Eaux usées d’Île-de-France

Un scandale exemplaire

La moralisation de la vie publique, promesse sans cesse réitérée, jamais mise en œuvre, est devenue le mantra favori de la classe politique. Conjointement, le dévoiement des affaires publiques ne cesse de prendre de l’ampleur. L’une des plus grave affaires de corruption française affectant le marché des eaux usées en Île-de-France en apporte une démonstration accablante.

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Le syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP), une « entente » créée en 1970 par la ville de Paris et les trois départements de la petite couronne, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne, qui épure les eaux usées de 9 millions de Franciliens, est le premier donneur d’ordre européen dans le domaine de l’environnement, avec un budget annuel d’un milliard quatre cent millions d’euros.

Cette institution est totalement atypique dans le paysage institutionnel francilien et même national. Le SIAAP voit le jour à l’orée des années 1970, quand la Seine subit de plein fouet l’impact de rejets industriels massifs, qui dévastent faune et flore. Des investissements colossaux vont dès lors devoir être effectués pour améliorer l’efficience du traitement des eaux usées dans l’agglomération parisienne. Après plusieurs refontes de l’usine historique d’Achères, dans les Yvelines, qui date des années 1930, le syndicat va ensuite s’atteler à la construction de nouvelles unités de traitement, décentralisées dans toute l’Île-de-France.

Compte tenu de l’ampleur des investissements à engager, avec le couperet de la transcription en droit français de la directive européenne « eaux résiduaires urbaines » (21 mai 1991), qui impose à la France comme à tous les États membres de l’Union européenne de nouvelles obligations de résultat en terme de qualité de traitement, des bonnes fées vont se pencher sur le berceau du syndicat.

Michel Rocard, maire de Conflans-Sainte-Honorine de 1977 à 1994, et son directeur de cabinet Jean-Paul Huchon, qui lui succédera de 1994 à 2001, avant d’occuper de 1998 à 2015 la présidence de la région Île-de-France, se démènent avec succès pour porter sur les fonts baptismaux une convention cadre entre le SIAAP, l’Agence de l’eau Seine-Normandie et la région Île-de-France, qui va permettre au syndicat de bénéficier de financements supplémentaires, ce qui va contribuer à lui conférer un statut d’exception.

Un statut d’autant plus exceptionnel qu’il se réflète… dans les statuts même du syndicat. Il épure aujourd’hui les eaux usées de 9 millions de Franciliens, mais tous ne sont pas logés à la même enseigne.

Les habitants de Paris et des trois départements de la petite couronne, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne, la « zone centrale », ont des représentants au conseil d’administration du syndicat : 12 conseillers départementaux pour Paris (qui était aussi jusqu’en 2016 un département), et 7 pour chacun des trois autres départements.

Au-delà, le SIAAP épure aussi les eaux usées de 180 communes de la grande couronne, qui ne sont pas, elles, représentées à son conseil d’administration, mais sont liées au syndicat par de simples conventions.

La majorité de ces communes de grande couronne sont de droite.

Ces 180 communes bénéficient d’un tarif d’assainissement inférieur à celui que paient les usagers de Paris et des trois départements de la petite couronne. Elles n’acquittent en effet qu’une redevance d’épuration, et non celle de transport, et bénéficient de ce fait d’une ristourne de 40 %…

Et c’est ce Yalta, négocié dans la plus grande opacité, qui a scellé la gouvernance PC-RPR à l’origine des affaires judiciaires qui connaissent aujourd’hui un écho retentissant.

Car le SIAAP est soupçonné depuis des décennies de financement occulte de la droite et du parti communiste, lointain héritage, qui aura survécu à un demi-siècle d’alternances politiques, de l’alliance historique nouée dans l’après guerre entre le RPF du général de Gaulle et le parti des fusillés de Maurice Thorez.

Et, de fait, la litanie des « affaires » qui accablent aujourd’hui cet établissement public fait peser le spectre d’une corruption structurelle, systémique, que rien ne semble pouvoir endiguer.

Son président (RPR) jusqu’en 2001, Daniel Méraud, condamné en même temps qu’Alain Juppé dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, est poursuivi devant le TGI de Versailles en 2004 pour des marchés truqués.

Son successeur, Maurice Ouzoulias, vice-président (PCF), du Conseil général du Val-de-Marne, dernier bastion communiste en région parisienne, présidera le syndicat jusqu’aux élections cantonales de mars 2015, auxquelles il ne s’est pas représenté, se recasant à la présidence de l’Office HLM « Île-de-France Habitat ».

C’est Maurice Ouzoulias qui nommera en 2011 à la direction générale du SIAAP Jacques Olivier, ingénieur EDF de 1980 à 2010, ancien directeur général adjoint de la Caisse centrale d’activités sociales (CCAS) EDF-GDF, le plus important comité d’entreprise français, dont 12 dirigeants ont été condamnés en 2014 pour des malversations financières.

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