PISA : dramatisation et instrumentalisation

« baisse sans précédent », « le niveau dégringole »

Voici quelques titres de la presse après les résultats de l’enquête PISA. Pourquoi une telle dramatisation (excessive) ? Peut-être pour justifier l’instrumentalisation par Gabriel Attal ? Le Ministre profite de l’occasion pour dérouler des réformes destinées à « redonner de l’exigence » mais surtout à dessiner une école rétrograde.

 « des résultats en France parmi les plus bas jamais mesurés », « une baisse historique », la Presse n’est pas avare de superlatifs pour décrire les résultats de PISA. 

Pourtant quand on lit le détail du rapport et quand on écoute le briefing fait par les experts de l’OCDE dans leur présentation à la presse, on se dit qu’il y avait une autre lecture possible de ce rapport.

 

Dramatisation imméritée

Le rapport consacré à la France le dit très clairement : « la France n’échappe pas à la baisse de performance observée dans la plupart des pays de l’OCDE sur la période 2018-2022 » Cela s’explique principalement par la pandémie même si d’autres raisons peuvent être trouvées. Et les experts de l’OCDE précisent que « la performance obtenue par les élèves en France est au niveau de la moyenne OCDE. ». Les élèves français ont en moyenne obtenu « 474 points en mathématiques au test du PISA 2022, ce qui la place au niveau de la moyenne de l’OCDE (472 points).»

Pour le dire autrement, il y a donc une baisse notable et même assez forte en maths (et dans une moindre mesure en littéracie pour la France mais cela reste assez comparable aux autres pays. Pour certains la baisse est même plus forte, c’est le cas de l’Allemagne et même de la Finlande. On n’est pas le seul pays à chuter !

La dramatisation permet de faire des gros titres, la nuance est moins vendeuse…

 

L’ « équité » grande absente des commentaires

Relativiser ne veut pas dire pour autant qu’il faut se réjouir de la situation actuelle. Même s’il est bon de rappeler qu’il ne faudrait pas réduire Pisa à une compétition avec les autres pays, on ne peut se satisfaire pour autant de compétences moyennes et en baisse.

Mais surtout on ne peut s’accommoder de la faible équité en France. Ce concept désigne dans le vocabulaire de l’OCDE, le poids du statut socio-économique dans les résultats scolaires. Et là, nous sommes les champions ! Et pourtant, on n’en parle pas…

« En France, les élèves issus de milieux socio-économiques favorisés (situés dans le quartile supérieur de l’indice PISA de statut économique, social et culturel), ont obtenu des résultats supérieurs de 113 points à ceux des élèves défavorisés (situés dans le quartile inférieur de l’indice PISA de statut économique, social et culturel) en mathématiques. Il s’agit de l’un des plus importants écarts liés au milieu socio-économiques (écart moyen parmi les pays de l’OCDE de 93 points. »

Les performances en mathématiques et en compréhension de l’écrit sont donc fortement corrélées avec le statut socio-économique des élèves. Cette variable prédit 21 % de la variation des performances des élèves en mathématiques en France dans PISA 2022 (à comparer à 15 % en moyenne dans les pays de l’OCDE), et 17 % de la variation en compréhension de l’écrit (à comparer à 13 % en moyenne dans les pays de l’OCDE).

On peut souligner aussi que les élèves défavorisés  ont 10 fois plus de “chance” (!) que les élèves favorisés de se retrouver parmi les élèves peu performants en mathématiques

C’est une constante depuis la création de Pisa. La France est « le pays du grand écart », comme le soulignait déjà en 2009 Baudelot et Establet.

 

Instrumentalisation

Si la dramatisation permet de faire des gros titres, elle permet aussi de justifier une politique. C’est ce qui se produit avec la très habile communication du ministre le même jour que les résultats

Celui-ci avait inscrit la date du 5 décembre dans son agenda avec ses annonces prévues à l’issue de la mission « exigence des savoirs ». Il avait aussi semé des petits cailloux sur son chemin médiatique pour y arriver : « tabou » du redoublement, groupes de niveaux, harcèlement, place des écrans…

Or, surprise, tous ces thèmes font partie du rapport Pisa consacré à la France ! Transmission de pensée ou connivence ? Eric Charbonnier, expert de l’OCDE affirme : « Nous sommes là pour établir un diagnostic, charge au politique ensuite de choisir son remède ». Mais il n’en est pas moins vrai que les rapports PISA sont devenus au fil des années, un instrument avec lequel jouent les politiques et qu’ils servent, de fait à justifier les politiques menées.
En son temps, Vincent Peillon en 2013, avait présenté sa loi de refondation comme un « choc PISA » pour lutter contre les inégalités.

Aujourd’hui, en 2023, Gabriel Attal affirme vouloir « remettre de l’exigence » (en laissant entendre qu’il n’y en avait pas avant ?) et propose un « choc des savoirs ». Il remet en question le collège unique en le qualifiant de « collège uniforme » et déplore qu’une « trop forte hétérogénéité de niveau freine la capacité à faire progresser tout le monde ».

 

PISA au goût de naphtaline

La concordance des annonces d’Attal avec la publication de PISA a plusieurs fonctions. Cela permet d’abord de faire oublier certains aspects du rapport comme la question de l’équité que nous avons déjà évoquée. Une autre donnée intéressante est celle de la pénurie d’enseignants. Dans plus de la moitié des pays, davantage d’élèves étudient dans des écoles où l’apprentissage est freiné par le manque d’enseignants, selon les chefs d’établissement. Mais c’est en France que l’écart est le plus important :  67 % en 2022 contre 17 % en 2018 (soit un écart de 50 points).

L’autre fonction de ces annonces c’est, évidemment  de donner l’image de l’action et de justifier une politique.

Notons toutefois que si la situation de la France est celle qu’elle est, c’est aussi le résultat de l’inaction de Blanquer qui n’a rien fait pour le collège dans lequel ont évolué les élèves nés en 2006 et concernés par les tests Pisa.

Avec les mesures annoncées, Gabriel Attal nous roule non seulement dans la farine, mais ressort des vieilles recettes qui sentent la naphtaline !

Il propose une réforme des programmes du Primaire d’abord en CP-CE1-CE2 avant de poursuivre l’année suivante avec le cours moyen. La méthode dite « de Singapour » est présentée comme une panacée pour l’apprentissage des maths. Encore une fois, on impose une méthode mais on va plus loin encore puisqu’on va labelliser des manuels « officiels »

Au Collège, on instaure des groupes de niveaux en maths et en Français d’abord en 6ème et 5èmeavant de les généraliser l’année suivante. On les présente comme un moyen de résoudre les difficultés grâce à une aide spécifique. Mais, même si on affirme qu’ils seront flexibles, ces groupes de niveau peuvent être lus aussi comme un moyen de tenir à l’écart les plus faibles accusés de « ralentir » les autres.

C’est en fait une profonde remise en cause du Collège Unique et une forme de sélection précoce. Cette mesure peut plaire aux familles des classes moyennes qui subissent la pression scolaire et la peur du déclassement. Cette école du tri social  nous ramène près de cinquante ans en arrière…

Une autre mesure peut plaire aux enseignants ou du moins à une partie d’entre eux. Dans la lettre qui leur est adressée Gabriel Attal écrit : « d’année en année, de réforme en réforme l’autorité de votre expertise pédagogique a pu être progressivement affaiblie…» et il poursuit « Notre école a besoin d’une revitalisation pédagogique à la main des enseignants ».

Et il propose donc de redonner le dernier mot aux enseignants pour les décisions de redoublement et pour la notation au Brevet et au Bac. Il joue ainsi sur le désarroi des enseignants qui déplorent une perte de prestige en leur redonnant un pouvoir plus important sur l’évaluation et l’orientation.

On notera cependant  la contradiction entre la « reconnaissance pédagogique » des enseignants et la mise en place de méthodes obligatoires et certifiées à l’école et pour les mathématiques.

On peut aussi se dire que pour retrouver du prestige », les enseignants préféreraient du pouvoir d’achat plutôt que ce « pouvoir » bien dérisoire qui va se heurter au manque de moyens et aux difficultés d’organisation.

Car c’est aussi une grande inconnue. Pour faire ces groupes de niveaux, Gabriel Attal déclare qu’il va y avoir la création de « milliers de postes ». Mais ce n’est pas dans le budget 2024 qu’ils se trouvent puisque 2500 postes sont supprimés ni dans les postes aux concours non pourvus…

 

Pis-aller…

Ces mesures sont un pis-aller… C’est un coup de com’ et une régression. Elles s’adressent à l’électorat d’Emmanuel Macron et à toute l’opinion publique nourrie de « niveau qui baisse » et de catastrophisme. Le discours du « retour de l’exigence » permet de se présenter comme un sauveur tout en déniant aux autres les qualités qu’on s’attribue.
Mais est-ce vraiment de l’ « exigence » que de s’accommoder d’une si forte inégalité ?

Philippe Watrelot ; ancien professeur de Sciences économiques et sociales, formateur, militant pédagogique ; abonné de Mediapart