La fin du début du covid ?

Covid, passe sanitaire et critique radicale

« Il est plus méritoire de découvrir le mystère dans

la lumière que dans l’ombre. »

Marie Lowitska, Maintenant, 1915

Un monde où chaque jour, à de multiples reprises, il est nécessaire de scanner un petit objet à l’entrée d’un bar, d’une boutique, d’une bibliothèque, d’une rue, juste pour vérifier que, en fonction de divers critères, nous avons bien le droit d’y pénétrer… Accepté, ou refusé. Pour notre bien, notre bien-être, notre santé, notre sérénité… Un monde où, si l’État veille et surveille, chaque citoyen est aussi

auxiliaire de police. Tel est le cadre d’une dystopie décrite par l’écrivain Ira Levin en 1970, Un bonheur insoutenable ; pas de lutte des classes à l’horizon, et pourtant…

Mais qu’en est-il en France en ce début de nouveau siècle ?

Prologue : Science… fiction ?

« Ce qui marquait la différence qu’il peut y avoir

entre les hommes et, par exemple, les chiens :

le contrôle était toujours possible. »

Albert Camus, La Peste, 1947

Au-delà du scanner, Ira Levin imagine une société cauchemardesque caractérisée par un État paternaliste apprécié de tous, assurant un contrôle social complet et informatisé, auquel chaque citoyen participe a priori volontairement, tout comme il accepte un traitement sanitaire et chimique strict (chacun recevant un cocktail personnalisé de tranquillisants et d’antidépresseurs). Un système informatique veille sur l’ensemble de la communauté, décèle les besoins et oriente les parcours éducatif et professionnel de chacun pour une productivité optimisée, et pour que règnent le calme et la tranquillité. Malgré tout, une poignée d’opposants s’active…

Une telle description relevait il y a cinquante ans d’un mauvais rêve sorti de l’esprit d’un auteur de SF toujours prompt à l’exagération et au pessimisme. Nous en sommes effectivement encore loin…

Ce qu’avait imaginé Ira Levin, comme nombre d’auteurs jusque dans les années 1970, c’est l’avènement d’ordinateurs surpuissants (gigantesques par leur taille), mais pas que la technologie puisse s’immiscer dans tous les domaines de la vie grâce à internet, au Wi-Fi et à l’intelligence artificielle (IA), ni même que puisse exister le gadget suprême que représente le smartphone. Dans Un bonheur insoutenable, il s’agit de faire biper un bracelet à longueur de journée par des bornes ad hoc.

Aujourd’hui, un écrivain d’anticipation branché évacuerait ce bip vulgaire et décrirait au minimum un système directement relié à un implant cérébral servant d’interface avec notre conscience. Et, le cas échéant, si l’envie nous venait d’aller boire un demi en terrasse, notre « smart-implant » ne manquerait pas de nous rappeler que pour X ou Y raison (santé, injonction du ministère de la Santé ou de notre mutuelle, décision judiciaire, etc.) nous n’avons pas ce jour-là l’autorisation de consommer de l’alcool dans un bar et que, pour éviter tout ennui (par exemple que notre table clignote d’une lumière rouge désagréable), il nous faudra prendre une eau pétillante ou rentrer chez soi…

Nous n’en sommes pas encore là. Même si les premiers implants cérébraux devraient être commercialisés dans les prochaines années, ils ne serviront qu’à rendre la domotique plus fluide ou à contrôler des ordinateurs en éliminant clavier et souris ; bref, à rendre la vie quotidienne tellement plus facile… L’augmentation des capacités cérébrales ou la connexion directe de l’esprit au Web devront, bien que plusieurs entreprises y travaillent d’arrache-pied, attendre la décennie prochaine.

Nous n’en sommes vraiment pas là. Nous n’en sommes d’ailleurs qu’aux prémices de l’usage d’implants sous-cutanés, ceux qui faisaient fantasmer les fans de X-Files au siècle dernier. En France, en 2015, la première implant party n’avait séduit que quelques centaines de personnes, la puce ne servait alors à rien… Mais, depuis, l’utilisation de ces nouveaux gadgets avance à petits pas, pour divers usages et dans

divers pays (en parallèle, l’usage d’implants contraceptifs se banalise) ; aujourd’hui, c’est un nouveau marché qui se fait doucement jour. En Suède, où quelques milliers de personnes disposent déjà d’un implant pour remplacer clés, cartes de visite ou billets de train, une entreprise propose maintenant la pose d’une puce pour utiliser plus facilement son passe sanitaire. Une cliente, heureuse, explique : « Je pense que cela fait tout à fait partie de mon intégrité d’être pucée, de garder mes informations personnelles avec moi » ; et un journaliste de s’interroger : « surveillance terrifiante ou solution pratique face au Covid-19 ? ».

Est-il vraiment nécessaire, comme le font certains « antivax » d’en rajouter dans ce délire ? Rien de neuf en effet, la crise du Covid-19 favorise seulement l’accélération de processus déjà à l’œuvre avant son irruption, dans des domaines aussi divers que la techno-surveillance, la digitalisation ou encore le contrôle social. Voilà qui promet. Un surréaliste avait d’ailleurs remarqué que « ce qu’il y a d’admirable dans le fantastique, c’est qu’il n’y a plus de fantastique : il n’y a que le réel ». Alors retournons-y, revenons au passe sanitaire ou vaccinal, à l’État et peut-être même à la lutte des classes.

Passe passe ?

« Ce qui fait délirer les gens, c’est de tenter de vivre en dehors de la

réalité. La réalité est terrible. Elle peut te tuer. Donne-lui du temps

et elle te tuera certainement. La réalité est la souffrance […] Mais ce

sont les mensonges, les évasions de la réalité, qui te rendent fou. »

Ursula Le Guin, Les Dépossédés, 1970

Les politiques sanitaires mises en place pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 sont assez variées en fonction des pays, et parfois des régions (c’est le cas en Espagne). Cependant, au milieu de l’année 2021, la plupart des pays avancés font le choix de la vaccination de masse, surtout pour éviter un nouveau recours au confinement, qui s’avérerait dramatique pour l’économie, et afin d’octroyer à la population, la force de travail, une protection sanitaire minimale. Ce choix a l’avantage de paraître raisonnable et de reporter l’efficacité du procès sur une responsabilité individuelle (qu’il y ait obligation ou pas), bien que toujours sous l’aile protectrice de l’État.

Serait-ce également la réponse la plus simple ? La moins coûteuse d’un point de vue financier ? Il n’a en tout cas pas été envisagé, pour le moyen et long terme, de réformes structurelles dans le domaine de la santé (octroyer plus de crédits à l’hôpital public ou lutter contre des comorbidités telles que l’obésité), ni même, pour faire face à l’urgence, d’adapter l’ensemble des lieux et postes de travail à la situation sanitaire, par exemple en investissant dans des purificateurs d’air adaptés. C’est que, dans la prise de décision, la santé de la force de travail (les prolétaires, qui n’ont pour se soigner que le secteur public) est un critère important, mais il n’en est qu’un parmi d’autres (économique, financier, politique, etc.). Certes le capital a besoin de conserver des travailleurs vivants, en bonne santé, surtout s’ils sont formés et productifs. Mais les critères de cette « bonne santé », et sa temporalité, diffèrent selon qu’on se place du point de vue du patronat ou de celui d’un prolétaire. Tout porte malheureusement à croire que, au-delà du virus, la gestion de cette crise aura, à plus ou moins brève échéance, des conséquences sanitaires particulièrement néfastes pour la majorité de la population et, en particulier, pour les plus pauvres (dégradation de la santé mentale, report de soins, poursuite du démantèlement de l’hôpital public, etc.).

En France, la vaccination, non obligatoire et gratuite, est possible à partir de janvier 2021. Si le mois précédent 55 % de la population adulte française ne souhaitait pas se faire vacciner, la propagande gouvernementale, bien que relayée par les médias et les réseaux sociaux, peine à inverser la tendance : à la mi-juillet, seulement 43,5 % de la population est complètement vaccinée ; et, fait troublant, les taux de vaccination ne sont guère supérieurs parmi les personnels de santé, en particulier parmi les infirmières et les aides-soignantes.

Il est vrai qu’en France la méfiance à l’égard de la vaccination (accrue depuis quelques années à la suite de l’élargissement des obligations, en 2018, et en particulier face à certains nouveaux vaccins) est grande ; et les taux de non-vaccination y sont parmi les plus forts au monde. L’immunologue Françoise Salvadori explique cette « exception française » par un rapport à l’État particulier ‒beaucoup d’attente entraînant beaucoup de déception (pas de santé scolaire, pas de vraie santé publique, pas de suivi post-vaccination, etc.). Mais s’y ajoute une défiance liée au poids des affaires, mis en évidence par des scandales sanitaires (Mediator, Dépakine, etc.) qui n’épargnent plus l’expertise médicale ou scientifique (Tchernobyl) ‒ nombreuses sont les condamnations pour fraude et corruption au sein de l’industrie pharmaceutique. D’où cette « vigilance critique », si ce n’est sceptique, très forte dans le pays, ainsi qu’une perte de confiance avérée.

Les experts appellent cela l’hésitation vaccinale ; elle concerne selon eux, durant la période Covid-19, trois grandes catégories de personnes : celles qui doutent de l’efficacité des nouveaux vaccins et se méfient de leurs éventuels effets secondaires ; celles qui ne perçoivent pas le Covid-19 comme une menace sérieuse pour leur santé personnelle ; celles déjà en marge du système de santé.

En 2021, la peur ou du moins la méfiance d’une partie de la population se concentre sur les vaccins à ARN messager, qui semblent avoir été mis au point en un temps record et sont présentés comme relevant d’une technologie inédite, et dont la réelle efficacité et les possibles effets secondaires questionnent. La rapidité de leur commercialisation et de la mise en place de campagnes d’injections, assez inédite pour un vaccin, étonne aussi fréquemment. S’y ajoute le fait que le gouvernement

peine à convaincre de l’innocuité de ces produits. En effet, de par une succession de mensonges et d’erreurs, son discrédit n’a fait que s’amplifier avec la pandémie, et beaucoup se demandent pourquoi il dirait la vérité cette fois-ci. La prise de décision au sein d’un Conseil de défense sanitaire au fonctionnement assez obscur n’arrange rien. Même la parole des scientifiques et des médecins connaît une forme de discrédit.

Alors que l’objectif est qu’entreprises et établissements scolaires reprennent une activité normale dès la rentrée, cette campagne de vaccination risque d’être un échec. Mais, plutôt que de lancer une vaste campagne pédagogique visant à rassurer la population quant au vaccin (solution sans doute trop complexe et coûteuse en temps), et alors que le principal levier de l’État pour gérer une crise est la confiance, le gouvernement opte pour la contrainte : forcer la population à la vaccination… sans pour autant la rendre obligatoire (pour des raisons juridiques et politiques). Le passe sanitaire est donc annoncé par Macron le 12 juillet et mis en œuvre dès le 9 août.

Désormais, pour entrer dans divers établissements recevant du public (ERP) comme les bars et les restaurants, les cinémas ou les bibliothèques, les personnes âgées de 12 ans et plus doivent présenter une preuve de vaccination complète ou bien un test du Sars-CoV-2 négatif effectué dans les soixante-douze heures précédentes. Piégés, des millions de Français optent forcément pour la vaccination.

Dans le même temps, celle-ci devient obligatoire pour les personnels des établissements de santé, et le passe sanitaire est imposé aux travailleurs au contact du public dans les ERP : des millions de personnes jusqu’alors rétives s’y résignent ainsi.

Malheureusement, si cette campagne paraît efficace à court terme, son caractère obligatoire accentue en profondeur la défiance vis-à-vis des autorités et, plus particulièrement, la méfiance des plus dubitatifs. « Le passeport santé a encouragé la vaccination de nombreuses personnes qui étaient hésitantes ou réticentes, mais il n’a pas réduit l’hésitation elle-même. Une enquête de septembre 2021 a révélé que 42 % des personnes vaccinées étaient encore réticentes ou avaient des doutes sur le vaccin au moment de leur première dose. Plus important encore, la part des personnes vaccinées ayant des doutes sur le vaccin est passée de 44 % à 61 % après la mise en place du passe sanitaire. »

À l’automne, le renforcement des contraintes pesant sur les non-vaccinés met en lumière les incohérences du dispositif. Les lois de la biologie semblant se plier devant celles de la politique, la validité d’un test PCR négatif passe ainsi de 72 à 24 heures, puis perd toute valeur… alors qu’être vacciné donne accès à tous les lieux quel que soit son état de santé ; la possession d’anticorps offre d’abord six mois de protection (donc de passe) puis finalement quatre ; etc. Il apparaît dès lors de manière évidente que le passe n’est pas en soi un outil sanitaire, mais bien plutôt un outil de coercition visant à compliquer la vie des non-vaccinés pour les contraindre à l’injection. On notera que dans certains pays, comme l’Estonie, le dispositif indique si la personne est ou non porteuse d’anticorps.

En novembre 2021, la couverture vaccinale en France atteint environ 90 % de la population éligible. Mais difficile pour autant d’évoquer une victoire sanitaire. La vaccination des personnes les plus vulnérables, notamment les personnes âgées, reste en effet particulièrement basse pour un pays d’Europe occidentale : ainsi seuls 86 % des plus de 80 ans sont entièrement vaccinés à la mi-octobre 2021. L’annonce, au début de 2022, d’une troisième dose et de la réduction du délai de rappel (passant de 7 à 4 mois) n’entraîne pas les vaccinations espérées par le gouvernement : plusieurs millions de personnes s’y refusent et se voient retirer leur passe ! Et si, dès le départ, beaucoup de vaccinés ont cessé de se préoccuper des déclarations du ministère de la Santé, des mesures sanitaires et des gestes barrières, nombreux sont ceux qui désormais cherchent à se faire contaminer volontairement pour éviter cette nouvelle injection, certains organisant même des « soirées Covid », parfois pour retrouver ensuite du travail (et on ne parle pas des trafics, combines et prêts de vrais/faux passes en tout genre). Cela se confirme : contrainte et pédagogie ne font pas bon ménage. Quant aux incohérences par lesquelles le gouvernement s’est fait remarquer dès le début de la crise, ses incessantes contradictions d’une semaine sur l’autre, elles se poursuivent, favorisant encore une fois la défiance ‒ et le développement des théories conspirationnistes.

On le voit, la majorité des Français accepte donc, bon gré mal gré, la vaccination et l’utilisation du passe sanitaire puis du passe vaccinal, soit par crainte du virus, soit pour ne pas se compliquer la vie. Environ 10 % de la population éligible reste pourtant non vaccinée. Cela s’explique probablement avant tout par une situation de marginalité (vis-à-vis du système de santé et de l’État et son administration en général) ; mais une minorité fait ce choix sciemment et s’oppose même ouvertement au passe sanitaire ou à la vaccination obligatoire à travers une mobilisation qui, comme le mouvement des Gilets jaunes, est assez surprenante.

Les manifestations de l’été 2021

« Quiconque refusera d’obéir à la volonté générale y sera contraint

par tout le corps : ce qui ne signifie pas autre chose sinon qu’on le

forcera à être libre. »

Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, 1762

Deux jours après l’allocution présidentielle du 12 juillet 2021, de premiers rassemblements de protestataires ont lieu à l’occasion du 14 Juillet, puis des manifestations tous les samedis à partir du 17 juillet et dans plusieurs centaines de communes à travers la France (surtout dans le Sud). Y participent des centaines de milliers de personnes. Cette mobilisation, organisée depuis les réseaux sociaux –parfois à l’initiative de collectifs locaux conspirationnistes opposés à la gestion gouvernementale de la crise –, est assez inédite, surtout en pleine période estivale.

La France n’a jusqu’alors pas connu d’important mouvement d’opposition aux mesures de restrictions liées à la crise sanitaire, contrairement à l’Allemagne, aux Pays-Bas ou à la Grande-Bretagne. L’Hexagone y a probablement échappé du fait qu’il sort d’un long épisode de révolte populaire, celle des Gilets jaunes, qui a connu l’échec et la répression.

Tout comme ce mouvement, les manifestations de l’été 2021 sont fréquemment décrites par les médias et les militants macronistes (ou, souvent, ceux d’extrême gauche) comme des défilés d’égoïstes, forcément d’extrême droite, voire des néonazis.

Il est vrai que dénoncer l’alliance des fous, des va-nu-pieds joueurs de djembé et des fascistes – les irrationnels – vous place d’emblée du côté de la raison ou, pour le dire vulgairement, du côté des braves gens ; c’est sans doute rassurant. Cette catégorisation à l’emporte-pièce nous semble toutefois fort caricaturale, fautive et surtout bien peu opérationnelle pour comprendre le mouvement anti-passe tel qu’il s’est exprimé en métropole (sur lequel nous nous concentrerons).

Soulignons tout d’abord que les cortèges de l’été 2021 sont assez bigarrés. Si la comparaison avec ceux de l’hiver 2018-2019 est fréquente, seule une minorité de Gilets jaunes a pris part aux deux mouvements. La composition très interclassiste se ressent davantage dans ces dernières manifestations ; la part « ouvrière », visible au début, s’y réduit rapidement ; tandis que les bourgeois, petits bourgeois et artisans poursuivent leur participation – rien n’indique qu’ils soient majoritaires – à une mobilisation qui demeure policée, loin de la tournure radicale et offensive prise par la révolte de décembre 2018. On y remarque une très forte proportion de femmes, et l’adhésion de beaucoup plus de jeunes que dans une manifestation syndicale traditionnelle, une présence conséquente également de personnes que nous classerions dans la case assez péjorative de hippies, au mieux d’écolos alternatifs,

notamment dans le sud de la France.

S’agit-il, comme il est souvent dit, de personnes peu ou mal informées, un peu perdues car ne lisant que des posts Facebook ? Pour une part peut-être (comme partout ailleurs), mais certaines enquêtes montrent au contraire que ces manifestants « ont tendance à être plus actifs, plus instruits [davantage diplômés], mieux informés et plus politisés que la moyenne ».

Il paraît évident que les cortèges comprennent une forte proportion de primo-manifestants, souvent très peu ou pas du tout politisés, ne portant pas de réflexion particulière sur ce monde, croyant aux concepts (complètement illusoires) de liberté et de libre arbitre tels qu’ils sont inculqués dans cette société, en particulier par l’Éducation nationale. D’où une grande naïveté, notamment celle du slogan « Liberté ! », psalmodié ad nauseam lors des déambulations. Ces citoyens, généralement irréprochables, voient soudainement l’État leur interdire l’accès à tel lieu, tel emploi ou tel loisir… en somme tout ce qui constitue aujourd’hui la « vie sociale ». Une incompréhension, voire une humiliation. Oui, évidemment, la plupart des gens ne se rendent pas compte que leur téléphone portable est un mouchard au quotidien. Mais ici, tout à coup, certains le voient utiliser à des fins de contrôle étatique, et plus précisément comme le support d’une sélection parmi les citoyens : c’est un choc qui met sens dessus dessous le paradigme de la démocratie et des droits de l’homme dont la France se veut la championne. Il s’agit dès lors pour beaucoup d’une question de principe.

Si l’opposition au passe sanitaire est la première massivement mise en avant dans les cortèges, la critique de l’obligation vaccinale y est également très répandue, et ce bien que des vaccinés y soient présents. Ce scepticisme est l’expression d’une perte de confiance en un État qui ne respecterait plus le pacte hobbesien selon lequel l’individu aliène sa liberté en échange d’une protection, et qui est accusé de faire passer les intérêts économiques (en particulier ceux de l’industrie pharmaceutique) avant ceux de la population (dont la santé serait par exemple menacée par d’éventuels effets secondaires). Oui, cela s’exprime souvent de manière extravagante et désespérante ; mais, à l’inverse, est-il bien sérieux de croire que la rationalité économique soit sacrifiée au profit de la santé des prolétaires ?

Au-delà de la forme, la critique la plus fréquente à l’égard de ces manifestants les renvoie à une révolte égoïste, perception alimentée par les slogans confus où se croisent les thématiques du choix, du corps des individus et de la liberté. Hormis de la part de quelques hurluberlus – on ne retient généralement des milliers de pancartes brandies que celles qui nous arrangent – le discours dominant serait davantage celui du care, de l’attention portée aux autres (de là le vibrant accueil fait aux soignants et pompiers rejoignant les cortèges) avec une mention toute particulière pour les enfants (par forcément les siens), angoisse classique devant le futur qu’on leur réserve (que l’on retrouve dans des manifestations de toutes sortes). On peut donc au contraire y voir un refus de l’individualisme auquel nous condamne le capitalisme, l’expression du besoin d’une réelle communauté face aux ersatz qu’on nous en propose, et une profonde insatisfaction devant ce monde, d’autant plus devant sa version aseptisée où prime la séparation (distanciel, distance sociale, gestes barrières, etc.). Il n’est à cet égard pas surprenant qu’on ait compté tant de chrétiens et de hippies dans les défilés.

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