J’ai juste un petit truc à vous dire, Messieurs

Il arrive ce moment, conscient ou pas, où une fille décide, volontairement ou non, de ne plus lutter.

On arrête de se battre, contre un système, contre ces petits riens qui font un tout. On rentre dans le moule. Un moule préfabriqué par nos forgerons de pères et arrière-grand-père et arrière-arrière grands-pères…

Pourtant de nos jours, il existerait des moyens, qu’offre ce système, pour se battre. On peut entamer des démarches auprès de la justice : on a jusqu’à trois ans (6 ans depuis début 2017) après un acte de harcèlement sexuel parait-il. Parce qu’au-delà, l’agresseur/harceleur ne serait plus agresseur/harceleur? Il y a donc prescription pour lui. Qu’en est-il alors de la victime, qui se trimbalera toute sa vie son lot de traumas, accumulés souvent.

Car une fois vécue l’agression, la situation la plus naturelle qui soit n’est pas, comme on l’entend souvent, d’être « endurcie » mais plutôt fragilisée, et souvent aussi plus seule. On entend parler de la loi, des démarches judiciaires…et alors, apparaissent la dure réalité des faits : plus de 90% des femmes ayant tenté des poursuites judiciaires pour harcèlement sur le lieu du travail perdent leur emploi.

 Mais ce sont des cas extrêmes, faut pas généraliser, nan?

 Pourtant, quand on parle de système, c’est bien qu’il y a d’autres choses. On parle bien d’un iceberg dans lequel seule la partie émergée arrive jusqu’aux oreilles des tribunaux. Mais il y a toujours des racines : toutes ces brimades quotidiennes, ces « remises en place ». Et puis il arrive le jour où, ne respectant plus l’injonction de la « remise en place », on va venir percuter l’iceberg. On découvre alors une autre réalité: celles des menaces, qui s’accompagnent assez souvent d’un passage à l’acte.

C’est ce « assez souvent » qui justifie que l’on s’indigne contre ces petits riens. Il suffira d’une fois : en soirée, ce camarade qui vous choppe sans vous demander votre avis et malgré votre abnégation à dire « non », dans le métro, cet inconnu qui vous met une bonne grosse main au cul sans que personne ne réagisse, et puis finalement, au boulot, quand c’est votre boss qui va prendre la relève en vous faisant comprendre, par des blagues et des remarques sexistes que vous n’êtes qu’une proie, jusqu’au jour où vous devenez SA proie une fois seule et la porte fermée, et que par hasard, vous étiez en train de négocier votre paye. Etonnant qu’en France en 2014, sur les 58% des personnes qui ont demandé une augmentation, 72% des hommes l’ont fait et seulement 44% des femmes.

Une fois vécus ces “passages à l’acte », finalement si fréquents dans la vie d’une femme qu’on y prête quasiment plus attention, on peut se promettre qu’on ne se laissera plus faire et que ça ne se reproduira plu (car en bonne victime du système, on culpabilise). Et puis, on réalise, une fois confrontée à une situation similaire, qu’on est tout aussi impuissante, car finalement on ne sait pas davantage comment s’y prendre que la première fois, vu d’ailleurs que personne ne nous l’a jamais expliqué. Même pire que la première fois, on se retrouve bloquée : ça s’appelle le traumatisme.

Vous me direz que ce sont des exceptions, ce n’est pas la règle!

Et on se rend compte soudain, en 2017, que ce n’est pas si rare et que 50%  rapportent avoir été victime de harcèlement ou agressions sexuels, et qu’on estime que ces chiffres sont minorés par les biais de l’enquête, car celles qui reconnaissent l’agression ont déjà fait la démarche de s’informer, de prendre conscience et d’accepter un statut de “victime” imposé, mais pas toujours reconnu, qui participe aussi dans une certaine mesure d’une fragilisation…

Et ces femmes, une femme sur deux, elles ne tombent pas du ciel : ce sont vos amies, vos camarades de classe, vos collègues, votre voisine que vous croisez le matin fraichement maquillée, votre mère qui vous raconte mai 68 et les belles années hippies…Vous pensiez que cela n’arrivait que dans les films? Qu’à Hollywood somme toute. Et non. En fait, vous êtes-vous, nos amis, nos camarades, nos voisins, nos pères, tous potentiels agresseur : une fois sur deux.

 Mais faut pas non plus dramatiser, et tout mélanger agression … et déconnade ! Des cons, yen a partout…

Pourtant, une étude du Conseil Economique et Social sur les violences faites aux femmes, datant pourtant de 2014, rapporte ainsi l’état d’esprit dans lequel nous, les femmes, nous vivons, notamment sur le lieu du travail, où nous sommes la majorité du temps :

“Les violences qui s’exercent à l’occasion du travail peuvent avoir des origines différentes, soit liées à des agissements de personnes extérieures à l’entreprise ou au service, qu’elles soient clientes ou usagers, soit survenant entre les membres du collectif: collègues, encadrement, directions. 

Pris isolément, certains de ces agissements peuvent parfois sembler sans conséquences. Mais leur répétition, au quotidien, peut affecter gravement les salariés et avoir des répercussions importantes sur leur santé, physique et psychologique. L’humiliation dans le monde du travail peut provoquer des conséquences négatives aussi importantes que le fait de recevoir des coups… »

Finalement, on aimerait bien déconner. Mais à force, on perd le sens de l’humour et non, les mecs, les blagues sexistes ça ne nous fait plus marrer. Car à force de se faire une carapace dans la rue, dans les lieux publics, dans les réunions, sur le lieu du travail, etc. on finit par devenir étrangère à nous-même, apprenant avec le temps qu’être femme, au XXIème siècle ce n’est pas la panacée. Et ce n’est pas moi seulement qui le dit… ou les innombrables victimes qui s’expriment ces derniers temps… mais des rapports, et des études, et des analyses, etc.

Et sans s’en rendre compte, nous les femmes, on arrête de se battre, simplement pour qu’on nous foute la paix. Et on se retrouve seule face aux petits mots, aux petits gestes, qui finissent par cautionner tout le reste.

Mais en fait, on nous fout pas la paix pour autant, étrangement.

Dans la rue, on se fait toujours emmerder, au boulot, on a toujours le droit à nos petites remarques sexistes du quotidien qui ponctuent aussi bien les phrases que les derniers chiffres de la croissance démographique ou de l’inflation. Et plus on la boucle, plus le silence se fait et laisse place au bruit sourd de la domination, qui s’installe tranquillement dans un inconscient collectif, lui-même finalement unanimement approuvé par le silence.

Mais alors, qu’attend-t-on pour accepter l’indignation bruyante et toujours refuser la banalisation du mot, du geste, de la posture déplacée?

Pourquoi ne nous rappelons pas plus souvent, nous les femmes, mais vous aussi, nos amis, nos camarades, nos amoureux, nos voisins, nos pères, etc. que cela commence par ces petites choses, qui polluent la vigilance et nous empêchent de lutter contre ce système?

 ….et qu’on atteint encore, aujourd’hui, en 2017, en France, le chiffre ahurissant d’une femme sur deux victimes.

Messieurs, je ne vous en veux pas. Je veux juste que vous écoutiez ce bruit.

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