Un laboratoire insoumis à l’épreuve du pouvoir municipal

Cela se passe dans la métropole lilloise

À la tête de Faches-Thumesnil depuis 2020, Patrick Proisy compte parmi les rares maires insoumis. Mediacités dresse le bilan de six années d’« insoumission » dans cette commune populaire de 18 000 habitants, où certains des choix opérés contrastent avec la doctrine nationale du mouvement.

 C’est la plus grande commune de France dirigée par un maire mélenchoniste. Depuis 2020, à Faches‐Thumesnil, au sud de Lille, Patrick Proisy dirige une coalition de partis de gauche. Au terme de son premier mandat, le maire sortant espère rempiler et servir d’inspiration, à l’heure où LFI nourrit de grandes ambitions pour le scrutin municipal de 2026.

Missionné pour dresser un « répertoire des actions du mandat » à destination des « camarades qui préparent les élections municipales », Patrick Proisy a listé l’ensemble des « réalisations d’une majorité de gauche avec à sa tête un Insoumis »… et non « les réalisations insoumises ». Ce choix des mots a toute son importance, alors que dans la plupart des grandes villes françaises où ils font campagne, la stratégie des Insoumis est de faire cavaliers seuls, à l’instar de la voisine lilloise.

« Faire des communes des préfiguratrices de la révolution citoyenne », lit‐on dans Pour un nouveau communalisme, livre collectif publié en octobre par l’Institut La Boétie, le laboratoire d’idées de La France insoumise (LFI). Comme jamais auparavant, LFI s’est mise en ordre de bataille pour remporter un maximum d’écharpes de maire. À Villeneuve-d’Ascq, Roubaix mais aussi Toulouse, Lyon ou encore Vénissieux, Villeurbanne et Vaulx‐en‐Velin, ce sont des députés insoumis qui mènent les listes. Et même lorsqu’ils se présentent face à des maires sortants écologistes ou socialistes, tous prônent « la rupture ».

Faches‐Thumesnil est un des rares « laboratoires insoumis », puisque les maires affiliés au parti mélenchoniste se comptent sur les doigts d’une main. C’est aussi le plus grand, puisque la ville compte 18 300 habitants. Derrière son maire, Patrick Proisy (aucun lien avec l’ancien tennisman devenu homme d’affaires), on peut citer René Revol à Grabels (Hérault, 9 000 habitants), Marc Péré à L’Union (Haute‐Garonne, 12 000 habitants) et Michel Sala à Saint‐Félix‐de‐Pallières (Gard, 200 habitants).

Patrick Proisy, maire de Faches‐Thumesnil. © Photo Matthieu Slisse / Mediacités

Élire des maires insoumis reviendrait à transformer les communes « en creuset[s] d’un changement global de politique, au service de l’émancipation de la société entière », écrit l’Institut La Boétie. Vraiment ? L’analyse du bilan de l’équipe de Patrick Proisy ne valide pas forcément une telle ambition.

Un mandat empreint de pragmatisme

« Sur le fond, depuis 2020, l’idée a été d’essayer d’incarner au niveau local la rupture qu’on prône au niveau national. Ce n’est pas toujours très facile », concède Patrick Proisy. « Pour une commune, qu’elle soit dirigée par la gauche ou par la droite, il y a toujours un tronc commun de mesures qui seront appliquées, que ce soit en termes de voirie, de gestion du bâti ou encore d’éclairage public », complète son premier adjoint, Didier Mahé. Ce cadre hospitalier à la retraite se définit comme « de centregauche ». Selon lui, seulement « 10 à 20 % » des politiques municipales peuvent être colorées politiquement.

Parmi les réalisations du mandat, il liste la limitation de la vitesse en ville à 30 kilomètres-heure, la rénovation de plusieurs bâtiments ou encore le renforcement de la présence de policiers municipaux à l’heure de la sortie de l’école… soit autant de mesures « de la vie quotidienne », plutôt consensuelles.

Selon Patrick Proisy, la principale rupture avec son prédécesseur Nicolas Lebas (UDI) réside dans la méthode de gouvernance : « On a essayé de mettre des stratégies en place qui étaient nouvelles avec les gens. C’est surtout ça la différence. » Sous l’intitulé « commencer la révolution citoyenne dans les communes », ces mesures en faveur d’une démocratie plus participative figurent d’ailleurs en première place de la « boîte à outils programmatique » élaborée par LFI pour 2026.

« Notre travail sur la consultation et la place du citoyen, c’est un des grands marqueurs de ce mandat, appuie Laurence Lejeune, adjointe déléguée. On a insufflé une culture participative. » Et de lister les nouveaux outils mis en place : instauration d’un droit de pétition et d’une charte éthique pour les élus, création d’une plateforme numérique de participation citoyenne, mise en place d’un budget participatif doté de 40 000 euros par an…

Les habitants se sont diversement saisis de ces nouveaux outils. Si le budget participatif a rencontré un certain succès, d’autres ont clairement fait flop. Les conseils de citoyens devaient compter des membres tirés au sort… mais les citoyens désignés ne se sont pas impliqués.

Sur la plateforme numérique, les remarques sont peu nombreuses. Parmi les 121 contributions enregistrées depuis 2022, 83 émanent de la même personne. Enfin, le droit de pétition n’a été investi qu’une seule fois, pour demander la construction d’une piscine dans la commune.

« Sa vraie qualité, c’est la com’ »

« Les citoyens ne s’en sont pas davantage saisis parce qu’on n’a pas assez communiqué dessus, tente de désamorcer Laurence Lejeune. On met en place des outils, des modèles de gouvernance, et on voit si ça fonctionne… » Patrick Proisy, pour sa part, s’en sort par une pirouette : « Si aucune autre pétition n’a été déclenchée, c’est peutêtre tout simplement parce que les habitants sont contents de la politique municipale. Pourquoi voir le mal partout ? »

« La vraie qualité de Patrick Proisy, c’est la com’ », réagit Frédérique Seels, cheffe de file de l’opposition divers droite au conseil municipal. Celle qui se qualifie elle‐même de « tête de Turc » pour l’équipe en place fustige une « mise en scène de la démocratie ». « À FachesThumesnil, la démocratie locale n’existe pas. C’est une concertation de tous leurs amis. Ils n’ont pas élargi le champ des gens qui viennent les voir », cingle-t-elle. Elle dénonce également un « climat politique tendu » ainsi qu’une transmission partielle des informations en amont des conseils municipaux.

Le programme municipal de Patrick Proisy devait être réalisé « sans augmentation des impôts », comme le précise un tract opportunément exhumé par Brice Lauret, néo‐habitant de Faches‐Thumesnil et principal concurrent de Patrick Proisy pour 2026. Dans les faits, la taxe foncière – rare levier fiscal pour les communes – a très fortement augmenté en 2023 : + 24 %.

Selon les informations recueillies par Brice Lauret auprès de la direction régionale des finances publiques, le niveau d’imposition à Faches‐Thumesnil pour un logement de 50 mètres carrés est très largement supérieur à celui des communes environnantes.

« Les impôts locaux n’avaient pas augmenté depuis près de vingt ans et on est arrivés dans une situation économique dégradée, se défend le maire. On a essayé de tenir comme on a pu mais en 2023, sous les effets combinés de l’augmentation du Smic, du dégel du point d’indice des fonctionnaires et de l’inflation des coûts du gaz et de l’électricité… » Il a dû faire un choix. « Option 1 : baisser drastiquement les dépenses de la ville. Option 2 : augmenter les recettes, résume-t-il. Nous avons fait ce second choix pour maintenir et développer le service public, pour rénover les bâtiments qui en avaient besoin. »

Au cours du mandat, la majorité a multiplié les subventions exceptionnelles « de sauvetage » à son Ehpad qui compte près de cent résidents et qui est structurellement déficitaire. La part du bio dans les cantines est passée à 55 % et la médiathèque est devenue gratuite.

Préoccupations sécuritaires

Sur le terrain – plus inattendu – de la sécurité, Faches‐Thumesnil s’est aussi distinguée. Le maire est fier d’affirmer qu’il a presque doublé les effectifs de la police municipale, équipée de gazeuses, de caméras-piétons et de tonfas. Une brigade intercommunale de nuit a été créée avec une commune voisine. Enfin, le maire n’a aucun tabou avec la vidéosurveillance.

« Pour la tranquillité publique, les caméras ont leur utilité. Il faut le prendre comme un outil supplémentaire », dit-il. Cette position tranche très franchement avec les orientations nationales de LFI. En juillet 2025, la députée Mathilde Panot affirmait en effet son souhait de voir les caméras de vidéosurveillance supprimées dans l’ensemble des communes où son parti l’emporterait lors des municipales… Sauf que cela n’a pas été le cas à Faches‐Thumesnil.

Les vingt-quatre caméras que comptait la commune en 2020 sont toujours en place. L’une d’elle est sur l’hôtel de ville, juste à côté d’un fanion aux couleurs LGBT. Le maire insoumis compte même une installation de caméra à son actif, achetée par son prédécesseur.

« Chaque ville a ses spécificités, ses particularités. Le mouvement est parfaitement tranquille avec mes choix », assure Patrick Proisy, qui planche, avec la métropole lilloise, sur un plan de « redéploiement » de la vidéosurveillance en 2026. « Je ne comprends pas pourquoi j’ai quatre caméras sur la place Victor-Hugo, mais aucune en entrées et sorties de ville alors qu’on sait que cela peut être utile pour suivre des véhicules. Je veux faire quelque chose de plus pragmatique et cohérent. Et peutêtre en ajouter », prévient-il.

Matthijs Gardenier, maître de conférences en sociologie, n’y voit aucune incohérence. Selon lui, les préoccupations sécuritaires « dépassent les clivages ». Faches‐Thumesnil a par ailleurs souscrit à un abonnement à l’appli sécuritaire « Voisins vigilants et solidaires », prononce régulièrement des arrêtés anti-regroupements et a distribué trois cents cannes antivol de voitures aux habitants qui en ont fait la demande, en 2025.

Didier Mahé, le premier adjoint de Faches‐Thumesnil, n’a « pas l’impression d’avoir exercé un mandat avec un maire insoumis ». Si l’affirmation a de quoi surprendre, elle dit tout des subtilités que l’équipe municipale élue en 2020 met un point d’honneur à conserver.

La majorité de Patrick Proisy est un panache aux nuances de vert, de rouge et de rose, « c’est la Nupes ou le Nouveau Front populaire avant qu’ils n’existent au niveau national », aime-t-il à rappeler. À mille lieues des invectives ayant mené à la rupture consommée entre Insoumis et socialistes à l’Assemblée nationale, à mille lieues aussi des stratégies solistes de LFI, le maire chante les louanges de l’union. « En 2020, quand on a fait la fusion de liste avec les socialistes, on s’est d’abord mis d’accord sur un programme, dit-il. Il y avait évidemment quelques petites différences, mais on a trouvé un consensus. »

Une liste littéralement épuisée

« Ils ont fait la Nupes avant la Nupes, c’est certain. Mais la réalité du pilotage de la ville, c’est LFI. Je ne vois pas le pluriel dans cette équipe », conteste l’opposante Frédérique Seels, qui note combien sont nombreuses les défections au sein de la majorité depuis 2020. Alors que l’équipe menée par Patrick Proisy doit théoriquement compter vingt-six membres, elle est aujourd’hui réduite à vingt-quatre en cette fin de mandat… puisque l’ensemble de sa liste a été épuisée.

Le maire cite « le désenchantement » comme principale cause de départ. « C’était, pour beaucoup, un premier mandat et beaucoup ne mesuraient pas l’importance de l’engagement… pour aucune rémunération, ou si peu. » Sans nier non plus que certains lâchages résultent de désaccords.

Si son pari de l’union de la gauche et sa manière d’appréhender les enjeux sécuritaires détonnent avec la doctrine nationale du mouvement, Patrick Proisy est sur le reste parfaitement aligné avec les orientations de LFI. Dès 2020, l’une des premières actions de la majorité a été de déclarer la commune « en état d’urgence climatique ». Des marches des fiertés se tiennent chaque année dans la ville. Enfin, la commune s’est engagée très clairement en soutien à la Palestine.

À l’été, Faches‐Thumesnil a hissé un drapeau palestinien. Alors que la préfecture avait assigné la ville devant le tribunal pour obtenir qu’il soit retiré, Patrick Proisy a obtempéré, sans esclandre. « Je ne voulais pas donner prise à des grands titres du style “Le maire de FachesThumesnil condamné à…”, explique-t-il. J’ai donc fait retirer le drapeau avant d’aller au tribunal. »

Radicaux dans l’opposition, les Insoumis deviendraient‐ils pragmatiques une fois au pouvoir ?

Mathieu Slisse (Mediacités-Lille) ; dans mediapart