Lettre à l’ambassadeur d’Israël en France

Monsieur Joshua L. ZARKA, Ambassadeur

Mû par une impérieuse nécessité de m’adresser à vous, en votre qualité d’ambassadeur d’Israël, il faut pourtant que je vous avertisse d’emblée : je ne m’encombrerai pas ici de formules de bienséance et autres circonvolutions pour vous faire part de mon indignation ; la chose m’est trop insoutenable.

Ce que le gouvernement de votre pays inflige au peuple Palestinien, à plus d’un an et demi après les attaques terroristes du Hamas et la prise d’otages israéliens, que ce soit en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza, est tout simplement ignoble, indigne, injustifiable. Je pourrais dire innommable, or il se trouve que ces actes ont des qualificatifs. Le Droit international les nomme : nettoyage ethnique, génocide, crimes contre l’Humanité. N’en déplaise aux partisans et autres inconditionnels de la loi du plus fort.

A l’instar de ces derniers et de tous les alliés de l’actuel pouvoir israélien, vous pourrez toujours pousser des cris d’orfraie, faisant valoir l’irréfragable statut de victime innocente de l’Etat israélien et de ses citoyens Juifs. Rien n’y fera. Pas plus d’ailleurs que l’instrumentalisation qui est faite de la mémoire des 6 millions des Juifs victimes innocentes de la barbarie nazie, afin de justifier l’injustifiable.

Sur ce propos, je ne peux que vous inviter à lire l’article de Gidéon Levy « Shoah, à quoi penserai-je quand retentira la sirène ? » paru dans le quotidien Haaretz, le 23 avril 2025.

Bien sûr, les faits sont là, incontestables ; l’idéologie d’abord, le caractère industriel du Génocide des Juifs, son ampleur, font que les choses sont bien différentes, et que la Shoah demeure le plus abominable des crimes contre l’Humanité. Pour autant, il existe des ressorts communs à toutes ces barbaries commises hier comme aujourd’hui. Le plus conséquent réside dans ce que l’on nomme l’essentialisation, une pratique indispensable à la construction d’un récit nationaliste qui vise à réduire l’Autre, ici le Palestinien, l’Arabe. Réduire l’Autre à un être inférieur, voire un animal parasite, une menace, une tumeur dont il conviendrait de se défaire. A cela, s’ajoute toutes les violences, leur l’intentionnalité, la terreur, l’occupation, les privations (la faim, la soif), les humiliations, les tortures, le regroupement concentrationnaire que subissent les populations civiles palestiniennes de Gaza. Le gouvernement israélien et ses relais les nient, accusant de traîtres et/ou d’antisémites celles et ceux

qui les dénoncent, il n’empêche : toutes ces pratiques attestent que la barbarie dont il fait montre, aidé en cela de son bras armée s’approche de celle dont les nazis et leurs supplétifs firent montre (rappelons que ces derniers s’inspiraient beaucoup des pratiques répressives que les puissances coloniales, dont la France, exerçaient sur les populations des pays qu’ils avaient colonisés).

Cette pratique de l’essentialisation permet également à Israël de justifier l’accaparement des terres palestiniennes (dans le récit nationaliste israélien, l’Autre est préjugé incapable de les entretenir). De même, ledit récit tente de légitimer ledit accaparement sous des prétextes historico-bibliques. Or, ils viennent en butée sur une réalité juridique intangible : la Palestine existe en tant qu’Etat – sous mandat anglais jusqu’en 1948 et à ce titre, signataire de nombreux accords internationaux. C’est là une double imposture que de faire croire que la Bible puisse faire valoir cadastre et/ou titre de propriété et par extension d’autorisations de démolir avec grandes violences, maisons, villages jusqu’aux cimetières palestiniens. Que diriez-vous si demain je venais chez vous et, par la menace et le harcèlement, exigeais de vous de déguerpir sans délai au prétexte que, il y a trois mille ans de cela, mes aïeux vivaient sur cette terre, juste là sous vos pieds ? Dès lors, comment vous étonner que la politique israélienne d’occupation coloniale n’engendre pas des actions de résistances violentes ? On les qualifie de terrorisme, mais ce qualificatif ne doit-il pas s’appliquer de même aux actions de terreur conduites par l’Etat israélien, LA force occupante ?

Faut-il encore rappeler qu’Israël doit sa reconnaissance à l’Organisation des Nations Unies, et ce en dépit des coups de forces de ses pionniers et des actes terroristes commis par quelques milices sionistes contre des villages palestiniens ? Alors, pourquoi le gouvernement israélien – et nombre de ses alliés – s’emploient-t-ils à affaiblir cette institution garante du Droit international, si imparfaite soit-elle ?

Vous le savez, parmi les raisons qui ont conduit à la reconnaissance de l’Etat d’Israël, il y a d’abord eu le fait du Génocide, fruit d’un antijudaïsme viscéral partagé depuis deux millénaires dans la plupart des pays du continent européen. Or, cette reconnaissance a permis, de facto, de déplacer la responsabilité des acteurs du Génocide, au sens figuré comme au sens propre sur les épaules des Palestiniens avec la Nakba. Ces derniers ne sont pourtant pas responsables de la barbarie occidentale, or ils payent quand même de leurs vies le prix du Génocide des Juifs. En dépit de ces faits historiquement établis, la stratégie du fait accompli file bon train, tout comme vont les impostures, historiques ou morales. Ainsi, animé d’un cynisme sans égal, l’actuel président des USA donne à Israël un blanc-seing à l’expulsion des Palestiniens de leurs terres. Pour la paix, ose-t-il affirmer ! Sans doute pense-t-il plutôt à une Pax Romana doublée d’une seconde Nakba ? De fait, cette programmation du désastre transforme Israël en une sorte de zone d’intérêt, à l’instar du film éponyme. D’autant que, quel que soit l’endroit où les Palestiniens trouveraient refuge, il est certain qu’ils continueront d’être exterminés par Israël et/ou ses supplétifs sous divers prétextes de sécurité, comme ce fut le cas dans les camps de Sabra et Chatila.

Chaque jour nouveau jette une lumière accrue sur les intentions de l’actuel pouvoir israélien : la conduite d’une guerre infinie, sans autre considération pour les otages retenus par le Hamas… Plusieurs raisons à cette stratégie : la plus évidente réside dans les intérêts bien compris du premier ministre.

L’autre, dans celle de mener à bien ses desseins nationalistes et colonialistes, à savoir l’édification du grand Israël. D’où la tentative de limogeage du responsable du Shin Bet, et l’obstination dont fait montre le premier ministre à laisser sous le tapis le rapport lié aux circonstances des attaques menées par le Hamas, le 7 octobre 2023. A l’heure où je vous écris, Ronen Bar a remis sa démission. Aussi je ne m’étonne plus de la nature des alliances que le gouvernement israélien fait avec la plupart des forces politiques néo-fascistes et autres illuminés évangéliques que compte ce monde…

Dans cette époque où la vérité des faits est systématiquement mise en doute, il importe peu que ces forces soient fondamentalement et historiquement antisémites ; elles sont également islamophobes et néo-colonialistes. C’est là une aubaine pour l’actuel pouvoir israélien, car la vérité reste toujours la première victime des guerres. Ainsi, lorsque j’entends votre premier ministre affirmer que la bataille qu’Israël mène actuellement contre les Palestiniens est celle de l’axe du Bien contre celui du Mal, une guerre pour la France et/ou la civilisation Occidentale, je trouve ses propos inacceptables car en tous points révisionnistes et racistes. Voyez-vous, tout en me se gardant de faire référence aux nomenclatures – dans lesquelles on trouve la définition du mot sémite – établies à l’époque où certains cherchaient à donner au racisme une caution scientifique, je pense que l’islamophobie est pareille à l’antisémitisme. Ces deux poisons constituent un seul et même racisme qui ne peut être combattu que par une seule et même bataille. Ne pas vouloir le comprendre ou, pire, vouloir les instrumentaliser comme le font le gouvernement israélien et ses alliés, c’est assurément renforcer leur dangerosité pour longtemps.

Ici réside toute l’ambition de l’actuel pouvoir israélien : s’allier inconditionnellement aux néo-fascistes, révisionnistes et promoteurs de haines ; fabriquer, toute honte bue, un récit alliage d’analogies extrêmement périlleuses (l’antisionisme serait un nouvel antisémitisme) et d’impostures telle que la fameuse « civilisation judéo-chrétienne » ; appeler à l’extermination des Palestiniens, comme le rapporte Gidéon Levy dans un article publié dans Haaretz le 28 avril dernier . N’est-ce pas là un renversement sidérant aujourd’hui, que de faire d’Israël le phare de tous les fossoyeurs de l’Humanité ?

Le fait est là : aveuglé de par sa toute puissance militaire et les appuis dont il dispose, Israël ne se rend même pas compte qu’il devient l’otage de sa propre violence. Une violence qui, miroir de sa vulnérabilité, le condamne à toujours l’être davantage. Aussi, il est peu de dire que la stratégie politique de l’actuel pouvoir israélien et de ses principaux alliés constitue autant de menaces que de dangers ; en premier lieu pour les peuples Palestinien et Israélien, pour la Diaspora Juive, pour la Paix, pour la Justice, pour le Droit international, pour la Démocratie, à l’endroit de l’Humanité toute entière.

Une once d’espoir existe pourtant, car un nombre de plus en plus important de vos concitoyens Israéliens prend conscience du non-sens et des périls inhérents à cette politique mortifère. Il va s’en dire que je leur apporte tout mon soutien et toute ma solidarité. La guerre génocidaire menée contre le peuple Palestinien doit cesser de suite. Les aides humanitaires doivent entrer immédiatement dans Gaza. Les otages israéliens libérés sans délai ainsi que tous les Palestiniens, prisonniers-otages du colonialisme israélien et de son racisme.

Je vous remercie d’avoir pris le temps de me lire et vous adresse mes salutations les plus républicaines.

Dominique VANSTAEVEL, citoyen du Monde. le 6 mai 2025

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