse sa direction de « dissimulations d’incidents de sûreté ». L’affaire est maintenant devant la justice.

L’EPR, le boulet d’EDF

Le réacteur EPR — toujours en construction depuis plus de douze ans à un coût cinq fois supérieur à l’estimation initiale — présente aussi de nombreux défauts, qui ont été corrigés au fur et à mesure du chantier. Mais dans des conditions discutables. Par exemple, un problème de corrosion sur le couvercle et sur les viroles est apparu sur la cuve. Celle-ci a malgré tout été autorisée en 2017 par l’ASN, sous condition de changer le couvercle en 2024 — soit peu de temps après le démarrage supposé de ce réacteur. Comme le remarquent ironiquement les journalistes Thierry Gadault et Hugues Demeude, ce sera « le premier réacteur au monde qui va démarrer avec une cuve dont on sait qu’elle n’est pas standard ».

Enfin, le caractère en partie pilotable du nucléaire est une autre cause de fragilisation, alors que les énergies renouvelables montent peu à peu en ligne. En effet, le nucléaire est souvent mis à contribution pour compenser les variations du renouvelable, ce qui le conduit à une modulation de sa production, alors qu’il est conçu pour fonctionner « en base », c’est-à-dire en continu. Cette évolution est d’autant plus problématique que, du fait du vieillissement des équipements, les marges de sûreté diminuent. Les ralentissements ou réaccélérations des réacteurs ne leur font pas de bien — un camion diesel n’est pas fait pour fonctionner comme une voiture de sport.

EDF : très grande entreprise, en très grande difficulté

EDF, la compagnie historique chère au cœur des Français, va mal. À vrai dire, c’est le cas depuis des années, mais dans le système de pouvoir français, les remises en cause sont pour le moins difficiles, et quand les erreurs finissent par produire leurs effets, on considère que l’État est là pour payer les pots cassés. Ainsi, l’État — c’est-à-dire les contribuables — a payé 5 milliards d’euros en 2017 pour sauver Areva de la faillite, suite à la stratégie exubérante d’Anne Lauvergeon, la présidente de cette compagnie.

EDF s’est en fait mise en danger depuis les années 2000, avec une série de mauvais choix : l’entreprise a opéré des investissements dispendieux à l’international (rachat de la compagnie américaine Constellation Energy, puis de la compagnie anglaise British Energy) et dans l’EPR, sur la base d’une analyse trop optimiste de l’évolution de la consommation électrique et de sa capacité à fabriquer un nouveau réacteur après vingt ans sans expérience (le dernier réacteur français, Civaux 2, a été mis en service en 2002).

L’État intervient ainsi régulièrement pour soutenir financièrement EDF, qui traîne comme un boulet un endettement de plus de 40 milliards d’euros, un montant plus du double de son résultat annuel d’exploitation. Et comme l’a résumé la Cour des comptes en novembre 2021, « EDF ne pourra financer seule la construction de nouveaux réacteurs alors qu’elle doit supporter le coût de la prolongation du parc actuel et des investissements de sûreté “post-Fukushima”, faire face aux coûts futurs de démantèlement et à l’évolution incertaine de l’accès régulé au nucléaire historique en place depuis 2011 ».

Cela n’empêche pas l’entreprise de continuer à faire des choix fondés sur des hypothèses optimistes, en repoussant aux années 2030 la fin des réacteurs (ce qui permet de retarder les dépenses de démantèlement), en se préparant à la construction de nouveaux EPR2 à des coûts qui « ne peuvent être totalement stabilisés », selon les termes mêmes du gouvernement, tout en faisant l’impasse sur la question des déchets, là aussi plus coûteuse et plus compliquée que prévue. À quoi s’ajoute donc le pari que le vieillissement des réacteurs pourra se produire sans casse…

Cette tension croissante sur tous les segments d’activité nucléaire fait peser une pression toujours plus lourde sur la sûreté, ce qui rend plus crédibles les hypothèses d’accident. « Tant qu’il n’y a pas officiellement eu d’accident, ceux qui disent qu’il n’y en aura pas auront toujours raison, observe l’autrice La Parisienne libérée. Ceux qui disent qu’il y aura un accident, avec l’espoir de l’empêcher, n’auront donc par définition raison qu’une fois arrivé l’accident, ce qui rendra vaine leur démarche. »

Il n’en est pas moins urgent de tirer l’alarme avec ténacité. Et d’affirmer que la probabilité d’un accident nucléaire, même infime, est un paramètre à prendre en compte en priorité dans tout choix énergétique, en raison de sa gravité potentielle. Un souci qui ne se pose ni pour le choix des économies d’énergies ni pour celui des énergies renouvelables, d’autres voies sans danger pour faire face au changement climatique.