La France touche le fond

On pourrait même dire qu’elle le racle

Nous assistons depuis trois semaines à une séquence inédite. Non seulement le gouvernement a lancé une opération de diabolisation et de répression violente des mouvements écologistes qu’aucun gouvernement de la Vème République n’avait jamais menée jusqu’ici, mais il vient également de générer lui-même pertes et fracas dans les ports de pêche de France sur la base de mensonges pyromanes martelés par le secrétaire d’État à la mer, Hervé Berville.

Il résulte de la manœuvre terriblement cynique du gouvernement un renforcement de la position dominante des lobbies industriels les plus destructeurs de l’environnement et un choix très clairement assumé par la France de ne jamais protéger l’océan et le climat. 

Retour sur une affaire grave à laquelle nous entendons évidemment donner suite.

Intox et fake news : le gouvernement tombe bien bas  

M. Berville, dans une séquence rondement menée avec ses complices politiques du Comité national des pêches maritimes, le CNPM (l’équivalent de la FNSEA pour l’agriculture), a mis le feu au littoral français en annonçant aux pêcheurs, sur un ton apocalyptique, leur mort, non pas prochaine mais immédiate.

Les mensonges incendiaires du secrétaire d’État se sont transformés en flammes très réelles dans différents ports de pêche, le chaos aboutissant même à de graves dégradations matérielles, notamment pour le siège de l’Office français de la biodiversité (OFB) à Brest, parti en fumée le 30 mars dernier.

Nous décryptons ci-dessous la stratégie du secrétaire d’État et de ses alliés industriels ainsi que ses implications pour la vie publique et la conduite du changement nécessaire de nos sociétés face au péril, réel celui-ci, du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité

Une escalade de mensonges pyromanes  

Le 8 mars au Sénat, Hervé Berville donne le « la »

Rappelez-vous : après la sortie du « Plan d’Action pour l’Océan » de la Commission européenne qui rappelle aux États membres qu’ils doivent interdire les engins industriels comme le chalutage de fond dans les aires marines dites « protégées », le secrétaire d’État se positionne résolument du côté du lobby du chalut et martèle : « Le gouvernement est totalement opposé à (…) la mise en œuvre de l’interdiction des engins de fond dans les aires marines protégées. Totalement, clairement, et fermement. »

M. Berville fait tomber les masques. La France, après s’être fait passer pour la championne de la protection marine et avoir clamé sur la scène internationale que nous protégions « plus de 30% de nos eaux », assume désormais de s’opposer formellement à la protection de l’océan et même à la protection… des zones protégées.

Galvanisé par le soutien indéfectible des lobbies du chalut et de la pêche industrielle, M. Berville entame après cette allocution une surenchère clientéliste incontrôlée.

Le 15 mars à l’Assemblée : le dérapage commence

M. Berville affirme devant la représentation nationale que le plan de la Commission européenne « condamnerait la pêche artisanale française et l’amènerait à disparaître. Pas dans 10 ans, demain (…) et surtout amènerait (…) à ce qu’on ait simplement de la pêche industrielle dans nos territoires. »

Cette séquence, très dense en mensonges, mérite d’être décryptée :

  1. Les AMP (aires marines protégées) permettent précisément de protéger la pêche artisanale puisqu’elle seule est autorisée à pêcher dans les zones protégées. Alors que les zones de protection « stricte » interdisent toute activité humaine, une aire marine protégée, au sens large, interdit la pêche et les activités industrielles mais autorise la pêche de petite taille (moins de 12 mètres), sélective et « passive » (à l’inverse des engins tractés).

  2. Les AMP sont ainsi le meilleur moyen de mettre fin à l’emprise de la pêche industrielle en créant un espace de travail exclusif pour les petits artisans respectueux de l’environnement. Hervé Berville ne protège que l’industrie chalutière avec de tels propos et condamne une fois de plus la pêche artisanale à la concurrence déloyale que celle-ci subit face aux industriels.

  3. Hervé Berville ment aussi à propos de l’échéance en affirmant que le secteur est condamné dès « demain ». Le « Plan d’Action pour l’océan » de la Commission européenne n’a malheureusement rien de contraignant et ne fait que rappeler les États à l’ordre étant donné que nous sommes supposés interdire les engins de pêche impactants dans les zones Natura 2000 au titre de la Directive Habitats (contraignante, elle) depuis… 1992 ! La Commission aurait pu (et dû) ouvrir des procédures d’infraction à l’encontre d’États comme la France qui ont créé des zones faussement protégées depuis 31 ans, mais au lieu de cela, la Commission a manqué de courage et choisi de ne sortir qu’un « plan d’action » non contraignant qui indique un « cap ». Ce que nous avions d’ailleurs regretté au moment de la sortie du Plan d’Action, le 21 février 2023.

Dire que la pêche est condamnée « demain » est donc une tromperie grave qui a généré des actes aux conséquences lourdes

Hervé Berville surexcite les esprits dans les médias

Le secrétaire d’État pèche par excès de zèle et part en roue libre dans les médias. Sur France Bleu Armorique le 31 mars, Hervé Berville monte encore d’un cran dans la gravité des propos qu’il tient et annonce la mort de toute la filière pêche :

« Cette décision ne vise pas à interdire le chalutage, mais à interdire tous les engins mobiles de fonds. Et donc ça voudrait dire, pour les Bretons qui nous écoutent, qu’en 2024, nous devons dire à nos pêcheurs à la coquille, qui ont montré depuis des décennies qu’ils protègent la ressource, qui la valorisent, qu’ils doivent arrêter purement et simplement leurs activités. Il faudrait aussi dire aux producteurs d’huîtres plates du sud de la Bretagne qu’il faut stopper toute activité en 2024, aux pêcheurs artisanaux côtiers, qu’il faut arrêter toute activité. »

Ce discours de marchand de peur est en filigrane parfaitement eurosceptique puisqu’il parle d’une « décision » de Bruxelles alors que :

  • Ce n’est qu’une « orientation » non contraignante donnée par la Commission européenne, même pas une proposition législative et encore moins une « décision ».

  • Le cap fixé ne concerne que les zones protégées et non pas toutes les eaux françaises.

  • L’échéance indiquée par la Commission pour que les États se mettent enfin à protéger l’océan, le climat et les pêcheurs artisans est 2030 et non 2024.

  • L’échéance de 2024 ne concerne que les zones Natura 2000 désignées au titre de la Directive Habitats et qui devraient donc déjà interdire le chalutage de fond depuis 1992

Le secteur s’enflamme, le siège de l’Office français de la biodiversité brûle

Le 20 mars, une décision du Conseil d’État ordonnant au gouvernement de prendre des mesures pour protéger les dauphins, victimes d’une hécatombe en raison des activités de pêche, est mêlée aux discours confus tenus par les « pêcheurs en colère ».

Le 28 mars 2023, les représentants politiques du secteur qui trahissent depuis des décennies les travailleurs de la mer en ne défendant que les industriels du secteur, récupèrent le mouvement de contestation en lançant l’opération « filière morte » et en attisant la haine contre les associations de défense de l’environnement.

Chauffés à blanc par les incantations du secrétaire d’État, amplifiées par les représentants des industriels, les pêcheurs prennent la rue : manifestations, blocages de ports, heurts avec la police, blessures et violences.

Le 30 mars à Brest, les pêcheurs s’en prennent à l’Office français de la biodiversité (OFB), chargé de la création et de la gestion des aires (soi-disant) protégées françaises. Des fumigènes sont lancés, un incendie se déclare quelques heures plus tard. Une enquête judiciaire est ouverte

Politiques et industriels s’allient pour préserver leur ascendant

Dès le début du désordre généré par le gouvernement, les organes politiques de la pêche française sont soutenus par les industriels néerlandais (Vissersbond et VisNed) qui se frottent les mains de voir que les pêcheurs artisans se laissent instrumentaliser contre la protection de l’environnement.

Les industriels de la pêche ont tout intérêt à ce que rien ne change puisque le statu quo leur profite : les aires marines protégées les excluraient de zones de pêche entières alors qu’ils ont réussi, depuis des décennies, à sécuriser à leur avantage les licences, les quotas, les zones de pêche, les décisions politiques et le fléchage de l’argent public.

Tout ce dont les lobbies ont besoin, c’est de dissocier les pêcheurs artisans d’un combat mené en commun avec les ONG contre leur emprise industrielle sur le secteur

Objectif : scinder les alliances pêcheurs-ONG qui menacent les industriels

Les politiques et les lobbies instrumentalisent donc le « Plan d’Action pour l’Océan » de la Commission européenne en faisant croire à un péril qui n’existe pas (puisque la France est supposée protéger l’océan depuis… 1992) pour scinder les alliances pêcheurs-ONG qui menacent les industriels et réunifier derrière eux le secteur de la pêche.

Les industriels ne se trompent pas : les seules décisions simultanément bénéfiques à l’environnement et au secteur de la pêche côtière ont été remportées grâce à la mobilisation conjointe des pêcheurs et de BLOOM.

Des avancées concrètes comme notre victoire spectaculaire contre la pêche électrique en 2019 se sont faites contre l’État français et contre le Comité national des pêches maritimes, et grâce à une campagne, main dans la main, entre BLOOM et les pêcheurs côtiers.

Pour rappel, c’est encore une alliance BLOOM-pêcheurs côtiers qui avait permis de gagner l’interdiction de la senne démersale en juillet 2022 au Parlement européen. Mais c’est Hervé Berville qui a ensuite trahi les pêcheurs français en refusant cette interdiction en trilogue à Bruxelles, en septembre de la même année. Sa décision ne favorisait que les industriels néerlandais destructeurs de l’océan et abandonnait les pêcheurs français à leur disparition programmée, comme le gouvernement l’avait fait pour la pêche électrique.

Aujourd’hui, c’est encore BLOOM qui porte le fer contre les pêches industrielles et défend la protection de l’environnement en même temps que la survie des économies littorales en proposant l’interdiction des navires de plus de 25 mètres dans les 12 milles nautiques de l’UE. Or cet amendement, ESSENTIEL pour la survie des pêcheurs côtiers et déposé au Parlement européen grâce aux députés EELV Marie Toussaint et Yannick Jadot rencontre, comme les autres mesures environnementales et sociales ambitieuses du texte sur la « Restauration de la Nature », l’opposition des députés Renaissance, Les Républicains et Rassemblement National.

Les leçons à tirer de ce lamentable épisode

BLOOM a produit une analyse décryptant la stratégie perverse du pouvoir. Notre communiqué de presse a permis d’établir une contre-narration critique des éléments de langage trompeurs qui avaient été façonnés par le secrétaire d’État pour se faire artificiellement passer pour le héros des pêcheurs.

Les pêcheurs artisans commencent à prendre conscience de « l’arnaque » politique opérée par le secrétaire d’État avec le Comité national des pêches maritimes (CNPM) et les gros armateurs industriels. L’amertume est grande…

Le sénateur écologiste Jacques Fernique s’est adressé à Monsieur Berville lors de la session des ‘Questions au Gouvernement’ cette semaine en soulignant que prétendre défendre les pêcheurs artisans en formant équipage avec les tenants du chalutage de fond était comme « subventionner Amazon en prétendant protéger les commerces de proximité ! »

Les solutions existent, n’attendons plus !

Tout l’enjeu de la planification écologique est de minimiser les impacts sur le vivant, les habitats et le climat tout en maintenant le cap de la justice sociale. En régénérant les populations de poissons, il sera même possible de créer de l’emploi, encore faut-il que ce soit une priorité, plutôt que de soutenir la destruction des emplois générée par l’échelle industrielle.

« On ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages » disait le grand helléniste et résistant Jean-Pierre Vernant. Ce n’est donc pas avec les autorités publiques actuelles ni avec les représentants « officiels » du secteur, en réalité des lobbies industriels, que les voies d’avenir pourront être élaborées.

Élaborons les scénarios d’avenir

Qu’à cela ne tienne ! BLOOM a un plan pour prendre les choses en mains et mener les recherches pratiques et collaboratives qui permettront de sortir des voies de garage dans lesquelles les industriels et leurs soutiens politiques nous enferment. 

Les solutions sont nombreuses et faciles à mettre en œuvre si tant est qu’il y ait de la volonté, une méthode claire et un cap partagé.

Les pêcheurs de bonne foi, conscients et responsables, sont nombreux. Ce ne sont pas ceux qu’on a le plus entendus récemment. Ils souffrent d’ailleurs de la dégradation de leur image auprès du grand public. Certains pratiquent pourtant eux-mêmes des méthodes de pêche destructrices comme le chalutage. Ils savent bien que l’état de la biodiversité marine et du climat oblige à repenser les modes de production et à remiser au placard des engins qui n’auraient, en fait, jamais dû apparaître.

Mais vers quoi convertir les métiers ? Vers quelles espèces ? Quelles zones de pêche ? Sur quels quotas ?

Tant que ces questions absolument essentielles n’auront pas trouvé réponse, la transition écologique et la protection de l’océan généreront de la peur, voire du rejet. Forger des scénarios d’avenir avec et pour le secteur de la pêche est la façon la plus sûre de gagner sur les tableaux écologique et social.

association Bloom