Des militant.es antinucléaires à la barre de Bar

Pour la défense, le procès de Bure profite à « l’État nucléaire »

Lors de la troisième et dernière journée du procès des sept militantes et militants antinucléaires opposés au projet Cigéo, le procureur a requis une peine de prison ferme et d’autres assorties de sursis. Dans leurs plaidoiries, les avocats de la défense ont insisté sur la disproportion entre le dérisoire des faits reprochés et les moyens titanesques de l’enquête.

Les 1er, 2 et 3 juin se tient à Bar-le-Duc le procès de sept militants qui luttent contre le projet Cigéo d’enfouissement des déchets radioactifs. Ils sont soupçonnés d’association de malfaiteurs. Reporterre, présent sur place, fait le récit quotidien des audiences et des mobilisations de soutien aux prévenus.

À qui profite le procès des antinucléaires de Bure ? C’est la question centrale de ce dossier à laquelle trois jours d’audience à Bar-Le-Duc (Meuse) auront eu du mal à apporter une réponse. Malgré une enquête titanesque révélée par Reporterre et Mediapart, qui a coûté près d’un million d’euros, on peine encore à comprendre pourquoi sept militants et militantes se sont retrouvées sur le banc des prévenus. « Quel dommage de se ruiner pour défendre le fleuron nucléaire plutôt que de poursuivre une criminalité en col blanc qui heurte pourtant beaucoup plus nos valeurs sociales », a remarqué l’avocat Matteo Bonaglia jeudi 3 juin, lors l’audience consacrée aux plaidoiries des avocats.

L’affaire a commencé avec l’incendie de l’hôtel-restaurant du Bindeuil en 2017, sur lequel un non-lieu a été rendu. Ainsi, l’audience a porté sur la manifestation du 15 août 2017, qui célébrait l’anniversaire de l’occupation du bois Lejuc. « Après trois jours d’audience, j’ai eu le sentiment qu’on jugeait une simple manifestation. Le sentiment qu’étaient sur le banc des prévenus des gens à qui on reprochait des jets de projectiles faits par d’autres personnes. C’est quelque chose qui n’est pas punissable en droit », a dit Me Raphaël Kempf, l’un des avocats des prévenus.

« C’est une justice de classe » 

Cette « simple » manifestation n’était même pas interdite, comme l’a expliqué l’avocate Muriel Ruef, avant de rappeler que 21 tirs de LBD ont été effectués par la gendarmerie, que 320 grenades lacrymogènes ont été lancées ainsi que 37 grenades GLI-F4. « Ce n’est plus un usage de la force, mais un usage des armes », a relevé Me Muriel Ruef. Des projectiles qui ont mutilé Robin Pagès, le seul blessé grave de cette journée. « Il aura des séquelles jusqu’à la fin de ses jours à cause d’une grenade lancée à un moment précis où il ne se passait rien », a poursuivi l’avocate.

Dans son réquisitoire, le procureur a pourtant déclaré que des gendarmes avaient été blessés, mais ils n’étaient pas présents à l’audience en tant que partie civile. Or, Chloé, l’une des prévenues, est poursuivie pour des faits de violence sur personnes dépositaires de l’autorité publique. Précisément, pour avoir lancé des pierres contre les forces de l’ordre durant cette manifestation. Impossible cependant de déterminer avec certitude si elle est bien responsable de cet acte, selon l’avocate Norma Jullien Cravotta. « D’autant qu’aucun gendarme dans ce dossier ne fait état d’un préjudice personnel, qu’il soit physique ou psychique. » Le procureur, Sofian Saboulard, va pourtant requérir pour Chloé une peine de 10 mois d’emprisonnement avec sursis.

Concernant les prévenus Florian, Angélique et Joël, le parquet a estimé que les faits de complicité de détention d’engins incendiaires en bande organisée et d’association de malfaiteurs étaient établis, mais a rappelé qu’ils n’ont aucun antécédent judiciaire. Il a demandé dix-huit mois de prison avec sursis, avec l’interdiction de détenir une arme pendant cinq ans. Pour Céline et Benjamin, accusés de détention d’engins incendiaires en bande organisée, le procureur a requis douze mois de prison avec sursis et l’interdiction détenir une arme pendant cinq ans. Seul Kévin, parce qu’il a déjà été condamné et qu’il a déjà passé sept mois en détention provisoire, risque douze mois de prison ferme. « C’est une justice de classe », a déclaré Me Étienne Ambroselli, l’un des avocats, qui a par ailleurs subi une garde à vue et une perquisition de son matériel. Il comparaît aujourd’hui libre après un non-lieu prononcé par le juge d’instruction Kévin Le Fur. « Je n’ai pas compris ce qui justifiait ce revirement final. La seule différence entre moi et mes camarades, c’est qu’il est plus difficile de poursuivre un avocat que ce que vous appelez une bande “anarcho-autonome”. »

« L’Andra sait désormais beaucoup de choses » 

Ainsi à qui profite ce procès ? Sans doute à la DGSI, qui a récupéré une partie des 450 objets placés sous scellés, avec le nom de centaines de personnes qui gravitent autour de la lutte antinucléaire. « Ils vont pouvoir faire des regroupements, des fichages, identifier des contacts qui pourraient leur servir plus tard », a expliqué Me Alice Becker, l’une des avocates. Ce procès profite sans doute également à l’Andra [1] qui, en tant que partie civile, a pu se plonger dans les milliers de pièces du dossier et récupérer des éléments contre le mouvement antinucléaire, comme l’a soupçonné l’avocat Alexandre Faro. « L’Andra sait désormais beaucoup de choses et peut alimenter sa réflexion et nourrir ses plans de déstabilisation des opposants. Et ce n’est pas anodin, car les débats publics vont commencer sur la déclaration d’utilité publique de Cigéo. »

Enfin, ce procès pourrait profiter à ce que les avocats ont nommé à plusieurs reprises « l’État nucléaire », qui a mobilisé des moyens titanesques contre les opposants au projet Cigéo, comme l’a détaillé Me Matteo Bonaglia. « Outre la montagne de renseignements accumulés, le contrôle judiciaire a brisé des solidarités, a interdit de territoire des gens qui militaient ensemble. Ce qui est fait est fait. Mais que votre juridiction se souvienne à quel point les prévenus ont déjà payé. Et qu’elle n’oublie pas de les relaxer. »

Le jugement sera rendu le 21 septembre, à 9 heures.

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