Chômeuses, chômeurs, tenez bon

Horreur : la France manque de main d’oeuvre !

Le gouvernement le répète sur tous les tons, les économistes libéraux lèvent les bras au ciel, les éditorialistes de plateau s’étranglent : il y a des offres d’emplois non pourvues et, « en même temps », tout plein de chômeurs et de chômeuses, que ces commentateurs assimilent de manière plus ou moins cachée (de moins en moins cachée d’ailleurs) à une bande de fainéant·es, de profiteurs, d’assistées. Le terme même de « chômeur » n’a pas été choisi au hasard, renvoyant à un imaginaire de personne refusant l’effort, coinçant la bulle au lieu de se retrousser les manches. En attendant, des patrons, grands et petits, râlent : ils manquent de bras pour faire tourner leurs usines, leurs hôtels, leurs restaurants…

Mais alors, le patronat n’embauche pas pour faire plaisir à la population ? Qui eût cru qu’il en avait réellement besoin pour faire tourner son bizness ? Dès lors, le rapport s’inverse : nous ne serions plus dans le cas de figure où un gentil patron daigne donner la béquée à un homme ou une femme acceptant de se plier à ses exigences, mais dans le cas d’un être humain qui accepte, ou non, de donner de son temps, de ses compétences et de sa force physique contre certaines contreparties (salaire, horaires, conditions de travail…). C’est l’employeur – et à travers lui le système – qui est en situation de demande.

Face au manque de personnel, certaines restauratrices, certains hôteliers et autres ont bien compris que le rapport de forces n’était pas en leur faveur. Ils ont aménagé les horaires de leurs salarié·es, augmenté leurs salaires et revu leurs conditions de travail. Et le pouvoir macroniste ? Après des décennies de destruction des services publics, lui-même est confronté au phénomène. Les enseignants français touchent des salaires plus bas que la moyenne des pays de l’OCDE, alors qu’ils gèrent des effectifs plus importants d’élèves ? On parle de « crise des vocations » pour expliquer le manque de candidat·es pour l’Éducation nationale. On rémunère de plus en plus mal les infirmier·es, tout en les faisant travailler dans des conditions intenables ? Les démissions se multiplient, les étudiant·es abandonnent leurs études. Alors le gouvernement lance une « campagne de recrutement »… en vain !

Aux salaires, aux conditions de travail et au reste s’ajoute, sans doute avec de plus en plus de force, la notion de sens. Travailler ne suffit plus, il faut aussi que ce travail soit en accord avec certaines convictions ou certaines réalités. Ainsi, certain·es préfèrent vivre chichement, voire pauvrement, plutôt que de louer leur bras à la « mégamachine » qui détruit le climat et le vivant de façon toujours plus visible. D’autres, infirmières et enseignants, s’aperçoivent qu’au delà de la question des salaires, ils n’ont plus les moyens, au quotidien, de donner un sens à des métiers, qui en ont, pourtant.

Quelles réponses gouvernementales ? Les moines du libéralismes n’en démordent pas. Il faut que l’économie, leur économie, tourne. Il faut donc tordre le bras des réfractaires et trouver de la main d’oeuvre bon marché aux employeurs. Pour ça, il fait feu de tout bois. Il s’en prend aux allocataires du chômage en les fliquant et en baissant drastiquement leurs droits.

Autre mesure plus discrète, mais qui fournira à coup sûr de la main d’oeuvre pas chère du tout : la réduction du nombre d’heures de cours dispensées aux élèves de l’enseignement professionnel, augmentant du même coup le nombre d’heures passées en entreprise… À y être, pourquoi ne pas fournir de la main d’oeuvre gratuite, subventionnée, pour casser tout rapport de forces favorable à une amélioration des conditions de travail ? C’est justement le projet du chef de l’État : obliger les allocataires du RSA à travailler 15 à 20 heures par semaine !

Un article trouvé dans le mensuel « l’âge de faire », n° 177 d’octobre 2022

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