Pollution à Lille

Une fonderie d’aluminium inquiète

C’est l’un des sujets de pollution les plus sensibles de la métropole lilloise. Depuis 2008, le quartier de Lomme-Marais souffre de nuisances atmosphériques et sonores venues de la fonderie Refinal. Les habitants déplorent l’impuissance, voire l’inaction, de l’État.

« C’est une usine qui tourne jour et nuit, en faisant du bruit, car les déchets d’aluminium sont manipulés en vrac. Certains jours, surtout en été, les odeurs de métal et de plastique brûlé envahissent le quartier. Nos tables de jardin sont régulièrement recouvertes de poussières suspectes, tout comme les cours des deux écoles à proximité », témoignent deux habitants du quartier du Marais de Lomme, membres du collectif du même nom. Dans leur collimateur : la fonderie d’aluminium Refinal, installée à moins de cent mètres de chez eux, sur un terrain partagé entre Lomme et sa voisine Sequedin.

Outre la pollution atmosphérique, les riverains dénoncent les norias de camions chargés de barrettes d’aluminium qui sortent de l’entreprise ; les véhicules qui encombrent leurs rues étroites et des pièces qui tombent régulièrement de bennes mal bâchées (divers rapports de la police municipale en attestent). Et ils s’alarment bien sûr de l’impact de ces nuisances sur la valeur de leurs biens immobiliers…

La fonderie, créée en 1946 et rachetée en 1992 par Refinal (groupe Derichebourg), refond les déchets et débris d’aluminium récupérés sur des objets en fin de vie. Cette activité est dite de deuxième fusion. Au fil des années, la production n’a cessé d’augmenter (67 000 tonnes de lingots d’aluminium en 2021, contre 48 000 tonnes en 2010).

C’est une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE). Cela signifie qu’elle ne présente pas de graves dangers a priori mais qu’elle est placée sous le contrôle de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), service dépendant de la préfecture de Région.

Tout devrait donc fonctionner  « au carré » et les habitants alentour pouvoir respirer sereinement. Sauf que les conditions d’exercice de l’activité se sont dégradées ces dernières années, et que les autorités semblent incapables de les réguler. En consultant la base internet Géorisques, qui recense les différents risques menaçant un territoire, Mediacités a constaté que les arrêtés préfectoraux adressés à Refinal, parfois assortis de mise en demeure, se succèdent depuis 2008. Il est demandé à l’entreprise d’améliorer ses processus de production, de mieux surveiller ses rejets, etc.

Mais la situation ne s’améliore pas. Les mairies de Lomme et de Sequedin s’en mêlent mais elles ont peu de marge de manœuvre, si ce n’est d’insister auprès du préfet pour durcir les contrôles et réaliser des analyses. « Nous sommes en conflit ouvert avec Refinal depuis 2010, expose le maire de Lomme, Roger Vicot (PS). Tous les ans, nous organisons des réunions publiques pour tenter de faire avancer le sujet… »

En avril 2020 pourtant, les riverains ont repris espoir. Un arrêté préfectoral exigeait de l’entreprise la mise en œuvre d’une surveillance de la qualité de l’air. Mais Refinal ne s’est pas exécutée, et la ville de Lille (à laquelle Lomme est associée) a décidé de procéder elle-même à l’analyse de l’air ambiant, avec l’accord de la préfecture.

Elle a utilisé le système des jauges Owen pour mesurer les retombées d’aluminium dans un périmètre de 650 mètres autour de l’usine. L’étude effectuée par le service risques urbains et sanitaires de la ville a révélé « des teneurs en aluminium dans les retombées atmosphériques dans l’environnement proche du site Refinal (…) soulignant la surexposition des populations sur ce secteur ».

En parallèle, une inspection du site opérée par la Dreal en octobre 2021 faisait état de sérieux dysfonctionnements. « L’installation principale de dépoussiérage a connu de nombreuses évolutions significatives depuis sa mise en service en 1999 (…) qui ont dégradé les débits d’aspiration sur les fours », notait l’organisme de contrôle.

Possibles rejets de dioxine

Dans la foulée, la préfecture s’est alors livrée à un curieux tango. Dans un courrier adressé au collectif du Marais de Lomme le 7 mars 2022, elle assure que les mesures de concentration en aluminium et poussières fournies par les jauges Owen « ne présentent pas de risque pour la santé humaine ». Et dans le même temps, elle missionne l’Agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France pour des investigations complémentaires sur l’air, les sols et l’aluminium contenu dans les urines.

Il faut dire que la préfecture est confrontée à l’insistante pression de la municipalité de Lomme : dans un récent courrier, le maire, Roger Vicot, évoque la possibilité de rejets de dioxines, souvent présentes dans les fumées issues de « deuxième fusion », et réclame des investigations particulières sur ce point.

Ces données, et ces atermoiements, ont avivé les inquiétudes des riverains, constitués en collectif depuis l’année dernière. Une réunion publique organisée par la mairie de Lomme en novembre 2021 ne les a qu’à moitié satisfaits. Le directeur de Refinal, Henri Rabotin, était présent mais aucun représentant de la Dreal ne s’est déplacé, sans que le service de l’État explique cette absence.

Par ailleurs, le collectif estime que le problème n’a pas été considéré dans toute son ampleur. « C’est nous qui avons dû faire des photocopies de l’invitation pour réunir plus largement. Nos simulations montrent que des habitants du quartier d’Euratechnologies et de l’écoquartier des Rives de la Haute-Deûle sont également touchés par la pollution », soulignent-ils.

Ils déplorent qu’aucune étude véritablement complète des pollutions produites n’ait été réalisée depuis l’apparition des nuisances à la fin des années 2000… Seules les particules d’aluminium ont été ciblées jusqu’à présent, dans un périmètre restreint, alors que les activités de fonderie génèrent de nombreux autres polluants. La pollution des sols environnants, par exemple, ne leur semble pas correctement évaluée. Les riverains craignent que leurs jardins potagers ne soient infectés, dans la mesure où le site Refinal l’est.

Par une source notariale, Mediacités s’est procuré des éléments, tirés de la base Basol, qui recense les terrains pollués : la fiche Refinal datée de 2016 mentionne que « l’arsenic, le nickel, le plomb, le chlorure de vinyle, le cis-1,2-dichloroéthène et le carbone organique total se retrouvent dans le sol ainsi que dans l’une et/ou l’autre des nappes souterraines. (…) Des investigations ont également été menées en périphérie du site. De façon étonnante, la conclusion [du rapport d’étude, ndlr] mentionne qu’il n’y a pas de pollution à l’extérieur du site Refinal.

Le temps passe et l’entreprise fait le gros dos. En décembre 2021, un nouvel arrêté imposait à l’exploitant de fournir d’ici au 3 mars 2022 une étude sur les émissions diffuses et les taux de captation de ses fours de fusion. Depuis, c’est silence radio. Une même injonction en juillet 2019 était déjà restée sans réponse. L’entreprise peut quand même faire état de la pose en 2018 d’un filtre à manche pour traiter ses émissions de fumée, à la suite d’une énième mise en demeure…

Interrogé par Mediacités le 24 février dernier, le directeur du site lommois, Henri Rabotin , déclare qu’une enveloppe de 5 millions d’euros va être débloquée pour remplacer un four ancien et disposer de nouveaux filtres. « La pollution est non avérée et notre plan d’investissement est en ligne avec les recommandations de la Dreal », balaie-t-il.

Les méthodes d’Henri Rabotin sont également décriées sur le site de la fonderie d’aluminium de Prémery, en Bourgogne, qu’il dirige depuis quatre ans : pollutions similaires, successions d’arrêtés préfectoraux et de mises en demeure, promesses d’investissements sans lendemain. Mais sur place, « la pression économique est encore plus forte avec un maire qui ne soutient pas le collectif d’habitants et préfère avoir une entreprise polluante pour des questions d’emplois qu’une friche à dépolluer », explique Simon Dubos, journaliste qui a mené une enquête sur le sujet pour le Journal du Centre.

Refinal n’a jamais été frappée de sanctions financières ou administratives. Peur de l’État d’un chantage à l’emploi de la part de l’entreprise (elle fait travailler 56 personnes) ? Manque de moyens, à la Dreal, pour assurer des contrôles et des sanctions efficaces ? Ni la préfecture, ni la Dreal, ni l’ARS n’ont donné suite à nos demandes d’interviews, certains proches du dossier arguant d’un devoir de réserve lié à la période électorale.

Julie Nicolas, élue d’opposition EELV à la mairie de Lille, tranche : « Une fois de plus, l’État ne joue pas son rôle de protection alors qu’il est le garant de la santé des citoyens. La Dreal et le préfet sont responsables de n’avoir pas réglé cette affaire depuis toutes ces années, alors que tout indique un risque majeur de pollution. »

Les élus verts de Lomme ont plusieurs fois saisi le préfet des Hauts-de-France, Georges-François Leclerc. « Nous vous exhortons à prendre immédiatement des mesures : amendes administratives dès lors que l’industriel ne proposerait pas un protocole suffisant pour les études sanitaires ; fermeture administrative si les aménagements n’étaient pas encore réalisés, ou insuffisants »écrivaient-ils le 1er mars dernier.

Les élus EELV demandent aussi que la parcelle attenante à l’usine, propriété de la CCI Grand Lille, ne soit pas cédée ou louée à l’entreprise avant qu’elle n’ait résolu, au moins en partie, les différents problèmes soulevés. Refinal souhaite en effet acquérir cette emprise de 4,5 hectares mais son directeur, Henri Rabotin, soutient qu’il n’y a pas là de projet d’extension de son activité…

Le 18 juillet prochain, à la suite d’un nouvel arrêté de la préfecture, Refinal est censée fournir un état des concentrations d’aluminium dans l’air à la sortie de son dispositif de dépoussiérage, sous peine d’amende. Une étude de plus… et la pollution continuera, soupirent les voisins de la fonderie.

Selon Lou Deldique, du cabinet d’avocats Green Law de Roubaix, les riverains ont intérêt à saisir le préfet pour déposer une réclamation fondée sur l’article R181-52 du code de l’environnement afin de contester l’insuffisance ou l’inadaptation des prescriptions. « Si l’État refuse, alors ils peuvent aller au tribunal administratif. La seule personne qui peut contraindre l’État aujourd’hui, c’est le juge. »

mediapart.fr