Sur le gril

Au lycée d’Arras

« L’assaillant, que l’on voit ici, sur ces images filmées par un élève, avance dans la cour du lycée, couteau à la main. L’homme menacé recule. » Accompagnant une vidéo floue diffusée au 13 Heures, la voix off d’une journaliste de France 2 décrit la scène de l’attaque au couteau au lycée Léon Gambetta d’Arras : un enseignant, Dominique Bernard, est mort. Deux autres personnes ont été blessées. L’assaillant, un ancien élève du lycée, a été interpellé. 

Sur cette vidéo, le son n’est pas coupé : derrière la voix de la journaliste, on entend les élèves, dans leur salle de classe, qui observent l’attaque à la fenêtre. « Oh non. » « Il a un couteau, les gars, il a un couteau », entend-on distinctement. « Il y a le proviseur adjoint ! Ils vont se battre ! » C’est un élève, peut-être celui qui filme, qui assiste à l’attaque mortelle d’un enseignant de son lycée. De son prof, peut-être. Et c’est diffusé sur France 2, à peine deux heures après les faits. 

Et pas seulement sur France 2, d’ailleurs. Sur BFMTV aussi : « Regardez ces images, prises visiblement quelques instants avant l’assaut », explique Bruce Toussaint. « On voit l’auteur des faits qui arrive, qui a une altercation avec un homme, comme vous le voyez la situation est assez confuse. Ce sont des images qui, évidemment, donnent une idée de ce qui s’est produit… Alors… » On lui demande en plateau si les gens filmés dans la vidéo sont à l’extérieur du lycée. Toussaint bredouille : « Je… je ne sais pas. » À l’image, BFMTV précise : « Source : Twitter ». C’est confus. Très. 

Mais BFMTV a déniché une source de première main : un élève confiné dans le lycée, en direct, au téléphone : « Les élèves du lycée Gambetta à Arras sont actuellement confinés, l’un d’entre eux est en ligne avec nous, bonjour ! », s’exclame Toussaint. Hop, bandeau « élève confiné ». Pour seule illustration, une capture d’écran floue de la vidéo floue, dont la source est floue et la situation confuse. 

Quelle question peut-on poser à un lycéen dont le professeur vient d’être assassiné, qui est encore confiné dans son lycée ? Bruce Toussaint choisit de lui demander « ce qu’on leur a dit, ce qu’on leur a expliqué », puis si les élèves « ont compris que la situation était grave, tout de suite ». Le lycéen explique avoir reçu « une vidéo envoyée par ses amis », sur laquelle « on voit un mec avec des couteaux ». Celle qu’on vient de voir, donc. La mise en abyme fait froid dans le dos. « Est-ce qu’il y a eu une sorte de panique, ou est-ce que le calme est un peu revenu ? », demande Toussaint. Se souvient-il, Bruce Toussaint, de l’interview de BFMTV avec les otages en direct de l’HyperCacher ? Est-il certain que les élèves sont en sécurité ? 

Mais l’élève a à peine le temps de répondre que déjà le présentateur le coupe : « Merci pour votre témoignage, je vous confirme que la situation est sous contrôle. À l’instant on apprend qu’Emmanuel Macron va se rendre sur place, INFO BFM ! » Priorité à l’info. Même floue, même confuse, même à la limite de la déontologie.

Pauline Bock ; arrêt sur images