Après une manif contre le nucléaire à Caen

Renart et ses amis proposent une discussion publique ce jeudi 28 mars à 19h au Café citoyen à Lille.

Il sera question de la relance nucléaire et électromobile actuelle (les fameuses gigafactories). L’indifférence militante sinon le soutien politique à cette relance ne sont pas une fatalité. Voyez les manifs, occupations et sabotages de l’usine Tesla en Allemagne récemment.

En attendant jeudi, voici le tract diffusé à Caen à destination des transitionneurs. Bonne lecture.

Transition : l’atome au secours du monde

Les Amis de Renart étaient à Caen le 23 mars 2024 pour manifester contre le démarrage de l’EPR de Flamanville prévu cette année, et les constructions de nouveaux réacteurs les année qui viennent. Nous étions 30 000 en 2006 à Cherbourg contre cet EPR, un petit millier ce week-end. Entre temps, l’industrie nucléaire a profité d’un feu roulant médiatique et politique d’arguments pseudo-écologistes en sa faveur. Les deux réacteurs prévus à Gravelines ne sont pas autrement justifiés que pour décarboner à la fois l’industrie automobile et son alliée sidérurgiste. Voici donc le tract diffusé pour l’occasion : Transition, l’atome au secours du monde. L’illustration de Modeste Richard en référence à La Gueule ouverte rappelle assez simplement que : On les emmerde, ça continue.

La suite est à lire ici :

https://renart.info/Transition-l-atome-au-secours-du-monde

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Comment Libé fabrique notre consentement à l’industrie verte

Cela s’est passé en octobre 2023

Nous nous sommes rendus à l’étape dunkerquoise du Climat Libé Tour, une tournée nationale de « forums » pour « explorer les enjeux de la transition écologique ». Trois jours après le vote de la loi « Industrie verte », le quotidien de la gauche culturelle fait étape dans la cité portuaire des Flandres tant elle incarne la transition de l’industrie. Autour de la première table-ronde, entre l’eurodéputée verte Marie Toussaint, le ministre de l’industrie Roland Lescure, les patrons des batteries Verkor et de l’énergéticien nucléaire et gazier Engie, le consensus est fort. Trente ans après le « développement durable », voilà qu’une « croissance sobre » de « l’industrie verte » vise autant la « transition juste » qu’elle fait reculer le Rassemblement national. Voici de quels trésors usent l’État et les industriels pour convaincre ce segment de l’opinion qu’incarne Libé.

Les discussions se tiennent à l’ancienne Halle aux sucres, Route du Quai Freycinet 3 Môle 1 à Dunkerque, un « Lieu vivant pour la ville durable ». Entre le premier pollueur de France ArcelorMittal, six réacteurs nucléaires et une dizaine d’usines SEVESO, la Communauté Urbaine de Dunkerque (CUD) ne peut avoir en matière d’environnement que des ambitions. C’est ainsi qu’elle figure dans la liste des 100 villes que la Commission européenne soutient dans leur quête de « neutralité carbone » : déjà trois usines pour batteries, une usine d’énergie hydrogène et une autre d’éoliennes, deux réacteurs atomiques, et la décarbonation d’ArcelorMittal sont en discussion ou en production. C’est pour eux précisément que Libé s’est arrêté à Dunkerque dans son Climat Libé Tour [1]. Car les « débats » sont résolument positifs et « tournés solutions », comme disent les managers. Même la finance sera verte, selon l’ONG Reclaim finance et le Crédit coopératif, réunis à Bordeaux début février par Libé [2].

Avant d’accéder à l’auditorium de la Halle aux sucres, il faut traverser la « Halle digitale », réservée ce jour au « Parlement génération transition ». La chaîne Nowu de France Télévisions anime un atelier avec une classe de Terminale, entre slides vidéoprojetés et post-it fluos sur les murs. Nowu, c’est « Ta planète, ton media ». Une journaliste est chargée de susciter le débat avec des questions aussi ouvertes que : « L’énergie nucléaire rejette-t-elle du CO2 ? » ou encore « Les éoliennes sont-elles dangereuses pour les oiseaux ? » Les bonnes réponses étaient : non et non.

Publireportage pour publiforum

Cette étape est directement organisée « en partenariat » avec les industriels et les financiers de la « transition » dunkerquoise : la Communauté urbaine de Dunkerque (CUD), l’énergéticien nucléaire et gazier Engie, le fabricant de fenêtres isolantes Velux, le banquier de la Troisième Révolution Industrielle des Hauts-de-France Crédit coopératif, et Euraénergie, « l’écosystème d’innovation » de la CUD à la fois « facilitateur et force opérationnelle des symbioses territoriales » en matière de « décarbonation ». Autant la novlangue est créative, autant elle demeure au service d’une banale confusion des genres entre journalisme, communication et publicité. Sans doute faut-il régulièrement renouveler la came intellectuelle pour garder son public captif.

Quelques jours avant l’événement, au détour d’un dossier consacré à la transition dunkerquoise, Libé prétend que l’air n’y est « pas si pollué que ça » malgré « deux autoroutes, l’A16 et l’A25 ; un transport maritime dense ; quatorze sites Seveso seuil haut » [3]. C’est que, explique l’article, « les vents aident à maintenir les valeurs dans la moyenne ». Ce dont témoignent, en toute partialité, les services du préfet, un élu dunkerquois, et l’agence de surveillance de l’atmosphère ATMO, dont le principal financeur avec l’État n’est autre que ArcelorMittal [4]. « Je préfère vivre ici avec ce balayage constant qu’en région parisienne », insiste encore l’élu dunkerquois, qui se fiche que les Nordistes respirent ses poussières. Tout cela ressemble à du publireportage. Et les deux jours de forums à un échange de services : la CUD met ses locaux et ses agents à la disposition du journal, qui lui sert la soupe en même temps qu’il fait sa propre promo.

La couleur du consensus industriel

La première table ronde s’intitule « Industries vertes : comment redoubler d’énergie ? » Elle ne s’intitule pas « Quelle énergie pour l’industrie verte ? », et encore moins « L’industrie verte, une nouvelle escroquerie ? » Une soixantaine de personnes est dans la salle : des agents de la CUD et de la Préfecture, des retraités lecteurs de Libé, des étudiants de l’Institut Mines-Telecom engagés avec leur école pour la transition (IMT est devenue « I’m Tomorrow »).

Elle est animée par la journaliste Anne-Sophie Lechevallier, selon qui les priorités de Libé pour 2023/2024 sont l’extrême droite et le climat : « Obama lançait en 2008 son Green New Deal et quinze ans plus tard des secteurs entiers comme l’automobile ont entamé leur transition. Avec deux milliards d’euros, Verkor a même battu le record de la levée de fonds. Questions : Comment réconcilier Industrie et Vert ? Comment aller plus vite ? »
Le ministre de l’industrie Roland Lescure prend place à côté du patron de l’usine de batteries Verkor Gilles Moreau, de l’eurodéputée verte Marie Toussaint, du député socialiste pro-nucléaire Philippe Brun, et du Directeur général d’Engie Franck Lacroix. Voici le digestat de leurs interventions.

Le ministre Lescure est en symbiose avec les puissances invitantes : « D’abord, merci Libé. Luttes contre l’extrême droite et le réchauffement climatique sont liées. Partout où l’on désindustrialise, le vote RN monte. » Contre Jordan Bardella, il faudrait donc réindustrialiser, mais réindustrialiser vert, comme s’emploie à le faire le gouvernement.

Le patron de Verkor, dont l’usine se construit au même moment à quelques pas de là, ne sait plus qui remercier : « Je remercie Libé, je remercie les services de la CUD qui nous ont fait gagner beaucoup de temps dans les autorisations environnementales, je remercie l’État qui a fait de Dunkerque un territoire Choose France pour nous accorder certaines autorisations d’avance, et je remercie aussi l’Europe qui nous accompagne de façon colossale. »

Marie Toussaint abonde : « Vu les tensions sociales et la montée de l’extrême droite, oui il faut réindustrialiser. Cela peut surprendre de la part d’EELV, mais non seulement l’industrie verte existe, mais elle est indispensable. » Pour faire bonne figure, la cheffe de file des Écologistes aux prochaines élections européennes tente une démarcation : « Attention cependant aux pollutions chimiques ou à la biodiversité, car les voitures électriques ont des conséquences en termes de terres rares et de déchets. » La précision n’engage à rien, puisqu’elle a déjà voté en faveur du Plan industriel du Pacte vert européen, que les crédits sont déjà débloqués et les travaux débutés.

Devant l’explosion attendue de la demande d’électricité, le directeur d’Engie (ex GDF-Suez) entend accompagner ladite industrie verte de son « alliance entre l’électron et la molécule, entre l’énergie renouvelable et le gaz renouvelable, la biomasse, le solaire, l’éolien, la récupération d’énergie fatale, etc. » Son groupe serait prêt à alimenter l’industrie verte d’une énergie verte.

Enfin, le député socialiste-nucléariste Philippe Brun – qui vient de faire voter sa loi contre le démembrement d’EDF – regrette « le virage néolibéral de l’Europe qui a démantelé les services publics décarbonés et détruit 2,5 millions d’emplois industriels, ce qui porte atteinte à l’environnement étant donné les émissions de CO2 du transport de marchandises. »

Lutte contre le RN, mais encore pour le climat, pour l’emploi et le service public en faveur du public : les industriels verts sont parés de toutes les vertus qu’attend le public-cible de Libé. D’ailleurs, Marie Toussaint doit mettre en garde contre « un front du refus de la transition » mené par le RN, de plus en plus par LR, et parfois par le gouvernement lui-même. Les lignes de démarcation sont posées : si l’on est de gauche, on soutient les sidérurgistes verts et les voitures vertes ; si l’on défend les voitures thermiques alors on se met à contre-courant de l’histoire avec les réacs et les intolérants. Pas de place ici pour un autre horizon qui serait écologiste, ou décroissant, en tout cas débarrassé de la société automobile et… nucléaire.

Refoulement atomique

Après deux heures de courtoisies vient le temps des questions de la salle, qui n’a pas manqué de relever le grand refoulé du débat :

Cette table-ronde invite à ‘’redoubler d’énergie’’ mais à aucun moment n’a été prononcé le mot nucléaire, alors même qu’on se trouve à deux pas de la plus puissance centrale d’Europe. La future usine de batteries de Douvrin consommera à terme l’équivalent de 800 000 habitants, et trois autres sont en projet, dont deux à Dunkerque. La transition de l’industrie n’est verte que si l’on considère le nucléaire comme une énergie verte. Pensez-vous que le nucléaire est une énergie verte ? Pensez-vous que Verkor et Arcelor peuvent recevoir des subventions au titre de l’industrie verte malgré leur consommation nucléaire ?

Une deuxième intervention enfonce enfonce le clou, malgré la gêne de la journaliste prise en défaut de partialité sinon d’incompétence. Nicolas Fournier représente Les Amis de la Terre et l’ADELFA, la fédération écolo du Dunkerquois :

RTE estime qu’il faut trouver d’ici 2040 4 500 MW d’électricité pour l’industrie locale, en plus des 5 400 que produit la centrale de Gravelines aujourd’hui. L’intégralité des six réacteurs seront mis demain à disposition de l’industrie dunkerquoise et ne pourront plus approvisionner le reste des Hauts-de-France. La demande va être faramineuse, comment va-t-on faire ?

Le socialiste, dans son couloir, défend l’atome, l’atome souverain, l’atome « qui a l’avantage d’être une énergie décarbonée ». La verte défend quant à elle un abracadabrant « scénario 100 % renouvelable » avant d’aligner des mots comme « choix de société », « débat démocratique » et « transparence » pour se sortir de cette situation indélicate. On la comprend : comment tresser de verts lauriers à un tel consommateur d’énergie atomique tout en se prétendant anti-nucléaire ? Espérons que le parti dispose d’un budget psy.

Et maintenant l’industrie est verte

« Industrie verte » est donc le nom d’une loi votée trois jours plus tôt par l’Assemblée nationale. Cette loi crée le statut « d’intérêt national majeur » pour permettre aux usines vertes de déroger au code de l’environnement, elle réduit les délais d’enquête et de consultation du public, accorde 23 milliards d’euros de subventions et un nouveau crédit d’impôt de 40 % aux industriels verts. Les secteurs bénéficiaires sont, sans surprise, le photovoltaïque, l’éolien, les batteries de voitures électriques, les pompes à chaleur et l’hydrogène. C’est-à-dire les projets du Dunkerquois qui font ici consensus.

Le nouveau premier ministre Gabriel Attal a déjà annoncé un second projet de loi « Industrie verte », pour faire « reculer la bureaucratie ». Celle-ci proposera de « concentrer les travaux de la CNDP (Commission nationale du débat public) uniquement sur les projets d’envergure nationale. C’est six mois de gagnés dans les procédures. Pourquoi ? Parce que trop de délais, c’est moins de projets. Et donc moins d’emplois et moins de croissance [5]. » Et moins de croissance verte.

Qui s’en plaindra ? La CUD ? Verkor ? Libé ? EELV ? Les députés verts ont voté contre la première loi Industrie verte. Marie Toussaint nous résume les raisons : « L’affaiblissement de la démocratie environnementale est une vraie atteinte à l’adhésion des populations. Or, des procédures bien faites permettent d’obtenir l’adhésion. Pour le prochain site éolien offshore à Dunkerque, il faut respecter toutes les procédures, sinon on n’y arrivera pas. » Le conseil est machiavélique : jouer à la démocratie participative pour parvenir à ses fins. N’est-ce pas reconnaître le rôle d’acceptologue de la CNDP ? Par là, n’est-ce pas reconnaître le rôle idéologique de ce Climat Libé Tour, de tous ces débats et forums que les collectivités organisent ici ou là dans leurs « Lieux vivants pour la ville durable », et plus globalement de ces très légales procédures d’enquête publique ?

Si vous n’entendez pas jouer les dindons de l’industrie verte, Renart vous invite à une discussion publique le 28 mars 2024 à 19h au Café citoyen, Place du Vieux marché aux chevaux, à Lille. Nous discuterons des nuisances de l’industrie verte régionale et de la relance de l’atome en région et en France.

Tomjo

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