COP30

« Les siècles ont consacré la liberté, l’égalité, la dignité – mais pas l’habitabilité de notre planète »

Dans une tribune au « Monde », le philosophe Baptiste Morizot et le juriste Laurent Neyret plaident pour que le principe d’habitabilité soit érigé en « valeur boussole » du droit du XXIᵉ siècle.

La COP30 s’ouvre à Belem, au Brésil, dans un contexte critique. La planète est en surchauffe, l’humanité en danger, mais le droit censé protéger l’environnement avec un arsenal de près de 500 traités internationaux, des constitutions, des codes, des lois, des chartes… semble impuissant à sauvegarder les conditions essentielles à la vie sur Terre.

Pourquoi ? Certaines causes sont connues : le manque d’ambition politique, les contingences économiques, les attaques organisées contre les lois protectrices de l’environnement…, mais elles n’expliquent pas tout. Alors, qu’est-ce qui, dans le cœur du droit, le rend actuellement incapable de répondre à l’enjeu existentiel de notre siècle : l’urgence climatique et écologique ?

La COP30 s’ouvre à Belem, au Brésil, dans un contexte critique. La planète est en surchauffe, l’humanité en danger, mais le droit censé protéger l’environnement avec un arsenal de près de 500 traités internationaux, des constitutions, des codes, des lois, des chartes… semble impuissant à sauvegarder les conditions essentielles à la vie sur Terre.

Pourquoi ? Certaines causes sont connues : le manque d’ambition politique, les contingences économiques, les attaques organisées contre les lois protectrices de l’environnement…, mais elles n’expliquent pas tout. Alors, qu’est-ce qui, dans le cœur du droit, le rend actuellement incapable de répondre à l’enjeu existentiel de notre siècle : l’urgence climatique et écologique ?

Cette énigme nous a réunis il y a près de dix ans, et a inauguré une enquête au long cours entre un juriste et un philosophe qui nous a finalement permis d’exhumer un point aveugle fondamental du droit, situé dans le « découplage temporel » entre les fondements historiques du droit et la vitesse des évolutions techno-économiques.

Comme le dit le biologiste américain Edward Wilson (1929-2021) lors d’une conférence donnée à Cambridge en 2009 : « Le vrai problème de l’humanité est le suivant : nous avons des émotions paléolithiques, des institutions médiévales et les technologies d’un dieu. »

Notre droit est comme une cathédrale dont les plans ont été dessinés à une époque où l’humanité ne disposait pas encore des moyens extractivistes de fragiliser les conditions d’habitabilité de la Terre, et où elle ne pouvait pas concevoir qu’une économie illimitée en serait un jour capable. Ce point aveugle a généré un défaut structurel fondamental : la protection des conditions de la vie n’a pas été valorisée à la hauteur des enjeux au sein de la hiérarchie du droit. Les siècles ont consacré la liberté, l’égalité, la dignité – mais pas l’habitabilité.

La dignité, valeur cardinale supérieure

C’est bien là pourtant, dans le foyer de la vie qui conditionne toutes les libertés, que réside un remède majeur à l’impuissance du droit. Les scientifiques le montrent, comme la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) dans son rapport de 2024 sur « l’évaluation des liens d’interdépendances entre la biodiversité, l’eau, l’alimentation et la santé » : ce sont les interdépendances entre les vivants qui permettent aux formes de vie humaines et autres qu’humaines d’exister et de prospérer, et donc qui rendent la Terre habitable.

Par le passé, le droit a montré qu’il était capable de s’enrichir de nouveaux fondements au moment où l’histoire le convoque. A l’ouverture du procès de Nuremberg, le 21 novembre 1945, le procureur américain Robert Jackson (1892-1954) déclarait que, en poursuivant les crimes contre la paix, la société condamnait « ce qui heurte le sens moral de l’humanité ». Le droit est alors venu consacrer la dignité comme valeur cardinale supérieure.

Aujourd’hui, ce sont les actes attentatoires aux conditions de la vie sur Terre qui doivent « heurter le sens moral de l’humanité ». Or, à ce jour, nous ne disposons pas d’une valeur juridique équivalente à la dignité qui permette de répondre à l’ampleur de ces atteintes. Il nous faut donc, collectivement, consacrer cette valeur non négociable qui nous permettra de nous hausser comme société à la hauteur des enjeux climatiques et écologiques de ce siècle. C’est ce à quoi voudrait répondre le « principe habitabilité ».

En lui, l’humanisme et l’écologie se rejoignent pour constituer un humanisme des interdépendances. Au XXe siècle, l’humanisme traditionnel a trouvé sa traduction dans le principe de dignité. Au XXIe siècle, l’humanisme relationnel trouverait sa traduction dans le principe d’habitabilité, selon lequel le respect de ce qui produit les conditions de la vie sur Terre est d’une exigence absolue.

Pour l’un comme pour l’autre, il est plus que jamais nécessaire de renforcer l’Etat de droit et les cours, seuls capables de faire respecter ces principes. Nous pouvons faire prospérer le principe d’habitabilité par des changements en profondeur du droit qui emprunteraient trois voies juridiques supérieures.

Forme juridique contraignante

La première est la constitutionnalisation : tout comme hier le monde a hissé la dignité au rang de principe constitutionnel inviolable et sacré, nous pouvons consacrer la valeur constitutionnelle du principe habitabilité pour poser un rempart contre tout ce qui porte atteinte aux conditions de la prospérité de la vie.

La deuxième serait la criminalisation : tout comme hier la communauté internationale s’est regroupée autour de la notion de crimes contre l’humanité pour sanctionner les atteintes à la dignité, elle pourrait se retrouver autour de la notion de crimes contre l’habitabilité pour élever au rang des crimes graves de la Cour pénale internationale les attaques généralisées et systématiques qui mettent en danger la santé et la sécurité de la biosphère.

Une troisième solution serait l’internationalisation de ce principe : tout comme hier les peuples se sont alliés pour faire progresser les droits humains au nom de la dignité, à l’image des deux pactes de 1966 venus renforcer les droits humains reconnus en 1948, ils pourraient adopter un traité international sur la responsabilité de protéger les conditions d’habitabilité afin de donner une force juridique contraignante aux traités environnementaux qui, aujourd’hui, sont essentiellement déclaratoires.

Le Brésil a qualifié la COP30 de « COP de la vérité ». Pour les sciences, cette vérité porte un nom : « l’habitabilité ». Faisons en sorte que le principe habitabilité devienne pour le droit du XXIe siècle ce qu’a été la dignité pour le droit du XXe siècle : une valeur boussole imprescriptible et inaliénable.

Baptiste Morizot est agrégé de philosophie, maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille ; Laurent Neyret est agrégé de droit, professeur à Sciences Po.

Baptiste Morizot (Philosophe) et Laurent Neyret (Juriste)

https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/11/09/cop30-les-siecles-ont-consacre-la-liber