Pierre Philippe, médecin urgentiste, fut un lanceur d’alerte
Discret mais tenace médecin urgenste à Lannion (Côtes-d’Armor), le Trégorrois Pierre Philippe s’est retrouvé en première ligne des algues vertes : à parr de 1989, elles se sont immiscées à trois reprises dans son service où ont été transportées les vicmes très probables de l’hydrogène sulfuré que ces algues dégagent en se décomposant.
Après la BD d’Inès Léraud, c’est au tour du cinéma de camper son rôle dans le film Algues vertes de Pierre Jolivet, qui sortira le 12 juillet 2023.
«« Je ne suis pas à mettre en avant plus qu’un autre dans ce dossier. Chacun a eu son rôle… et son lot d’obstination ! Moi avec ce film, je repense à ce joggeur de 1989, mort sur la plage sans que sa famille n’en ait jamais connu la vraie cause. Il aura été en quelque sorte le patient zéro… »
Drôle d’impression de se voir incarné sur le grand écran ? Tout juste « curieux ! » pour Pierre Philippe, qui n’est pas homme à en faire des tonnes. « Ce film démontre surtout qu’on a été plusieurs à jouer un rôle dans ce qui se regarde aujourd’hui comme une enquête. À mon niveau, j’avais une conviction, mais il fallait une preuve tangible… »
La sortie imminente du film Les Algues vertes fait rembobiner à cet ancien urgentiste breton ses années de persévérance pour faire admettre la dangerosité de ces algues, fil rouge de sa carrière. Une carrière médicale passée à l’hôpital de Lannion (Côtes-d’Armor) dont l’algue « sulfureuse » a poussé la porte à intervalles réguliers. Amenant progressivement Pierre Philippe à faire un lien avec les victimes et à devenir un lanceur d’alerte.
Un poison même au grand air
Pour ce Trégorrois, il y a un avant et un après 1989 : le corps transporté par l’ambulance ce jour de juillet aux urgences taraude pour longtemps le jeune médecin. « Un joggeur de 26 ans avait disparu depuis trois jours quand il a été retrouvé sans vie sur la plage à Saint-Michel-en-Grève. »
À l’ouverture de la housse renfermant le corps, l’odeur est insoutenable. Enfant du pays, Pierre Philippe reconnaît là une puanteur devenue très locale : celle des algues vertes.
Saisissante, la séquence ouvre (ou presque) le long-métrage de Pierre Jolivet tout comme la BD dont il s’inspire, signée de la journaliste d’investigation Inès Léraud, Algues vertes, l’histoire interdite. L’hydrogène sulfuré dégagé par la putréfaction de l’ulva armoricana, « c’est un poison cellulaire très violent comme le cyanure, y compris au grand air comme sur les plages », comprend celui qui diagnostique un risque sanitaire tapi sous les couches d’algues.
Un jour d’été 1999, leur spectre passe à nouveau le seuil des urgences où vient d’être admis « un ramasseur d’algues, pris de convulsions inexpliquées ». Dès lors, Pierre Philippe estime de son « devoir » d’aviser les autorités sanitaires.
Et demande à la justice, « à plusieurs reprises, le rapport d’autopsie du joggeur de 1989 ». Écoute polie, fins de non-recevoir et courriers restés lettre morte…
Mais l’homme commence à voir rouge avec une série noire qui s’ouvre en 2008 par les morts simultanées de deux chiens à Hillion, un peu plus à l’est de son département.
De forts coefficients de marées vertes
Le danger couve depuis longtemps déjà : l’été 1971 marque le début de forts coefficients de marées vertes à Saint- Michel-en-Grève. « Pourtant, ça n’a pas été toujours comme ça, se remémore Pierre Philippe. Petit, j’accompagnais mes parents, poissonniers, dans leur tournée des restaurants du coin et je me rappelle ici d’une grève magnifique ».
La petite algue se retrouve peu à peu « dopée » dans sa croissance par les excédents de nitrates qui lui parviennent des cours d’eau, sous l’effet de l’agriculture intensive dans laquelle s’est engagée la Bretagne depuis les années 1960.
Mais c’est encore l’époque où l’assumer serait écorner la carte postale de la Bretagne et froisser l’image de l’agriculture.
À force d’enlisement, la tentation de laisser tomber ? Du genre « obstiné, voire un peu emmerdant ! », le Trégorrois de 64 ans croit à la force d’« un combat quand il est juste. Imposer la vérité en est un, je crois. » Inoxydable, sa détermination force encore aujourd’hui l’admiration de ses anciens collègues de l’hôpital qui parlent d’un homme « discret, humain, très droit et rigoureux ».
« Une suspicion devenue conviction »
« En 1989, j’avais une suspicion. En 1999, elle est devenue une conviction. En 2009, une certitude », résume l’intéressé. La pièce manquante lui arrive en effet cet été-là, à l’hôpital de Lannion où est transporté en urgence un cavalier pris de convulsions, dont le cheval a trouvé la mort brutalement sur la plage de Saint-Michel-en-Grève. « Il a vraiment fallu se battre mais à l’initiative du cavalier, des analyses ont été enfin menées qui ont établi que l’hydrogène sulfuré était bien en cause. »
Ça sent le soufre jusqu’à Paris, où le gouvernement dépêche quatre ministres sur le sable de Saint-Michel-en-Grève.
« Là, on pouvait avoir la certitude d’être dans le vrai ! », glisse Pierre Philippe, l’oeil rieur. Mais le regard s’assombrit à l’évocation du décès de Thierry Morfoisse, cet été de 2009, au volant de son camion de transport d’algues à Binic.
Et d’un joggeur, en 2016, dans l’estuaire du Gouessant. L’absence de prélèvement sanguin systématique en cas de décès suspect révolte les militants écologistes et des scienfiques.
« Médiatiser, c’est briser la loi du silence », avance Pierre Philippe, confronté aux « pressions » et aux « bâtons dans les roues ». La complémentarité de sa voix avec celles d’associations environnementales, dont il évoque le rôle « tellement important dans ce dossier », n’a pas fait de lui un militant. Le scientifique, passionné de biodiversité, ayant pris garde de « rester dans mon rôle ». Et d’ajouter : « Je ne me suis jamais laissé intimider. Mais j’avais peur d’une chose, le discrédit », notamment après « une tentative de déstabilisation », tempête encore ce médecin au pied marin.
Aujourd’hui, l’azur et la mer infusent leur lumière sur la grève que traverse Pierre Philippe, à la retraite. « Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il y a probablement eu d’autres accidents dont on n’a pas eu connaissance… » Mais comme Inès Léraud l’a écrit : « Si Pierre Philippe n’avait pas été urgentiste à l’hôpital de Lannion, saurait-on que les marées vertes ont tué ? Probablement pas… ».
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