Les médias, toujours contre la gauche

Réédition en poche du livre de Pauline Perrenot, Les médias contre la gauche

Nous donnons à lire un extrait de son introduction. Et si, comme le signale l’autrice, « nous ne tirons aucune satisfaction à voir les diagnostics ici posés demeurer d’une brûlante actualité », le constat est sans appel, au royaume de l’éditocratie rien n’a changé, ou bien, c’est pire…

Deux ans plus tard, la guerre médiatique contre la coalition du Nouveau Front populaire, constituée en vue des élections législatives après la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron en juin 2024, a pris des allures de bis repetita 1. Feuilletonnant les « batailles pour Matignon » jusqu’à plus soif, les médias dominants ont réussi à faire oublier la victoire de la gauche aux élections, normalisant le coup de force antidémocratique du camp présidentiel2. La France insoumise est demeurée, à cette période, leur cible privilégiée3.

Dans la roue du pouvoir politique et de très nombreux partis d’opposition, gauche comprise, les grands médias sont même parvenus à accoler au mouvement dirigé par Jean-Luc Mélenchon le stigmate de « parti antisémite » depuis le 7 octobre 2023. Dès le lendemain des massacres commis par le Hamas, le journalisme dominant a épousé le récit du gouvernement d’extrême droite israélien et a étouffé l’ensemble des voix et des mouvements de solidarité avec le peuple palestinien. S’est ainsi enclenchée la plus vaste et la plus violente campagne de diabolisation que la sphère politico-médiatique ait entreprise à l’endroit de mouvements sociaux et politiques contestataires au cours des dernières décennies4.

À la manière d’un redoutable accélérateur, la question palestinienne a cristallisé un processus à l’œuvre depuis plus de dix ans dans les champs politique et journalistique, consistant à vilipender la gauche dite « extrême », tout en promouvant l’extrême droite… et ses visions du monde. Gardiennes autoproclamées du « cercle de la raison », les chefferies éditoriales se radicalisent et s’alignent toujours plus ouvertement sur le pôle réactionnaire de la vie publique, avec lequel elles communient dans une fuite en avant autoritaire et islamophobe.

Opérant précisément à la manière d’un trait d’union, la mouvance d’extrême centre gravitant autour du Printemps républicain occupe de nouveau un rôle majeur dans la conjoncture. L’influence dont jouit ce petit nombre d’éditorialistes, essayistes et polémistes au sein du champ journalistique – et des sphères de pouvoir, plus généralement – est d’autant plus importante qu’ils disposent d’un organe de presse à leur image et fait par eux, Franc-Tireur, largement légitimé, repris et cité par les grands médias en dépit, ou plus précisément en raison de sa nature indigente : un condensé d’éditorialisation et une synthèse du prêt-à-penser dominant. Sous la coupe du groupe Czech Media Invest – propriété du milliardaire Daniel Kretinsky et dont la présidence est assurée par l’illustre Denis Olivennes –, l’hebdomadaire devrait même bénéficier d’une « déclinaison » sur la TNT en 2025. Tandis que l’empire Bolloré continue de doper la droitisation et le confusionnisme ambiants, le pluralisme n’en finit plus de s’étioler… Dans un tel contexte, c’est la possibilité même de l’existence de la gauche dans le débat public – c’est-à-dire une apparition qui ne soit pas préalablement entachée de discrédit voire de diffamation systématique – qui est tout simplement en jeu.

Deux ans ont passé… et ce sont bien l’ensemble des dynamiques décrites dans ces pages qui ont redoublé d’intensité. Mobilisation de l’éditocratie contre les opposants à la réforme des retraites début 20235  ; rappels à l’ordre et triomphe des injonctions sécuritaires au moment des révoltes des quartiers populaires en juin 20236  ; accompagnement de la répression lors des manifestations écologistes, notamment à Sainte-Soline7  ; surexposition outrancière de Jordan Bardella, la tête de liste du Rassemblement national aux élections européennes8  ; relégation du journalisme social face à la suprématie des actionnaires du CAC40, qui accaparent les bénéfices de la politique économique d’Emmanuel Macron à mesure qu’ils licencient massivement partout en France9 …

On ne compte plus les symptômes de la débâcle du « quatrième pouvoir », dévoyant les missions d’information et de pluralisme qui, en théorie, le consacrent historiquement comme un pilier de la démocratie. Nous ne tirons aucune satisfaction à voir les diagnostics ici posés demeurer d’une brûlante actualité. Plutôt la conviction que le combat pour une réappropriation démocratique des médias est, aujourd’hui encore davantage qu’hier, une nécessité politique de premier plan.

Pauline Perrenot

Introduction actualisée à son livre, Les Médias contre la gauche, parution en poche le 18 avril 2024.

Par la même autrice sur Antichambre :
– «
Aux origines de la droitisation du débat public », 10 mars 2023
– «
BFM-TV et le journalisme politique : le néant au carré », 13 mars 2023
– «
Médias et extrême droite : la grande banalisation », 13 mars 2023
– «
Lexique pour temps de réforme des retraites (2023) », 14 mars 2023

Notes

  1. Mathias Reymond, « Les médias en guerre contre le Nouveau front populaire », Acrimed, 5 juillet 2024

  2. Mathias Reymond, « Les médias en guerre contre le Nouveau front populaire », Acrimed, 5 juillet 2024

  3. Jérémie Moualek, « Comment les médias ont fait oublier l’élection », Acrimed, 15 octobre 2024.

  4. « Israël-Palestine, le naufrage du débat public », Médiacritiques, no 49, janvier-mars 2024 ; « Maccarthysme médiatique », Médiacritiques, no 51, juillet-septembre 2024 et « Médias et Palestine », Médiacritiques no 53, hiver 2025.

  5. « Retraites : l’éditocratie avec Macron », Médiacritiques, no 46, avril-juin 2023.

  6. Mathias Reymond, « Mort de Nahel : de l’appel au calme au rappel à l’ordre », Acrimed, 12 juillet 2023 et Pauline Perrenot, « Nahel et révoltes urbaines : promenade à travers la PQR », Acrimed, 17 juillet 2023.

  7. Acrimed, « Sur BFM-TV, la police fait l’information », dans Avoir vingt ans à Sainte-Soline, sous la direction du Collectif du Loriot, La Dispute, 2024.

  8. Acrimed, « Ascension de l’extrême droite : les médias complices et coupables », Blast, 25 juin 2024.

  9. Acrimed, « Journalisme économique : 40 ans de propagande au service du capital », Blast, 3 novembre 2024.