La contre-attaque juridique des opposants à Cigéo Bure

Communiqué commun – 07 septembre 2022

Projet CIGEO d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure : associations, syndicats et habitant.es déposent un recours contre la déclaration d’utilité publique et l’opération d’intérêt national

Le projet Cigéo, qui consisterait à enfouir en profondeur les déchets radioactifs  – d’origine civile et militaire – les plus dangereux, ne doit pas voir le jour ! Aujourd’hui, 32 organisations et 30 habitant.es viennent de déposer un recours contestant la déclaration d’utilité publique qui lui a été accordée par décret le 7 juillet 2022, ainsi que son classement parmi les « Opérations d’Intérêt National ».

Des décisions douteuses en plein été…

Par un décret en Conseil d’Etat en date du 7 juillet 2022, le gouvernement a déclaré « d’utilité publique » le projet Cigéo à Bure.
Cette décision se situait dans la continuité du rapport des commissaires enquêteurs qui, malgré les avis négatifs et étayés de la population, de certaines collectivités locales et institutions ainsi que de nos organisations, ont rendu un avis favorable.

Parallèlement, un décret d’Opération d’Intérêt National (OIN) a été pris par la Première ministre, favorisant ainsi l’implantation de Cigéo en lui permettant de déroger à certaines règles d’urbanisme et en donnant tous  les pouvoirs à l’État au détriment des collectivités locales.

Ces deux procédures, DUP et OIN, permettent à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) d’acquérir la maîtrise foncière manquante pour les installations de surface et l’aplomb des ouvrages souterrains, soit environ 3 500 hectares (l’équivalent de la superficie
de Lille) et d’exproprier si besoin. Ces procédures risquent aussi de faciliter le début des travaux d’autres aménagements dits  « préparatoires » à Cigéo. Ces deux décrets sont ainsi censés permettre
d’ancrer physiquement sur le territoire un site industriel qui n’a pourtant encore reçu aucune autorisation et qui soulève de très lourdes interrogations en termes de sûreté, d’impacts environnementaux et de coût.

… contestées par 32 organisations et 30 habitant.es

Déterminés à lutter contre l’implantation de ce projet imposé, qui ferait courir des risques impensables aux générations futures, et refusant cette logique du fait accompli, nous, organisations de la société civile, collectivités, habitant.es de ce territoire, contestons aujourd’hui en justice ces deux décisions.

Risques technologiques majeurs entraînés par le choix de conception du site, risque de contamination des eaux souterraines, occultation d’un important potentiel géothermique, impossibilité d’intervenir en cas d’accident, évaluation douteuse des coûts du projet et provisions
insuffisantes pour le financer, insuffisances de l’étude d’impact environnementale, nombreuses atteintes à l’environnement et à la ressource en eau, risques pour les populations riveraines et les
générations futures…  Les arguments soulevés par nos avocat.es sont nombreux et mettent en lumière les graves lacunes d’un projet qui ne devrait jamais voir le jour !

– Téléchargez les recours  :

http://burestop.free.fr/spip/spip.php?article1044


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Associations et syndicats signataires


Abolition des armes nucléaires – Maison de Vigilance, Thierry Duvernoy, co-président
Arrêt Du Nucléaire 34, Gerard Pinsard, Co-Président
Arrêt du nucléaire Drôme Ardèche – Dominique Malvaud, porte-parole
ASODEDRA – Maurice Michel, Président
Attac France – Annick Coupé, porte-parole
ATTAC Vosges – Christophe Germain, porte-parole
Bure Zone Libre – Grégoire Pauly, membre de la collégiale de l’association Bure Zone Libre
Cacendr – Angélique Huguin, Co-Présidente
CEDRA – Jacques Leray, Porte-parole
Champagne Ardennes Nature Environnement
Collectif BureStop55 – Corinne François, administratrice
Confédération paysanne de Haute-Marne – Yoann Laurent, Porte-parole
Confédération paysanne de la Meuse –  Mathieu Orbion, Porte-parole
Confédération paysanne de Meurthe-et-Moselle –  David Abraham, Porte-parole
Confédération paysanne des Vosges – Thierry Jacquot, Porte-Parole
Confédération paysanne Grand Est –  Thierry Jacquot, Porte-Parole
Confédération paysanne Nationale –  Nicolas Girod, Porte-parole
EODRA élu⋅es opposé⋅es à l’enfouissement –  Jean-Marc Fleury, Président
France Nature Environnement – Arnaud Schwarz, Président
Global Chance –  Bernard Laponche, Président,
Greenpeace France – Pauline Boyer, Chargée de campagne
L’Assoce Tomate –  collectif
Les Habitants Vigilants du canton de Gondrecourt-le-Château –
Jean-François Bodenreider, Président
Les Semeuses, collectif
Meuse Nature Environnement – Jean-Marie Hanotel, Président
Nature Haute Marne – Jean-Marie Rollet, Président,
Réseau « Sortir du nucléaire » – Joël Domenjoud, administrateur
Sortir du Nucléaire 72 – Martial Chateau, Président
Stop Transports-Halte au Nucléaire – Rémi Verdet, Président
Tchernoblaye – Stéphane Lhomme, Président
Vosges Alternatives au Nucléaire, Pierre Fetet, Co-Président
Vosges Nature Environnement, Alain LAMOTTE, Administrateur


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ANNEXE

Cigéo, un projet dangereux aux nombreuses incertitudes 

Un projet complètement démesuré

Le projet CIGEO confisquerait environ 3 500 ha pour les installations de surface (zone de descenderie, zone puits,  liaison intersites, installation terminale embranchée*, poste et ligne électriques) et l’aplomb de la zone d’implantation des ouvrages souterrains (2 900 ha).
Il faut ajouter une cinquantaine d’hectares pour l’emprise d’autres aménagements dits « préparatoires » (déviation routière, voie ferrée, canalisations).  L’ensemble représente l’équivalent de la surface d’une ville comme Lille ! Environ 38270 km de galeries (soit une longueur supérieure à celle du métro de Paris) seraient creusées et remplies de déchets concentrant plus de 99,8% de la radioactivité produite par l’industrie nucléaire française.

De nombreuses incertitudes

Cigéo a été déclaré d’utilité publique alors même que de nombreuses incertitudes existent toujours. Ainsi, on ne connaît pas exactement la nature et la quantité des déchets radioactifs qui seraient stockés, son coût de construction puis d’exploitation et de jouvence** pendant environ 150 ans, ni tous les impacts sanitaires et environ-nementaux du projet. À ce stade, ni l’analyse des risques ni l’étude précise de danger n’ont été suffisamment approfondies.

Un coffre fort géologique fissuré ?

Selon les concepteurs de Cigéo, au regard de la nature des couches géologiques et de leur épaisseur, la radioactivité arriverait finalement en surface à une vitesse si lente qu’elle ne présenterait alors plus de risques.

Ce principe « simple » fait fi de la réalité « complexe ». La nature de ces couches n’est pas homogène et ne elles ne seraient pas aussi « étanches » que prévue. Par ailleurs, l’épaisseur de la couche géologique n’est pas aussi importante qu’il le faudrait, notamment compte-tenu du pendage (angle d’inclinaison) des couches géologiques. Enfin, la méthode de creusement des galeries induit des fissures importantes dans la roche et donc autant de fuites potentielles de la radioactivité.

Comment, dans ces conditions défavorables et en l’absence d’études fiables, la radioactivité sera-t-elle réellement contenue, sans parler des conduits d’accès entre la surface et le fond, des dispositifs
d’aération et de l’étanchéité du système de fermeture définitive ?

*Voie ferrée desservant spécialement le site

** Selon l’Andra (p88, pièce 6 vol II, de l’étude d’impact), « La jouvence est une phase de travaux permettant de remplacer un système ou un bâtiment dans son ensemble, parce que sa maintenance en est devenue extrêmement difficile « .  Autrement dit, c’est un remplacement d’installations non réparables.

https://www.stopcigeo-bure.eu/


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C’est le fruit d’un long travail. Un collectif d’associations a déposé un recours au Conseil d’État compilant les lacunes du projet d’enfouissement des déchets nucléaires Cigéo, dans la Meuse.

Des milliers de pages de dossiers techniques épluchées, des semaines de préparation, avec pour résultat un pavé de deux cents pages. Mercredi 7 septembre, trente-deux organisations réunies au sein du Front associatif et syndical contre Cigéo et trente habitantes et habitants de Meuse et de Haute-Marne ont déposé un recours commun au Conseil d’État. Objectif, casser les décrets déclarant d’utilité publique et classant comme opération d’intérêt national (OIN) le projet d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure (Meuse).

Ces textes officiels, signés par la Première ministre Élisabeth Borne le 7 juillet dernier, accordent des droits étendus à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) et à l’État. En désignant Cigéo comme OIN, l’État se réserve en effet le pouvoir de définir les politiques d’urbanisme et d’aménagement locales et de délivrer les autorisations d’occupation des sols, parmi lesquelles les permis de construire – normalement une prérogative des mairies. Quant à la déclaration d’utilité publique (DUP), elle permet d’exproprier des propriétaires installés sur l’emprise du projet. Un soulagement pour l’Andra, qui doit encore acquérir une centaine des 665 hectares nécessaires aux installations de surface de Cigéo.

Pour préparer leur recours, les opposants se sont penchés sur le dossier d’enquête publique préalable à la DUP. L’étude d’impact les a particulièrement intéressés. « On y a relevé de nombreuses insuffisances, explique à Reporterre Maxime Paquin, représentant de France Nature Environnement (FNE) au sein du Front associatif et syndical. Par exemple, l’impact du chantier puis de l’installation sur les eaux souterraines du territoire n’a pas été suffisamment étudié. » Mêmes lacunes, à en croire les opposants, sur les conséquences du projet sur la biodiversité locale, sur les conséquences des installations connexes au stockage – déviation routière, voie ferrée, réseau d’induction d’eau potable, transformateur et ligne électrique très haute tension –, le risque d’incendie et d’explosion et les effets d’un éventuel séisme dans les galeries de stockage… « On ne sait toujours pas exactement quels déchets seront stockés à Cigéo, dénonce encore Maxime Paquin. Quid des colis bitumés, qui dégagent de l’hydrogène et peuvent exploser au-delà d’une certaine température ? [1] Leur sort n’est toujours pas tranché. »

L’évaluation du coût total du projet n’a pas non plus été réactualisée depuis… 2016. La ministre de l’Écologie de l’époque, Ségolène Royal, l’avait alors fixé à 25 milliards d’euros – une manière de couper la poire en deux entre l’estimation des producteurs de déchets, 20 milliards d’euros, et celle de l’Andra, 34,4 milliards d’euros. « On sait très bien que ce sera beaucoup plus, mais le public n’a aucune information là-dessus, lance Maxime Paquin. Derrière, c’est toute la question du financement qui n’est pas posée, alors qu’il repose sur les provisions des producteurs de déchets et en particulier d’EDF. Et que ce dernier doit être bientôt nationalisé… »

En bref, le projet Cigéo n’est pas suffisamment mûr pour pouvoir être déjà déclaré d’utilité publique, arguent les opposants et leurs avocats. « L’Autorité de sûreté nucléaire, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire et l’Autorité environnementale disent eux aussi que des points importants relatifs à la conception et à la sécurité publique ne sont toujours pas réglés », rapporte Maxime Paquin. Selon ce dernier, le dossier d’enquête publique ne démontre en rien que Cigéo est réalisable et sa faisabilité ne pourra probablement jamais être démontrée : « On ne peut pas assurer la sécurité d’un projet pareil, aussi démesuré et inédit dans le monde, sur des milliers d’années. »

« On ne peut pas assurer la sécurité d’un projet aussi démesuré »

Ce dépôt n’est que la première étape d’une longue bataille juridique. Avant que le Conseil d’État ne rende sa décision sur les décrets DUP et OIN, les requérants et l’Andra ont un an pour échanger des mémoires d’arguments et de contre-arguments. Surtout, le recours n’est pas suspensif, c’est-à-dire que l’Andra pourra avancer le chantier en expropriant des habitants si besoin. Même si aucune expulsion n’a eu lieu depuis la publication des décrets, cette perspective inquiète Régine Millarakis, administratrice de Lorraine Nature Environnement et membre du Front associatif et syndical. « On ne sait pas du tout dans quelle mesure l’Andra a envie d’aller très vite ou pas, observe-t-elle. Or, après la DUP et l’OIN, il peut se passer plein de choses sur le terrain et notamment le lancement des chantiers préalables : défrichement du bois Lejuc, dépôt des dossiers pour le chantier du poste RTE et de la ligne à 400 000 volts, réalisation de la voie ferrée et du terminal embranché… » Par ailleurs, l’Andra a annoncé qu’elle déposerait une demande d’autorisation de création (DAC) d’ici la fin de l’année 2022. « Si ça se trouve, on va devoir très prochainement se replonger dans un dossier encore plus énorme… », soupire Maxime Paquin.

Quoi qu’il en soit, la publication de ces décrets a été comme un électrochoc pour les opposants et les riverains, constate Régine Millarakis. Le festival des Bure’lesques, du 5 au 7 août dernier, a réuni 2 000 personnes, une affluence record. Avec, sur le parking, un nombre inédit de voitures immatriculées de la Meuse et de la Haute-Marne. « Les gens sont inquiets par rapport au projet et à ce qui va se passer localement, observe Régine Millarakis, qui habite à une heure d’auto du laboratoire de l’Andra. Je n’ai jamais vu autant de monde aux conférences : il n’y avait plus de place sous le chapiteau, ni assise, ni au sol ! Le besoin d’information était énorme. Et les participants nous ont confié que ce festival avait ravivé leur énergie militante. »

Notes

[1] Il est prévu de stocker des colis enrobés de bitume. Ces fûts, qui représenteront environ 18 % des déchets stockés par Cigéo, sont très inflammables.

reporterre.net