Eau : une pluie de rapports

53 mesures pour… moins de sobriété

Un rapport d’inspection interministériel sur la sécheresse de l’été 2022 appelle à respecter d’urgence les objectifs de sobriété fixés en 2019. Le « plan eau » de Macron, lui, les revoit à la baisse.

Un article paru dans mediapart

Sécheresse hivernale, sécheresse ultra-précoce, risque de sécheresse estivale record, combat contre les mégabassines, irrigation… Jamais n’avons-nous autant parlé de l’eau. Là voilà au coeur du débat public, cette ressource si quotidienne, si banale et pourtant essentielle à la vie et à toutes les activités humaines, l’agriculture, l’industrie, l’énergie.

L’eau, il y en a de moins en moins. Le diagnostic est posé depuis de nombreuses années et largement documenté par la communauté scientifique. Les rapports s’empilent, institutionnels, politiques, militants, technocratiques, une litanie qui décrit la même menace : les dérèglements climatiques et l’impact des activités humaines sur la nature réduisent chaque jour la quantité d’eau disponible.

En France, elle a baissé de 14 % en 20 ans et devrait décliner de 30 à 40 % d’ici à 2050.

Dernier avertissement en date, celui d’un rapport d’inspection interministériel publié le 12 avril sur la gestion de la sécheresse de l’été 2022. Un document similaire avait déjà été diffusé après la sécheresse de 2019.

Idem en 2011. Étrangement similaires, ils recommandaient déjà plus de sobriété face à la crise de l’eau. Cette fois, les inspecteurs ne mâchent plus leurs mots : ils appellent à « un changement radical des pratiques » et à respecter d’urgence les objectifs fixés lors des « Assises de l’eau » en 2019 : − 10 % de prélèvement d’eau d’ici à 2024 et − 25 % d’ici à 2034. Un objectif minimum pour compenser la ddiminution de la ressource. Autrement dit, pour avoir dans dix ans le même problème qu’aujourd’hui et ne pas sombrer dans le pire.

« Le pire » a été évité de peu l’été dernier, décrivent les inspecteurs. « D’une part grâce à la mobilisation exceptionnelle de l’ensemble des acteurs, et d’autre part à un niveau de remplissage élevé des nappes et des retenues à la sortie de l’hiver 2021-2022. De telles conditions pourraient ne plus être réunies si un phénomène similaire se reproduisait dans les prochaines années, voire dès 2023. »

En ce mois d’avril, la deuxième condition – « le remplissage des nappes et des retenues à la sortie de l’hiver » – n’est déjà plus cochée. En effet, les nappes sont à des niveaux préoccupants, selon les dernières communications du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), qui pointe un « risque avéré de sécheresse estivale dans de nombreux secteurs ».

Les conséquences d’un épisode de sécheresse sont toujours lourdes. L’été dernier, durant lequel le pire a été évité, la production d’hydroélectricité a baissé de 20 %. Les rendements agricoles de 10 à 30 %. 1 200 cours d’eau étaient totalement à sec au 1 août. Sans eau, ce sont des écosystèmes entiers qui se sont asséchés. Près de 1 000 communes ont subi des coupures d’eau courante. Ce sont des camions-citernes, voire des bouteilles d’eau qui ont approvisionné les habitant·es. Et en ce mois d’avril, certaines communes n’ont déjà plus d’eau au robinet, notamment dans les Pyrénées-Orientales.

« Ce plan oublie les deux tiers des sujets et divise par deux les ambitions de sobriété. » Antoine Gatet, vice-président de FNE

Dans ce contexte, la réponse d’Emmanuel Macron arrive à contre-courant. Le 30 mars dernier, il a présenté un « plan eau » contenant une batterie de 53 mesures pour « une gestion résiliente et concertée de l’eau ». L’objet politique est flou. « C’est un document sans calendrier, sans budget et sans territoire, alors que la France compte douze bassins hydrographiques aux problématiques très diversifiées », souligne Antoine Gatet, vice-président de France Nature Environnement (FNE). Mais, surtout, malgré les recommandations unanimes, le plan rabaisse les objectifs de sobriété que s’était fixés la France il y a quatre ans lors des Assisses de l’eau. Les « 25 % de prélèvements en moins d’ici à 2034 » sont devenus « moins 10 % d’ici à 2030 ».

« Ce plan oublie les deux tiers des sujets, divise par deux les ambitions de sobriété et n’apporte rien qui [ne soit] déjà en place ou dans la feuille de route établie lors des Assises de l’eau », dénonce FNE, impliquée depuis de nombreuses années dans les instances de gestion de l’eau. « C’est un plan de com’ qui réinvente la poudre, poursuit cette fédération d’associations environnementales. Le problème, aujourd’hui, ce n’est pas un manque d’outils ou de lois ou de mesures. Le problème, c’est que les solutions ne sont pas mises en place, que les dérives ne sont pas sanctionnées et que le coeur du problème, systémique, c’est la non-remise en question du modèle dominant de l’agriculture conventionnelle. »

Une sobriété à deux vitesses

En France, 10 % des prélèvements d’eau sont destinés à l’agriculture, essentiellement pour l’irrigation. Une technique qui bénéficie à une minorité : moins de 8 % de la surface agricole utile est irriguée, principalement pour le maïs et les céréales, largement exportés et destinés à l’alimentation animale.

D’après les données de France Nature Environnement, cette surface irriguée a augmenté de 14 % entre 2010 et 2020. Elle atteint des records dans certaines régions comme les Hauts-de-France avec une hausse de 77,7 %. Et elle est au centre de la crise de l’eau.

Ce chiffre de 10 % de prélèvements destinés à l’agriculture irrigante, cité plus haut, cache une réalité plus complexe.

D’une part, l’eau prélevée pour l’irrigation est « consommée » – elle ne retourne pas dans les milieux aquatiques, comme c’est largement le cas pour les autres usages. Ainsi, l’irrigation représente 10 % des prélèvements mais près de la moitié de la consommation d’eau en France chaque année. D’autre part, son usage est concentré en été, quand la ressource en eau disponible est le plus faible. Dans certaines régions, l’irrigation constitue plus de 90 % des consommations estivales.

En résumé, c’est le sujet prioritaire, mais ce n’est pas celui du « plan eau » d’Emmanuel Macron. Il affirme bien la nécessité d’une sobriété pour « tous les acteurs » et donc aussi les agriculteurs, mais… « sans effort supplémentaire » pour ces derniers, selon les termes du ministre de l’agriculture, Marc Fesneau. Et le tout en irriguant plus.

« C’est la sobriété à l’hectare », a détaillé le ministre, notamment dans un entretien à Challenges. La stratégie est périlleuse : irriguer plus, consommer moins d’eau, et cela sans effort. Bref, il n’y pas d’engagement, conclut la Confédération paysanne, qui propose un « contre-plan eau » basé sur un autre modèle agricole plus soutenable.

« Il n’y a pas de solution au vrai problème qu’est l’agriculture irrigante, mais on fait culpabiliser les gens de prendre des douches », dénonce Antoine Gatet, de FNE. Car, finalement, la « sobriété » voulue par Emmanuel Macron pèse d’abord sur les particuliers, qui sont appelés à faire des économies d’eau après les économies d’électricité demandées cet hiver.

Selon le discours d’Emmanuel Macron, ils seront désormais soumis à une tarification progressive afin d’inciter à la sobriété. « Les premiers mètres cubes sont facturés à un prix modeste, proche du prix coûtant » et « ensuite, au-delà d’un certain niveau, le prix du mètre cube sera plus élevé, et c’est normal pour les consommations que j’appellerais de confort », a-t-il expliqué lors de son discours sur le « plan eau » prononcé à Savines-Le-Lac (Hautes-Alpes).

Un mode tarifaire qui est déjà largement répandu, ainsi que le rappelle dans un communiqué l’Association des maires de France (AMF). « Et cela est décidé localement, c’est une compétence locale. » Pas vraiment une révolution, d’autant que la tarification progressive ne règle pas l’enjeu principal. Le financement de la politique de l’eau repose entièrement sur les agences de l’eau et donc les ménages qui y contribuent à hauteur de 85 %. Pour l’AMF, seuls « un rééquilibrage des contributions et un élargissement des contributeurs permettraient de tendre davantage vers une logique pollueur-payeur ».

Une vision technologiste de l’eau

Compteur intelligent, optimisation de la ressource, application « EcoWatt » de l’eau, innovation de rupture, le « plan eau » est truffé d’une novlangue technologiste qui dessine finalement la vision macroniste de la gestion de l’eau : irriguer plus avec moins d’eau grâce à l’innovation, refroidir les centrales nucléaires en circuit fermé, gérer les sécheresses estivales grâce à la construction de mégabassines, ou encore recycler et réutiliser les eaux usées pour irriguer les champs ou arroser les jardins (REUT).

La REUT – réutilisation des eaux usées traitées – est une idée promue depuis une vingtaine d’années par l’industrie de l’eau, qui y voit de nouveaux débouchés. C’est l’une des mesures phares du « plan eau » : 1 000 projets de REUT seront lancés en cinq ans. Selon Emmanuel Macron, ils permettront d’économiser des millions de mètres cubes d’eau. « Trois piscines olympiques par commune ou 3 500 bouteilles d’eau par Français », a-t-il affirmé lors de son discours de Savines-Le-Lac. Autant d’eau qui ne reviendra pas dans les milieux aquatiques pour le maintien du cycle naturel, avec des conséquences floues sur l’environnement et un lourd investissement pour des économies d’eau à l’ampleur incertaine.

« Derrière, il y a cette idée que l’on peut dompter l’eau, dénonce Antoine Gatet, vice-président de France Nature-Environnement. C’est une mal-adaptation à la modification en profondeur des milieux aquatiques et des équilibres écologiques. L’objectif, au contraire, c’est la reconquête de la nature et de la capacité de l’eau à se gérer toute seule. »