Trump vu par Project 2025

Comment les hommes du « Project 2025 » redessinent l’Amérique de Donald Trump

L’Oklahoma est devenu le premier État où les écoles peuvent enseigner que l’élection présidentielle de 2020 a été « volée » à Donald Trump. La banalisation de cette théorie du complot est inspirée par les auteurs du controversé « Project 2025 ». Car si ce programme ultraconservateur a quelque peu disparu du débat public, les hommes qui l’ont rédigé sont plus influents que jamais.

L’élection présidentielle américaine de 2020 ? Pas sûr que Joe Biden a vraiment gagné et il conviendrait « d’examiner les problèmes liés à ce scrutin et au résultat ». Une affirmation qui semble tout droit sortie du petit manuel du parfait conspirationniste en « Trumpland ». Elle est pourtant inscrite noir sur blanc dans le nouveau guide officiel de l’État de l’Oklahoma du cursus scolaire de la maternelle à la quatrième, adopté début mai.

La recommandation d’apprendre ces thèses complotistes aux enfants de l’Oklahoma comme s’il s’agissait de faits a été décidée par Ryan Walters, recteur d’académie dans cet État et trumpiste convaincu, souligne KJRH-TV, une chaîne de télévision locale.

Ce responsable des questions éducatives juge qu’il faut apprendre aux élèves à « regarder les courbes des sondages et autres informations pour cette élection, comme l’arrêt soudain du dépouillement dans des villes clés et examiner les questions de sécurité », note The Guardian, qui s’est intéressé à la trumpisation de l’éducation dans cet État conservateur du Midwest.

« Project 2025 », omniprésent de l’Oklahoma à Washington

Mais ce n’est pas l’œuvre exclusive de Ryan Walters. Cet ultraconservateur, grand détracteur de la « wokisation » de l’école, a fait venir au comité scolaire de l’Oklahoma un personnage très influent au niveau national : Kevin Roberts, le président de l’Heritage Foundation, un think tank de droite.

Kevin Roberts est surtout connu pour être l’un des pères fondateurs du très controversé programme « Project 2025 », cette feuille de route ultraconservatrice pour le second mandat de Donald Trump.

Qu’est-il venu faire dans un comité de relecture pour les programmes scolaires de l’Oklahoma ? En fait, si les controverses autour du « Project 2025 » ont un air de guerre d’avant élection de Donald Trump, en réalité « depuis que le président a pris ses fonctions, les hommes qui ont rédigé ou sont liés à ce document de 900 pages ont été placés à des postes clés à la fois au niveau fédéral et au niveau des États », assure Dafydd Townley, politologue et spécialiste des États-Unis à l’université de Portsmouth.

« Durant la campagne présidentielle, Donald Trump avait assuré n’avoir rien à voir avec ce programme ultraconservateur – essentiellement pour ne pas faire peur aux électeurs républicains plus modérés. Mais la manière dont les hommes du ‘Project 2025’ ont été placés à des postes clés à tous les étages de l’administration démontre, pour ceux qui en doutaient, que leur relation avec le président est symbiotique », résume René Lindstaedt, spécialiste de la politique américaine à l’université de Birmingham.

Loin d’Oklahoma City, les promoteurs du grand dessein ultraconservateur de l’Heritage Foundation sont omniprésents à Washington. À commencer par Russell Vought, le numéro 2 de ce think tank, devenu début février directeur du Bureau de la gestion et du budget des États-Unis.

Si le travail de coupe budgétaire du très controversé Doge – l’organisme de « l’efficacité gouvernementale » géré jusqu’à récemment par Elon Musk sur demande de Donald Trump – « a retenu toute l’attention des médias, d’un point de vue bureaucratique, c’est Russell Vought qui coordonne l’action de réduction des effectifs et du poids de l’administration », affirme René Lindstaedt.

Anti-Chine et contre la liberté d’expression

Ce haut fonctionnaire porte d’ailleurs sa haine de la bureaucratie en bandoulière. Peu après être entré en fonction, il avait affirmé avoir pour mission divine de « traumatiser les fonctionnaires ».

Ce n’est pas une surprise : la chasse aux fonctionnaires soupçonnés de ne pas être loyaux à Donald Trump représente l’un des axes prioritaires des auteurs du « Project 2025 ». Dans leur esprit, le président ne pourra mettre en œuvre toutes ses réformes que si l’administration est à 100 % derrière lui.

« John Ratcliffe, le directeur de la CIA, et Peter Navarro, le secrétaire au Commerce, sont également des contributeurs du ‘Project 2025′ », précise Dafydd Townley. Là encore, deux postes clés cruciaux pour s’attaquer à un même adversaire désigné des États-Unis : la Chine. John Ratcliffe ne manque pas une occasion d’affirmer que Pékin représente la menace principale pour son pays, tandis que Peter Navarro a été l’un des principaux promoteurs de droits de douane les plus punitifs possibles contre la Chine.

Un autre homme du « Project 2025 », Brendan Carr, le directeur de la Commission fédérale des communications (FCC), « pousse actuellement très fort pour restreindre la liberté d’expression des médias aux États-Unis », souligne René Lindstaedt. « Il invoque une prétendue couverture partisane de l’actualité pour faire pression sur des médias qu’il juge hostiles à Donald Trump », ajoute cet expert. Brendan Carr a notamment lancé une enquête contre CBS qui a obligé la chaîne à faire des concessions à Donald Trump dans l’espoir d’échapper au courroux de la FCC.

Commencer sur les bancs de l’école

Et puis il y a l’armée des anonymes, loyaux aux idéaux de l’Heritage Foundation, qui ont été placés à tous les étages de l’administration. Près de 67 % de tous les décrets pris par Donald Trump depuis son arrivée à la Maison Blanche « sont inspirés directement de propositions formulées dans le ‘Project 2025′ », a calculé la chaîne CNN. « Donald Trump n’est peut-être pas un idéologue qui a lu et applique ce document, mais il est clairement influencé par des hommes qui le connaissent », affirme Dafydd Townley.

C’est là que l’Oklahoma et ses programmes scolaires entrent en jeu. En effet, « l’un des buts des auteurs du ‘Project 2025’ consiste à réduire autant que possible le domaine d’intervention du gouvernement fédéral et de transférer ces prérogatives aux États », explique Dafydd Townley. Il faut donc s’atteler à prêcher la bonne parole du « Project 2025 » au niveau local. À ce titre, « l’Oklahoma apparaît comme un laboratoire » pour ces ultraconservateurs pétris d’idéaux chrétiens d’extrême droite.

Car la banalisation à l’école des théories du complot au sujet de l’élection de 2020 n’est pas le seul projet controversé de Ryan Walters, qui travaille main dans la main avec le patron de l’Heritage Foundation. Il veut également faire disparaître les cours sur le mouvement antiraciste Black Lives Matter et instaurer la première école religieuse sous contrat et financé à 100 % par l’État. Pour Dafydd Townley, il n’est pas étonnant que l’offensive passe avant tout par l’école, car « ces ultraconservateurs ont toujours considéré l’école comme un bastion de la gauche où étaient enseignées des valeurs ‘antiaméricaines' ». Autrement dit, pour assurer une trumpisation des esprits, il faut commencer par les bancs de l’école. Reste à savoir si le corps enseignant va suivre.

France24