Les mines et leur extraction

C’est un enjeu de souveraineté national face aux réticences locales

L’exécutif prévoit l’extraction de métaux critiques présents dans le sous-sol français, qui va être cartographié en 2024. Des projets sont déjà lancés ou à l’étude, mais l’acceptabilité sociale demeure faible.

« En France, on n’a pas de pétrole, mais on a du lithium », résumait Emmanuel Macron le 26 octobre 2022 sur France 2. Une réinterprétation du célèbre slogan inventé lors du premier choc pétrolier, cette fois pour annoncer la réouverture de mines sur le sol français, dont l’exploitation doit permettre d’extraire les matériaux entrant dans la fabrication de batteries, elles-mêmes nécessaires à la création d’une filière de voitures électriques en France. « C’est une stratégie de souveraineté, parce qu’on va produire des batteries », ajoutait le chef de l’Etat.

Depuis que le Covid-19 a révélé l’étendue de la dépendance du pays à l’égard de l’étranger dans plusieurs filières industrielles critiques, la notion de souveraineté s’est imposée dans le débat public, et s’entend désormais comme la capacité à produire sur le sol français.

Elle structure les plans d’investissement successifs depuis la crise sanitaire, notamment de France 2030, annoncé en octobre 2021 et doté de 54 milliards d’euros pour accélérer la création de filières stratégiques sur le sol français – batteries, semi-conducteurs, médicaments, mini-réacteurs nucléaires…

Peu mise en avant à l’époque, la question des ressources minières, au cœur de la transition écologique voulue par le gouvernement, qui s’appuie sur un vaste mouvement d’électrification de l’économie, est revenue au premier plan il y a quelques semaines, à l’occasion d’un déplacement du chef de l’Etat à Toulouse. En relançant l’exploitation des ressources minières telles que le lithium, le nickel, le cobalt sur le sol français, l’exécutif entend réduire sa très grande dépendance en matière d’approvisionnement en métaux critiques, pour lesquels la demande va exploser dans les années à venir.

« C’est la clé de notre souveraineté dans un monde où la géopolitique ne va pas se simplifier », a répété Emmanuel Macron le 11 décembre. Une offensive confortée par l’agenda de l’Union européenne, qui cherche elle aussi à sécuriser un accès durable en matières premières critiques pour la transition écologique.

Une tentative en 2014

Dès 2024, la France va donc « cartographier partout sur notre sol nos capacités à avoir des ressources minérales » pour « accroître notre indépendance », a détaillé Emmanuel Macron. Le tout devant être financé par un fonds auquel les investisseurs privés sont invités à contribuer.

« C’est un outil de résilience, ce serait trop bête de ne pas regarder si on sait exploiter ces ressources dans des conditions environnementales acceptables, indique le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la transition énergétique. C’est dans cet esprit que nous avons engagé la refonte du code minier. » Et que le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a été chargé de dresser un inventaire des ressources existantes – le dernier datant « des années 1970 ou 1980 », précise-t-on.

La question de la réouverture de mines sur le sol français n’est pourtant pas nouvelle. Il y a près de dix ans, Arnaud Montebourg, alors ministre du redressement productif, avait déjà eu l’ambition de sécuriser l’approvisionnement de la France dans le domaine des métaux et des terres rares, pour soutenir la compétitivité de l’industrie française. Il s’agissait alors de « réengager la France dans la bataille mondiale qui est aujourd’hui menée par les Etats, pour accéder aux ressources naturelles », avait-il expliqué à l’occasion d’un déplacement près d’une carrière de gypse à Montmorency (Val-d’Oise) en février 2014.

M. Montebourg avait alors annoncé la création d’une société minière publique, la Compagnie nationale des mines de France, dotée de 200 à 400 millions d’euros. Celle-ci devait s’appuyer sur le savoir-faire du BRGM et des moyens financiers de l’Agence de participation de l’Etat, ses coactionnaires, et nouer des alliances internationales. Une refonte du code minier avait également été lancée comme prélude à la réforme, et un inventaire actualisé des ressources du sous-sol français avait été demandé au BRGM. Emmanuel Macron, qui le remplaça à Bercy en août 2014, ne poursuivit pas cette politique.

Mouvements d’opposition

« On a perdu dix ans, c’est dommage, regrette Arnaud Montebourg aujourd’hui. Cela ne m’empêche pas d’approuver la politique actuelle de souveraineté du gouvernement. Mais je pense nécessaire que l’Etat soit opérateur, via une entreprise publique, et non seulement un fonds. Quand des start-up obtiennent des permis miniers, elles se font presque toujours retoquer devant le Conseil d’Etat car il y a des nuisances pour les riverains, qui demandent des contreparties économiques et financières. Seul l’Etat peut garantir cela. »

C’est sur le lithium que les possibilités semblent les plus prometteuses, puisqu’une quarantaine de gisements potentiels a été identifiée en France. Des projets de mines sont déjà lancés ou à l’étude dans l’Allier, le Finistère, ou en Alsace, faisant aussitôt l’objet de mouvements d’opposition locaux.

Le gouvernement avance que certains de ces projets sont « exemplaire[s] sur le plan environnemental et climatique », a assuré le ministre de l’économie Bruno Le Maire à propos de celui de l’Allier. Mais malgré l’appétit des consommateurs pour des objets fonctionnant avec des batteries, l’acceptabilité sociale de l’extraction minière sur le sol français demeure faible. « Plutôt que d’aller “miner” au bout du monde, faisons-le chez nous de façon responsable », insiste le ministre délégué chargé de l’industrie, Roland Lescure.

Lithium, tungstène, cuivre…

L’exécutif espère à terme exploiter d’autres ressources, c’est l’enjeu de la campagne d’exploration qu’il a lancée. Outre le lithium, des gisements de tungstène sont connus et identifiés, et dans une moindre mesure, de cuivre, indique le ministère de la transition énergétique.

Des projets se multiplient également dans l’hydrogène « blanc » (présent naturellement dans le sol, et non issu d’une transformation). Le gouvernement a placé cette molécule au cœur de sa stratégie de décarbonation, mais reste réservé à ce stade sur la quantité présente dans le sol français. Un premier permis d’exploration a été accordé début …

« Globalement, il y a peu de ressources minières en France, tempère l’économiste Philippe Chalmin, spécialiste des matières premières. Il ne faut pas trop se faire d’illusions. Par ailleurs, en France, une mine égale une zone à défendre (ZAD)… Nos meilleurs étudiants sont issus du puissant corps des mines, mais nous n’avons plus de mines ! » Surtout, la souveraineté se joue au moins autant au niveau de l’extraction que de la transformation et du raffinage, qui sont les stades les plus polluants. « Pendant longtemps, la France était leader mondial des terres rares parce qu’elle avait une usine Rhone-Poulenc à la Rochelle qui traitait des minerais importés d’Australie, poursuit Philippe Chalmin. Aujourd’hui, c’est la Chine qui domine l’économie du lithium car elle concentre les capacités de transformation. »

Autre source de fragilité : le cuivre, stratégique car il permet de conduire l’électricité nécessaire à l’alimentation des batteries. « On ne sait pas à quoi fonctionneront les batteries dans vingt ans, mais on sait avec certitude qu’il faudra du cuivre pour les alimenter en électricité, juge l’économiste. Or il y a peu de grands projets miniers dans le monde. C’est une vraie source d’inquiétude, alors que les autres métaux sont plus ou moins substituables. »

Gaz et pétrole de schiste : le tabou

En revanche, un tabou demeure : celui des pétrole et gaz de schiste, dont l’exploration est interdite en France depuis que la fracturation hydraulique a été bannie en 2011 en raison de risques pour l’environnement jugés trop élevés, et que, depuis la loi Hulot de 2017, la recherche et l’exploitation des hydrocarbures y sont interdites. Mais pas les importations : depuis la guerre en Ukraine, la France achète massivement du gaz américain (composé à 80 % de gaz de schiste). Elle n’est pas revenue sur cet interdit, à la différence d’autres pays comme le Royaume-Uni ou la Pologne. Et le débat, très vif il y a une dizaine d’années, demeure clos.

« Je souhaite que l’on revienne sur l’interdiction faite à la recherche sur le gaz de schiste, avait tenté Nicolas Sarkozy dans le JDD le 23 octobre 2022, après avoir lui-même changé d’avis à plusieurs reprises. Il faudra le faire dès que l’on maîtrisera une technique de fragmentation qui préserve les nappes phréatiques. Mais si on ne recherche pas les technologies qui nous permettront d’exploiter la richesse de notre sous-sol tout en protégeant nos nappes phréatiques, on ne risque pas de les trouver. »

Une piste aussitôt refermée par l’exécutif, la France s’étant engagée à sortir complètement des énergies fossiles d’ici à 2050. « C’est une très mauvaise idée, a immédiatement répondu Agnès Pannier-Runacher. Nous savons que l’exploitation du gaz de schiste contribue à renforcer le réchauffement climatique. » Les importations sont issues de « gisements qui existent, pas des gisements additionnels », a-t-elle justifié, plaidant pour ne pas « refaire ce qui a créé les dégâts que nous observons aujourd’hui ».

En Gironde, la levée de boucliers contre un projet de forage de huit nouveaux puits de pétrole montre la quasi-impossibilité d’un portage politique sur le sujet. Même le Rassemblement national, pourtant climato-relativiste, ne se hasarde pas sur le terrain des énergies fossiles. « Je préfère que le débat public se concentre sur l’acceptabilité sociale de l’exploitation des mines que sur le gaz de schiste », reconnaît Roland Lescure.

Energie chère pour les entreprises

Les entreprises, qui se plaignent de devoir payer une énergie « deux à trois fois plus chère en France qu’aux Etats-Unis », selon l’organisation France Industrie, ont, elles aussi, renoncé à mener ce combat. « Sécuriser les approvisionnements énergétiques, c’est absolument critique, analyse l’économiste François Geerolf, de l’Observatoire français des conjonctures économiques. La question est de savoir si la souveraineté c’est d’exploiter chez soi, ou de sécuriser les approvisionnements. »

Un rapport commandé par Arnaud Montebourg à son arrivée à Bercy en 2012, et rapidement enterré, avançait pourtant que la France avait des réserves de gaz et pétrole non conventionnels lui permettant de produire jusqu’à 130 % de sa consommation annuelle en gaz, et jusqu’à 13 % de sa consommation de pétrole. Il préconisait d’expérimenter une nouvelle méthode de forage par fracturation à base d’heptafluoropropane, présentée comme moins dangereuse pour les nappes phréatiques, mais plus coûteuse. Une expérimentation était recommandée, qui n’a pas été lancée.

« Au plan géologique, c’est certain qu’il y a des hydrocarbures exploitables par la fracturation hydraulique sur le sol français, mais on ne sait pas le faire dans des conditions environnementales acceptables, et encore moins dans des territoires peuplés et urbanisés, explique le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher. La solution, c’est de fabriquer l’électricité décarbonée la plus compétitive possible. »

http://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/26/les-mines-enjeu-de-souverainete-national-face-aux-reticences-locales_6207736_823448.html

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Un extrait du livre de Célia Izoard : la ruée minière au XXIème siècle

  • Il faut extraire beaucoup de matériaux pour les constructions d’éoliennes INDUSTRIELLES. Par exemple, « une éolienne de 3MW et d’une hauteur de 120 m contient 3 tonnes d’aluminium, 2 tonnes de terres rares, 4,7 tonnes de cuivre, 335 tonnes de fer et 1200 tonnes de béton. Ceci a été calculé pour des éoliennes de 120 m. » Et on en aura des éoliennes encore plus élevées puisque, à l’heure actuelles, elles peuvent être hautes de 246 m !

    « A capacités [de production électrique] équivalentes, les infrastructures […] éoliennes nécessitent jusqu’à 15 fois davantage de béton, 90 fois plus d’aluminium et 50 fois plus de fer, de cuivre et de verre que les installations utilisant des combustibles traditionnels. »

On extrait « autant de métaux qu’on en a extrait depuis le début de l’humanité » !

Au rythme actuel d’extraction, on va « désertifier des régions entières » et « distiller ses poisons aux quatre coins du monde » !