Alexandre Grothendieck est mort

Le plus grand mathématicien du XXe siècle est mort.

Cela s’est passé le 13 novembre 2014.

Je serais bien en peine de vous parler sérieusement d’Alexandre Grothendieck, qui vient de mourir à 86 ans. Mais il a joué un rôle crucial dans l’apparition en France, à la fin des années 60, de la première vague écologiste. Et même si celle-ci a reflué ensuite, Grothendieck mérite amplement qu’on salue sa personne et qu’on accompagne son trépas. Je pense à lui, avec tristesse, et je vais allumer une bougie ici, qui se consumera au rythme lent des vapeurs du temps.

Vous trouverez ci-dessous un texte que Thierry Sallantin, magnifique écologiste historique, vient de me faire passer.

LE TEXTE DE THIERRY SALLANTIN

L’introducteur de l’écologie en France, au sens contestataire issu de Mai 68, vient de mourir. Il se trouve que celui qui fut son secrétaire (Christian Escriva) pendant plus de 10 ans, en gros de 1975 à 1985, est exceptionnellement en ce moment hors de son exploitation agricole de Val de Rouvre, dans les Alpes, car il est là-bas planteur -récolteur de plantes médicinales et transformateur de ces plantes en extraits concentrés, car il expose en ce moment au Salon Marjolaine à « Chateau de Vincennes », Parc Floral, au stand K 6 = Le Gatillier.

Avant sa période « néo-rurale », Ch. Escriva était un physicien de haut niveau. Maintenant, il vit de ses plantes et écris de livres sur son approche de la botanique dans la ligne de Goethe… Super occasion pour recueillir son témoignage ! Pour moi, c’est un peu mon père spirituel , et on le dit « plus grand mathématicien du monde » ce que me confirmera le réfugié du stalinisme, le chercheur Leonid  Pliouchtch, Alexandre Grothendieck est donc mort hier à St Girons, à 86 ans.  Il vivait en ermite, ne s’occupant que de plantes, depuis la fin des années 1980, à Lasserre, en Volvestre, Ariège, nord de Saint Girons… Il avait quitté le monde universitaire vers 1988 : dernier poste à Montpellier…

J’ai été un des derniers à être reçu de façon amicale par lui, dans sa cachette à Lasserre, car il m’a de suite reconnu, (je militais à « Survire et Vivre » en 1972-1975) et nous avions comme ami commun Robert Jaulin. L’été 1974, avec le sociologue Serge Moscovici et le documentariste Yves Billon, Grothendieck et Jaulin feront un tour militant avec une exposition de photos dans plein de villages du sud de la France sur le thème : « Occitanie, Amazonie, même combat » = pour dénoncer l’ethnocide et l’écocide ici et là-bas : la destruction des communautés paysannes traditionnelles au nom de « progrès », pour les mêmes raisons qui poussent à la destruction des peuples amérindiens en Amazonie. On réécoutera à ce sujet l’émission de France-Culture de (?) 1974 = débat entre Robert Jaulin et Pierre Samuel = « Ethnocide et écocide » émission « Les Mardis de France-Culture »…

C’est lui qui avait lancé en France la subversion écologique, donc l’écologie au sens révolutionnaire du terme, dans la suite logique des remises en causes profondes de la société industrielle provoquées par « Mai 68 ». Aux Etats-Unis où Alexandre Grothendieck avait été invité suite à son prix international : la Médaille Fields en 1966, il découvrira le mouvement écolo, bien connu depuis l’article fondateur du biologiste Paul Sears : Ecology, a Subversive Subject (revue BioSciences, 1965), et c’est alors qu’il ramènera cette subversion en France, en créant avec deux autres mathématiciens : Pierre Samuel (futur cofondateur de la branche française des Amis de la Terre) et Claude Chevalley (qui fut à Bordeaux proche d’Ellul et Charbonneau) la revue et le mouvement « Survivre et Vivre ».

Ce mouvement se fera connaître en France par sa présence très active à la manifestation anti-nucléaire dite « Bugey-Cobayes » près de Lyon en juillet 1971 et par sa dénonciation du dépôt de futs de déchets radioactifs à côté de centre de recherche de Saclay. Très remuant de 1971 à 1975, ce courant qualifié parfois « d’écolo-situationniste » va s’auto-dissoudre en recommandant à ses militants de cesser de gamberger intellectuellement en ville et de partir partout à la campagne pour créer des communautés, des lieux expérimentaux de vie sociale alternative et révolutionnaire (ce que fera par exemple le biologiste Jean -Paul Malrieu près de Grenade, au Moulin de Montlauzin, qui fut le siège d’une de ces communautés rurales post Mai 1968) : on en trouvera tous les détails dans le gros livre sur « Survivre et Vivre : la contestation de la science dans l’après Mai 1968 » de Céline Pessis aux éditions L’ Echappée 2012. Voir aussi le documentaire d’Hervé Nisic sur la vie d’A. Grothendieck : « L’espace d’un homme »…

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