La Sorcière Électricité

Un siècle de maléfices

La prétendue transition énergétique n’infléchit pas la trajectoire d’électrification massive, mais l’accélère

Nous avons été élevés dans l’idée que l’électricité simplifiait la vie sans rien coûter qu’un abonnement à EDF et un peu de pouvoir d’achat. Il ne viendrait à l’idée de personne de critiquer la « Fée Électricité » et son pouvoir magique : il suffit d’appuyer sur un bouton. N’a-t-elle pas comblé nos aïeux de bienfaits – prospérité, santé, confort, puissance ? Et en voici désormais un nouveau : « l’électrification des usages » – mobilités, industrie, agriculture, vie quotidienne – va nous sauver du chaos climatique.

Mais d’où vient ce chaos, sinon de la puissance accumulée depuis un siècle et demi via l’abondance énergétique, cadeau catastrophique qui motorise la destruction industrielle ?

Or la prétendue transition énergétique n’infléchit pas cette trajectoire, mais l’accélère. C’est ce qu’admet tacitement la Commission de régulation de l’énergie (CRE) avec une référence incongrue glissée dans un rapport de 2023 : « L’avènement d’une civilisation massivement électrifiée à l’horizon 2050 » qu’avait imaginé René Barjavel dès les années 1940 (Ravage, 1943) ne relève plus de la science-fiction. La trajectoire pour atteindre l’objectif de transition énergétique (…) envisage une électrification accrue et généralisée des usages de l’énergie à ce même horizon. »

Quel aveu. Ravage, c’est le roman dans lequel la « smart planet » du futur se trouve privée d’électricité. La vie s’arrête, les avions tombent du ciel, les citadins, privés de tout moyen de survie, sont contraints à un exode apocalyptique, inspirant ce commentaire au héros : « Les hommes ont libéré les forces terribles que la nature tenait enfermées avec précaution. Ils ont cru s’en rendre maîtres. Ils ont nommé cela le Progrès. C’est un progrès accéléré vers la mort. »

Cynisme ou lapsus, les technocrates comparent eux-mêmes leurs projets à la plus glaçante dystopie. Il faut croire que l’électrocution du monde n’est pas une « solution » si enviable. Elle est pourtant la seule opposée au seul risque écologique reconnu par nos dirigeants, le réchauffement climatique.

Leur calcul est tronqué : face à l’unique ennemi que serait le CO2, il suffirait de décarboner la société industrielle en remplaçant les énergies fossiles par l’électricité. Un plan rassurant, facile à traduire en slogans et en « incitations à l’action », et totalement à côté des enjeux réels.

Hors de la zone de sécurité

Comme Barjavel, les esprits lucides annoncent de longue date les effets prévisibles de l’industrialisation sur les milieux naturels et leurs habitants.

Les scientifiques confirment ces alertes par leurs études après coup, avec des conclusions effarantes. Un article de 2023 dans la revue Science Advances résume : « Six des neuf limites planétaires sont franchies et deux sont en passe de l’être ». Conclusion : « La Terre est désormais hors de la zone de sécurité ».

Ce n’est pas de la science-fiction, mais le constat que des seuils irréversibles pour notre biosphère sont franchis, concernant l’effondrement de la biodiversité, la modification des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, la mort des sols, l’acidification des océans, la perturbation du cycle de l’eau douce ou la pollution atmosphérique. Le réchauffement climatique n’est pas la seule menace pour notre survie, et faire croire que l’électrification sauvera notre avenir est un mensonge criminel. Si la technocratie veut vraiment agir, les études pointent deux facteurs, la décroissance de la démographie et celle de la consommation par habitant. Or, c’est tout l’inverse qui se produit.

Accélération technoélectrique

Dans son rapport 2024, l’Agence internationale de l’énergie relève que la consommation mondiale d’électricité augmente plus vite que ses propres prévisions. Rien de surprenant à cette accélération, confirmée en France par RTE, le réseau de transport d’électricité.

Voitures et vélos électriques, électrification de l’industrie, smart planet et société numérique exigent toujours plus d’électrons, alors que la consommation française a déjà été multipliée par trois entre 1973 et 2023. Une entreprise suisse, E-Outdoor, propose les premiers skis de randonnée électriques, pour économiser 30 % d’efforts et gagner 80 % de vitesse à la montée. Les sociétés industrielles sont électroxiquées. Contrairement aux discours officiels, la course aux prétendues « énergies renouvelables » est avant tout destinée à accroître la production électrique, en plus du nucléaire et des énergies fossiles, toujours au plus haut. Cercle vicieux : cette disponibilité électrique incite à élargir les usages, quand il faudrait au contraire les réduire au strict nécessaire. La Sorcière Électricité fait croire à l’impossible et excite la volonté de puissance sans limite. Après les smartphones et autres gadgets connectés, l’« intelligence » artificielle et ses data centers monstres.

Voilà pourquoi l’Isère accueille cette année les plus gros supercalculateurs d’Europe consacrés à l’IA, qui exigeraient jusqu’à un gigawatt de puissance électrique. Leur implantation est choisie pour bénéficier des équipements hydroélectriques des Alpes, gages à la fois d’une image « renouvelable » et de disponibilité électrique.

La cuvette grenobloise a l’habitude : l’invention de la « Houille blanche » à la fin du XIXe siècle, énergie hydroélectrique produite par les chutes d’eau, a attiré les usines dans les vallées, déclenchant une spirale de développement techno-industriel qui n’a pas cessé depuis. De l’électrochimie aux nanotechnologies, de la production d’aluminium à celle de silicium, de la métallurgie aux puces électroniques, une même exigence : toujours plus de jus.

La Houille blanche veut sa part

Des populations rétives

Campagnes d’acceptabilité

Falsifications historiques

Un modèle insoutenable

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