Premier mai

Homme libre, que fais-tu de ta liberté ?

Un texte de mon ami FK

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Le premier jour du mois de mai est réputé être le jour de la fête du travail. Je n’en ficherai donc pas une rame et mettrai mes doigts de pied en éventail en les faisant battre la mesure. Du moins si le temps le permet.

Il y a bien des années de cela, ce jour avait quelque chose de sacré pour beaucoup d’entre nous. Tôt le matin, nous étions à pied d’oeuvre sur les places devant les bourses du travail. Contents d’être là, contents d’être ensemble, contents de se retrouver et de se friter par slogans interposés avec ceux qui voulaient imposer leur hégémonie mais surtout leur  domination sur la pensée politique. Nous étions créatifs et retords dans l’invention des slogans mais la bonne humeur pointait toujours le bout de son nez, surtout les jours de soleil.

Le PCF et la CGT qui étaient viscéralement attachés au Programme Commun de la gauche ne supportaient pas ceux qu’ils appelaient les gauchistes reprenant la terminologie précise de Lénine en la complétant souvent avec des adjectifs ou substantifs de leur cru. Les « gauchistes-Marcellin », les « hitléro-gauchistes » leur hérissaient le poil et dans les services d’ordre, il y a avait souvent des individus très velus prêts à faire le coup de poing. Des deux côtés parfois. La réponse « hitléros-staliniens » par référence au pacte germano-soviétique était dès lors comme une réponse du berger à la bergère. Ceci  nous avançait grandement, pensions-nous tous alors. Il fallait toujours  prévoir un service d’ordre  pour calmer les ardeurs des services d’ordre et, plus d’une fois, c’est de ces services d’ordre au second degré, souvent improvisé et spontané, que jaillissait une certaine  bonne humeur.

« Une seule solution, la Révolution ! » lançait la jeune garde. La formule courait le long  des échines, gonflait nos poumons et flottait sur les cortèges. Et soudain la parade. Quand le slogan arrivait à la  fin de sa course folle, les communistes le complétaient par un ardent « Un seul moyen, le Programme Commun ! ». Alors s’élevait un chant  à deux voix qui dominait le cortège en une véritable cacophonie. Le premier slogan lancé avec conviction était invariablement complété par le second et chacun essayait de couvrir la voix  de l’autre. Au final, comme les premiers étaient moins nombreux que les seconds, la rivalité mourait de sa belle mort et pour un observateur extérieur au cortège, peu au fait des subtilités politiques  qui nous travaillaient à cette époque, le cortège défilait sous le slogan unique « Une seule solution, la Révolution ; un seul moyen, le Programme commun ! ». Il aurait facilement pu penser que la gauche extra-parlementaire avait mis un peu d’eau dans son vin et que les tenants du communisme d’alors avaient su faire preuve d’une rare tolérance ce qui n’était pas leur qualité première.

Quelques années plus tôt, alors que l’intervention américaine battait son plein au Viet Nam, le Front de Solidarité Indochine qui regroupait l’essentiel de tous ceux qui s’opposaient à cette guerre, manifestait presque quotidiennement d’une manière ou d’une autre. Le 1er mai était pour ce mouvement également un jour de grande sortie. Les slogans que nous scandions étaient de facture assez classique et sans grande surprise : « Paix au Vietnam! Yankee, go home ! Fuck off uncle Sam ! Non aux bombardements ! ». J’en oublie et j’en rajoute ( je note au passage que si j’avais oublié de fermer mes guillemets ou si je les avait inopinément déplacées, vous auriez pu croire que nous scandions également : J’en oublie  et j’en rajoute ).

Soudain, un slogan ! Long, très long. Musical, étudié. Sans doute longuement poli et repoli, peut être venu au monde dans la douleur, certainement testé dans une officine dédiée. Les Maos purs et durs, non pas imberbes mais glabres comme des ecclésiastiques, le lancèrent en un seul souffle ce qui relevait de l’exploit et montrait qu’ils n’en manquaient pas.

«  De Da Nang à Quang Ninh, des plaines aux hauts plateaux, vive le peuple en aaaaaaarmees ». Tout était dit. Le détenteur du mégaphone et maître habituel de l’animation de la manifestation en resta coi (pour ce qui relève  des plaisirs déconcertants de l’accord de cet adjectif séduisant se reporter à une de mes précédentes chroniques). Jean Claude était un des lanceurs de mots d’ordre du fameux FSI, il était barbu et membre de la Ligue Communiste de Krivine, l’ancêtre  du Nouveau Parti Anticapitaliste. A ma connaissance le slogan ne fit pas souche et ne survécut que dans les souvenirs  de quelques joyeux mémorialistes.

Il fut un temps où nous manifestions souvent ; dans la gravité, la bonne humeur et le bonheur d’être ensemble et de se sentir solidaires. Le premier jour du mois de mai, qui, plus que tout autre, était devenu le symbole de ces aspirations puissantes et renforçait nos convictions profondes. Il plongeait ses racines dans l’ Histoire et des histoires incertaines parfois.

En 1886, l’American Federation of Labor avait organisé une grève massive pour la journée de travail  de  huit heures. Le 4 mai de cette année, lors d’un rassemblement à Haymarket Square à Chicago, une bombe fut jetée sur la police et une  fusillade éclata et  fit de nombreux morts. Attentat anarchiste ou provocations d’une officine dont des industriels étaient les commanditaires ? Le 1er mai 1891, la troupe tira sur les grévistes de Fourmies qui eux également revendiquaient la journée de travail de huit heures.  De Chicago à Fourmies s’étaient-ils donnés le mot ? Ou est-ce le Rastignac versaillais qui noya dans le sang la Commune de Paris qui a inspiré  tous ces fusilleurs ?

« Fête du Travail et de la Concorde Nationale» sur fond du triptyque pétainiste Travail-Famille-Patrie en 1941 et cela tombait justement le jour de la Saint Philippe puis par la suite « Fête du Travail ». La Journée Internationale des Travailleurs du 1er mai attire bien des convoitises. La dernière en date est la préemption que le soudard de Montretout et ses nervis ont tentée, par Jeanne d’Arc interposée. Il n’est donc pas inutile de rappeler qui est réellement cet individu.

Eric Dupont-Moretti, avocat pénaliste, me pardonnera. Je pille sans vergogne une partie de son dernier livre, je photocopie et vous offre son travail d’inventaire des condamnations des membres du FN et de celles de Jean Marie Le Pen dont ce dernier ne se vante jamais.

Extraits : DupontMoretti_dediabolisation

Je vous invite à acheter et à lire son «  Dictionnaire de ma vie », non pas pour sa recette de la sauce tomate (la mienne est bien meilleure à mon goût) mais pour les pages qu’il consacre à l’institution judiciaire et à la mission de l’avocat qui valent la peine d’être lues.

Les exploits judiciaires de Le Pen et de ses affidés sont plus éloquents que mille discours. Que ceux qui l’ont soutenu cessent de feindre d’avoir été dans l’ignorance et se comportent en adultes. Que ceux qui convoitent leurs voix cessent de les traiter en irresponsables ou en brebis égarées qu’il suffirait de ramener patiemment au bercail. Nous sommes aussi responsables de nos idées que de nos agissements et s’il est toujours possible de faire acte de contrition pour une pensée confuse, il n’en est pas de même pour des horreurs commises. Que ceux qui ont poussé Brahim Bouarram dans la Seine le 1er mai 1995 ne s’y trompent pas. Et cela vaut pour leurs imitateurs lillois.

Que les Journées Internationales des Travailleurs à venir redeviennent ces moments intenses pendant lesquels la pensée et les rêves traversent les frontières ! Que le patriotisme cesse d’être un ultranationalisme qui ne dit pas son nom !

« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » disaient Karl Marx,

« Citoyens de tous les pays, contenez-les ! », doit désormais être notre volonté exprimée.

Dimanche, j’écouterai en boucle « Le temps des cerises » interprété par Yves Montand, Nana  Mouskouri et tous les autres qui ont prêté leur voix à Jean Baptiste Clément . J’aurai les poils des bras qui se dresseront et  j’aurai chaud au cœur en même temps.