Évasion fiscale en Afrique

7.103 $ par seconde en Afrique ; à comparer avec 31 710 € en Europe ; 3 171 € en France ; 963 € en Belgique !

Aucun pays, aucune région du monde n’échappent à l’évasion fiscale organisée.

C’est un crime global, global(es)comme le sont les organisations qui le perpétuent. La religion du profit l’a emporté universellement et supplante toutes les autres. Son pouvoir absolu est d’autant plus impitoyable qu’il n’a  de cesse de concentrer les richesses de manière toujours plus écrasante. L’Organisation des Nations Unis (ONU) compte 193 Etats membres (sur les 197 actuellement reconnus) et ce sont  737 transnationales seulement qui contrôlent 80% de l’économie et de la finance mondiales. Pour celles-ci, les notions d’intérêt commun, de biens communs, de besoins collectifs n’existent pas. Le consentement à l’impôt leur est étranger. L’impôt lui-même, quand il les concerne, doit être éradiqué et cela doit se faire aux quatre coins de la planète, peu importe la situation économique des pays dans lesquels elles sont implantées : elles vont piller tout aussi allègrement les ressources fiscales des pays les plus pauvres économiquement que celles des pays les plus riches.

L’Afrique n’échappe pas aux ravages de l’évasion fiscale et ce sont les multinationales  (et leurs conseillers) des pays colonisateurs qui sont aux commandes.  Bien plus encore ! Relativement à son développement économique actuel, elle est dévastée.  L’évasion fiscale constitue le énième asservissement dont le continent est victime après l’esclavage, l’asservissement par la dette (illégitime et odieuse), le pillage de ses ressources naturelles, de ses terres, de ses œuvres d’art, la dévastation de son environnement. Les  multinationales (les « multicoloniales » devrait-on dire) ont pris le relais des Etats colonisateurs Occidentaux qui  n’ont pas cessé d’être actifs  mais qui sont eux-mêmes entre les mains d’un pouvoir économique ultra-concentré, dont ils sont  les serviteurs  zélés. Les fabuleuses potentialités du continent  Africain sont ainsi captées par l’insatiable voracité de ce pouvoir économique ce qui fait que les Africains  eux-mêmes ne sont pas bénéficiaires, comme ils devraient l’être,  de leur propre essor, confisqué qu’il est par les  pays riches et leurs multinationales. En effet, l’Afrique connaît un véritable boom économique. C’est le FMI lui-même qui a désigné il y a peu  l’Ethiopie comme le pays le plus dynamique au monde avec un taux de croissance de plus de 10%.La République démocratique du Congo (RDC), la Côte d’Ivoire, le Mozambique, la Tanzanie et le  Rwanda connaissaient eux une croissance de plus de 7%. Rien d’étonnant donc à ce que les vautours de la religion du profit (et les fonds du même nom) fondent sur le continent, d’autant plus que les perspectives de croissance prévues par le FMI en 2019 et 2020 sont pour certains pays particulièrement alléchantes : 6,5% pour le Bénin, 6% pour le Burkina Faso, plus de 7% pour la Côte d’Ivoire et pour l’Ethiopie, 8% environ pour le Rwanda, plus de 7% pour le Sénégal etc…

Les méfaits commis par les multinationales et les trafiquants de l’impôt qui les conseillent sont d’autant plus considérables que l’impôt société est extrêmement important pour les pays en développement. En effet, dans les pays à faible revenu et revenu intermédiaire de la tranche inférieure (classification définie par la Banque Mondiale), il représente une part importante des recettes fiscales environ 16% contre  en moyenne 6% dans les pays à revenu élevé. Aux conséquences dramatiques pour la population vient s’ajouter la pression fiscale résultant de l’augmentation des impôts indirects comme la Tva qui représente en Afrique Subsaharienne 67% du montant total des recettes fiscales (et qui touche donc de manière totalement disproportionnée les ménages les plus pauvres).

L’évasion fiscale en Afrique a plusieurs visages : celui  des schémas habituels mis au point par ses organisateurs, notamment via l’utilisation du système des prix de transfert et celui  des exonérations fiscales négociées directement par les multinationales et leurs conseillers avec les gouvernements de certains pays soucieux d’attirer les investissements étrangers. Là comme ailleurs, la concurrence fiscale entre Etats est mortifère et  la puissance des transnationales est telle qu’elle leur permet de négocier des exonérations « à la carte ».

La seule manipulation des prix de transfert a permis aux multinationales de soustraire en 2010 plus de 40 milliards de dollars (1) qui auraient dû être soumis à l’impôt société, ce qui équivaut à plus de 11 milliards de dollars de recettes fiscales annuelles perdues (au taux moyen d’impôt société de 28%). Les spécialistes considèrent que le manque à gagner des pays Africains imputable à la manipulation des prix de transfert ne représente qu’une petite partie du potentiel fiscal gâché par les pratiques d’évasion fiscale des multinationales implantées sur le continent Africain. Certaines  sources considèrent que ce sont  138 milliards (2) de dollars de recettes fiscales (hors les pertes  fiscales résultant des techniques d’évasion fiscale proprement dites) qui échappent chaque année au continent Africain grâce aux exemptions fiscales accordées par certains Etats aux multinationales.
D’autres sources estiment les pertes fiscales des pays Africains à quelque 200 milliards (3) de dollars par an. En réduisant de 50% leur « manque à gagner fiscal » (différence entre les recettes fiscales attendues et les montants effectivement perçus), les pays Africains pourraient mobiliser 112 milliards de dollars (4) supplémentaires  par an (d’ici à 2020) soit environ 4% à 5% du PIB du continent.

L’évasion fiscale en Afrique, c’est 224 milliards de dollars de pertes fiscales annuelles. Nous avons en effet pour notre part retenu le chiffre de 224 milliards de dollars en considérant que les pays Africains devraient être en mesure de combler à 100% leur manque à gagner fiscal s’ils ne devaient pas affronter la puissance des multinationales et de leurs conseillers fiscaux.  224 milliards de dollars, c’est environ 9,4% du PIB de l’ensemble du continent Africain. (Pour l’Union Européenne, l’évasion fiscale estimée à 1.000 milliards d’euros représente 6,5% du PIB). 224 milliards de dollars par an d’évasion fiscale pour l’Afrique, c’est  613 millions et 698.630 dollars par jour, 25 millions et 570.776 dollars par heure, 426.180 dollars par minute et 7.103 dollars par seconde.

L’évasion fiscale en Afrique équivaut donc aux revenus totaux annuels de 413,3 millions de citoyens Africains. L’Afrique est peuplée de 1 milliard 280 millions et 136.000 habitants. C’est  donc près de 175 dollars qui sont volés annuellement à chaque Africain. En Afrique Subsaharienne, il y a 413,3 millions de personnes qui vivent en situation d’extrême pauvreté, soit avec moins de 1,90 dollars par jour (694 dollars par an) selon les normes édictées par la Banque Mondiale. Rapportée à leur nombre, l’évasion fiscale équivaut à 542 dollars par an et par personne soit près de 80% (fourchette basse) de ce qu’il faut à ces personnes pour survivre.  L’évasion fiscale en Afrique équivaut donc sensiblement aux revenus totaux de 413,3 millions de citoyens Africains.

L’évasion fiscale est un outil d’asservissement qui ne suffit pas aux tenants de l’idéologie néolibérale. Le carcan de la dette (illégitime) est là pour le renforcer. La dette publique des Etats Africains s’élevait fin 2017 à 1.214,1 milliards de dollars  et avait augmenté de 40 milliards au cours de l’année. Face à la culpabilisation savamment entretenue par la dette,  il est temps de rappeler que lorsque la dette augmente de 1.268 dollars par seconde, elle devrait en fait diminuer de 5.835 dollars par seconde, l’évasion fiscale s’élevant elle à 7.103 dollars par seconde. S’il fallait considérer que la dette des pays Africains est légitime (elle ne l’est pas), il faudrait donc  moins de 5,5 années sans évasion fiscale pour l’éteindre. Mais comme cette dette est illégitime, les pays Africains dits« endettés » étant en réalité  les créanciers, se voient donc piller chaque année de 224 milliards de dollars par leurs propres débiteurs !

Les organisateurs de l’évasion fiscale et leurs clients ont, il est vrai, la vie grandement facilitée par les nouveaux missionnaires de la religion du profit à tout prix qui soumettent les populations aux fameux « dix commandements de Washington » qui fixent les règles de conduite auxquelles il ne faut pas déroger. Et dans le langage des grands prêtres de l’orthodoxie néolibérale, il sera dit que les pays en développement (les PED) devront instamment mettre en œuvre   des plans d’ajustement structurels (les PAS)  sur injonction pressante des institutions financières internationales (les IFI).   Et qui sont ces IFI ? Le FMI Fonds Monétaire International dont le directeur général est traditionnellement un Européen, la BM Banque Mondiale dont le Président est  le plus souvent un Etatsunien, le Club de Paris qui regroupe les Etats créanciers et le Club de Londres qui regroupe les créanciers privés, dont notamment les grandes banques de Wall Street et de la City, ainsi que les plus grands fonds d’investissement, bref un véritable entre soi   de colonisateurs qui veillent au bien du continent Africain !

L’évasion fiscale est aussi illégitime et odieuse que la dette, dénoncée par Thomas Sankara. L’évasion fiscale creuse la dette elle-même illégitime, vampirise les budgets des Etats à cause du service de la dette dont les intérêts  pèsent de plus en plus, les taux appliqués étant bien entendu beaucoup plus élevés que ceux accordés aux Etats Occidentaux.

Illégitime et odieuse comme la dette, l’évasion fiscale en Afrique, c’est aussi la mort.

pour.press

(1) Rapport Oxfam  juin 2015
(2) Libération 31/03/2014, Rapport Action Aid 2013
(3) La Croix 02/06/2015
(4) Rapport Oxfam  juin 2015