Nuls en maths

Ces « nuls » qui font des carrières scientifiques

Le journal Les Échos a récemment publié un article intitulé « Ils étaient nuls en maths et sont devenus médecins ou ingénieurs ». L’auteur y constate le fort recul du choix des mathématiques par les élèves de lycée suite à la réforme Blanquer et se réjouit que des « nuls en maths » aient réussi à faire des carrières dites scientifiques comme ingénieur, informaticien ou médecin.

Il ne s’agit pas ici de critiquer ceux qui, initialement nuls, ont su surmonter leurs difficultés et se sont rendu compte, dans leur vie quotidienne, que le niveau en maths qu’ils utilisent réellement est des plus élémentaires, ils parlent même de niveau collège. Il s’agit de critiquer ici la dérive française vers le sous-développement et d’expliquer les vrais enjeux à mettre en place, dans l’école, un vrai niveau en maths, un niveau international.

Commençons par éliminer un écueil qui est toujours passé sous silence concernant le système éducatif. En France, on ne conçoit, en général, la réussite qu’au travers du scolaire. C’est une grave erreur ! Dieu merci, il y a d’autres manières de réussir ! On pense aussi couramment que ceux qui ont fait des études doivent être mieux payés que les autres. Là encore, c’est une grave erreur qui fait fi des mécanismes économiques. En théorie au moins, les rémunérations devraient dépendre de la valeur ajoutée apportée par la personne qui effectue le travail. Et, les mesures sociales devraient être des amortisseurs de la brutalité de la vérité qui voudrait que ceux qui n’amènent que peu de valeur ajoutée ne puissent vivre décemment. C’est quand même cela, finalement, la solidarité.

Toutefois, cette dernière, à mettre en place au sein d’une nation, n’existe absolument pas dans le monde de concurrence sauvage qui s’est installé comme résultat de la victoire du capitalisme libéral au niveau global depuis la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement depuis l’effondrement de l’URSS. Notre pays, comme les autres donc, est en concurrence féroce et là, il n’y a plus de solidarité entre les nations qui vaille, mais bien un système de prédation, les plus forts mettant, peu ou prou, les plus faibles en coupe réglée.

Il se trouve que depuis la révolution industrielle, les disciplines reines pour faire cette compétition, sont scientifiques : mathématiques, physique, chimie et biologie pour faire court. Et comme le disait Laurent Schwartz, la discipline suprême est la mathématique. Faisons rapidement référence à Lucio Russo qui explique très bien que l’étymologie du mot mathématique veut dire « ce qui peut être appris ». Cela concerne donc tout. Typiquement, pour faire un comparatif avec la physique à titre d’exemple, cette dernière est « l’étude de la nature », et une fois le physicien ayant compris certains fondements de cette dernière, il se doit, pour transmettre sa connaissance, de la mettre sous forme mathématique pour qu’elle puisse être apprise par les générations suivantes.

La mathématique comporte donc un nombre incalculable de recoins et de domaines divers ; tellement aujourd’hui qu’aucun mathématicien au monde ne peut réellement faire le tour du sujet, même dans un contexte d’espérance de vie à 100 ans si tel était le cas. Mais, la plus grande portée de cette discipline consiste avant tout dans l’état d’esprit qu’elle confère à ceux qui la pratiquent assidûment. En effet, elle impose une façon de raisonner et une rigueur qui ne sont pas naturelles à la plupart des petits barbares quand ils naissent. Cela vient de très loin, de la Grèce Antique, avec un apogée à la mort d’Alexandre le Grand quand Euclide publia ses « éléments », monument historique de la géométrie et de l’apprentissage du raisonnement mathématique.

Faisons une petite diversion dans ce texte pour vous faire toucher du doigt la puissance de cette discipline. Vous avez tous des ordinateurs, tablettes ou téléphones mobiles. Vous vivez dans le « village planétaire » où bien des produits que vous consommez sont fabriqués en Asie, transitent via les océans, avec des agences de presse principales occidentales, etc. Le monde est donc divers et les langues de l’humanité nombreuses. Pourtant, vos appareils électroniques, eux, ne connaissent pas la barrière des langues. Ils marchent aussi bien en Chine, qu’au Zimbabwe ou aux États-Unis ! C’est cela, d’une certaine manière, la puissance des mathématiques : un langage universel, une manière identique d’aborder les problèmes pour convaincre l’interlocuteur de façon absolue.

Revenons alors à l’école. Le classement de la France dans les évaluations PISA est devenu catastrophique ! Cela prouve que notre pays est en voie de grand déclassement. Regardez, à titre d’exemple, les missiles hypersoniques russes. L’Occident n’arrive pas à les faire, car il vit dans une infériorité scientifique très nette par rapport à la Russie. Regardez les Chinois qui, semble-t-il, sont en train de développer de tels missiles assez vite. Regardez aussi l’exploit chinois récent qui a réussi à tenir confiné un soleil artificiel à 150 millions de degrés pendant près de 20 minutes. Un exploit que l’Occident est incapable de réaliser actuellement faute de niveau suffisant en maths et en physique.  

Voyez-vous, la roue tourne, et c’est naturel ! Nous sommes, nous, Français, à l’origine de la révolution industrielle et de la construction des quatre disciplines de base décrites plus haut, mais force est de constater que nous perdons pied. Et si nous perdons pied, c’est parce que les gouvernements successifs depuis des décennies, dirigés par des littéraires ignares en mathématiques, physique, chimie, biologie et jaloux, n’ont eu de cesse que de vouloir minimiser l’importance de la science dans l’enseignement et son importance aussi à l’embauche. Le résultat se voit dans notre ministre de l’Économie qui ne sait même pas faire une règle de trois ; un comble !

Mais savez-vous seulement pourquoi, historiquement, les mathématiques sont devenues importantes, au sortir de la Seconde Guerre mondiale ? Simplement parce que la France perdit cette guerre en six semaines, une honte similaire à celle que devraient avoir nos dirigeants depuis des décennies maintenant qui nous ont conduit à une population qui n’a pas le niveau de la compétition scientifique et industrielle mondiales. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale donc, dans un contexte de conflit nucléaire potentiel, certains ont dit « plus jamais ça ». Mais, chassez le naturel et il revient au galop ! Bientôt, les politiciens véreux stipendiés par l’étranger, n’eurent de cesse que de nous affaiblir, pour nous vassaliser avec un point ultime sous le quinquennat en cours et qui jouera peut-être les prolongations, nous le saurons bientôt.

Les universités et les écoles d’aujourd’hui distribuent, avec l’argent des contribuables, des diplômes qui ont des noms ronflants : ingénieur, docteur, etc., mais qui ne correspondent pas à un niveau réel international, tout au moins de ce que l’on serait en droit d’attendre d’un pays qui fut la troisième puissance industrielle du monde et qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Il n’y a qu’un seul remède, hélas, à cela : travailler seul et se mettre à niveau tout en suivant en parallèle un cursus pour avoir un diplôme officiel qui ne représente rien sinon la signature, dévalorisée, de l’État. Mais, on ne peut que difficilement échapper à son propre gouvernement. Peut-être aussi certains intérêts privés qui ont pour souci notre pays et sa population voudront-ils reconstruire un système « hors contrat », et pas seulement aux niveaux primaire et secondaire, mais aussi dans le supérieur, pour monter une école scientifique d’élite, non pas pour s’en mettre plein les poches comme certains n’ont pas manqué de le faire ces dernières décennies, mais pour assurer à notre pays un positionnement international en conformité avec son histoire.

 

Jean-François Geneste a été le directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group de 2008 à 2018 et professeur au Skolkovo Institute of Science and Technology à Moscou pendant deux ans. Il est actuellement le PDG de la start-up WARPA.

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