Une transition peut en casser une autre

Macron, l’Arabie saoudite, l’Australie et la COP

Avec l’ouverture de la conférence de Glasgow (Ecosse) sur les changements climatiques (COP26), l’actualité devrait être à nouveau rythmée par les promesses, les objectifs, chiffrés ou non,  et les engagements des responsables politiques ou des capitaines d’industrie. En ce genre d’occasion, la question des moyens à mettre en œuvre pour atteindre les buts poursuivis est généralement éludée, ou ramenée à une question subsidiaire sans importance, un peu comme si la parole politique avait le pouvoir de s’imposer aux lois de la nature.

Cette question, celle du « comment », entremêle deux enjeux étroitement connectés. Le premier est celui de l’avenir du système technique, le second, celui de l’évolution culturelle des sociétés. Le premier est omniprésent dans le débat public, le second en est à peu près absent. On le voit, jusqu’à la caricature, dans les récentes déclarations des dirigeants des plus gros exportateurs d’hydrocarbures, comme l’Arabie saoudite ou l’Australie.

« J’annonce aujourd’hui l’objectif zéro émission de l’Arabie saoudite d’ici 2060 grâce à une stratégie d’économie circulaire du carbone », a ainsi déclaré, le 26 octobre, Mohammed Ben Salman, le prince héritier du royaume. L’engagement princier repose entièrement sur les technologies futures (et très probablement imaginaires) qui permettront de brûler le pétrole du sous-sol et de circulariser tout le carbone produit ? Le premier ministre australien, Scott Morrison, a dit la même chose, à la date (2050) et au combustible (le charbon) près.

Loin d’être caricatural, Emmanuel Macron mise, lui aussi, face au défi climatique, sur d’hypothétiques révolutions technologiques plutôt que sur des évolutions sociales et culturelles. Le discours de présentation du plan France 2030, prononcé le 12 octobre, suffit pour s’en convaincre. Déploiement du premier avion bas carbone d’ici la fin de la décennie, de petits réacteurs nucléaires modulaires, de l’hydrogène « vert », mise en production de deux millions de véhicules électriques et hybrides …

L’agriculture ? Le mot « »agroécologie » n’apparait nulle part dans le discours présidentiel, et tout l’avenir de nos campagnes s’y trouve réduit à ce triptyque : « le numérique, la robotique, la génétique ».

Le mot « sobriété » n’apparait pas non plus dans le discours présidentiel, quand les mots « innovation », « innovant » sont prononcés à plus de soixante-dix reprises. Il n’est évidemment pas anormal, ni très surprenant, de parler d’innovation dans un discours sur la relance industrielle du pays. Mais l’ample discours du 12 octobre est bien plus que la simple annonce d’un grand plan structurant la réindustrialisassions de la France face au défi environnemental et climatique.

L’élection présidentielle approchant, il a aussi valeur programmatique. Il fonde une vision du monde dans laquelle la transition écologique est avant tout une transition technologique.  A cette aune, aucune évolution socioculturelle, aucune transition vers des modes de vie moins énergivores ne semble nécessaire ou désirable, puisque l’innovation et la technologie permettront de maintenir ne varietur nos façons de faire en effaçant tous les inconvénients qui y sont associés. Pour M. Macron comme pour la plupart des dirigeants aux affaires, plus de technologie est invariablement la seule réponse possible aux dégâts provoqués par l’accumulation de nouvelles technologies –quand on a un marteau dans la tête, tout à la forme d’un clou.

Un exemple historique frappant

Les rêves de conquête et la mise en valeur de nouveaux espaces n’ont ainsi pas tari. Parmi les axes de développement technique et industriel mis en avant pour 2030 figurent en bonne place l’exploitation des grands fonds marins et la pleine participation à la nouvelle aventure spatiale, relancée par SpaceX et les excursions touristiques de quelques milliardaires de la tech autour de la terre.

Tout est-il inéluctable ? Dans un livre réjouissant (Economics as a religion : from Samuelson to Chicago and beyond, Pennsylvania State University Press, 2014, non traduit), l’économiste américain Robert H. Nelson (université du Maryland), mort en 2018, donnait un exemple historique frappant où l’éthique socialement dominante peut oblitérer ou rendre inepte l’innovation technique, lorsque les objectifs qu’elle poursuit sont perçus comme indésirables. « Dans les années 1400, la Chine était non seulement la société la plus développée économiquement dans le monde, mais aussi la plus grande puissance maritime, explorant jusqu’à la côte orientale de l’Afrique avec de grands voiliers techniquement très avancés, sous le commandement de l’Amiral Zheng He, raconte Robert Nelson. Ces efforts se sont toutefois heurtés aux érudits confucéens qui on (…) finalement réussi à mettre un terme aux voyages d’exploration, ont imposé une interdiction de construire de nouveaux navires et ont même obtenu la destruction des archives maritimes ».

La crise du Covid-19 l’a montré : des perturbations de grande ampleur peuvent induire des changements rapides d’aspiration, attiser le désir de vivre autrement, de quitter les grands centres urbains, tec. Qui sait ce que l’accumulation des dégâts causés par le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité produira, en 2030, sur les imaginaires, les croyances et les aspirations collectives ? Quand les forêts brûlent, que la mer monte et que les villes se noient dans des inondations monstres, la recherche éperdue d’innovation technique peut-elle encore tenir lieu de politique ? L’aventure spatiale, l’avion bas carbone ou la conquête des grands fonds marins feront-ils encore rêver en 2030 ? Où seront-ils plutôt perçus comme de dangereuses futilités ?

 

 S. Foucart, le monde