Nucléaire à Gravelines

EDF doit revoir la copie de ses futurs réacteurs

Les deux futurs réacteurs EPR2 qu’EDF veut construire au bord de la mer du Nord sont-ils trop lourds pour le terrain sableux qui s’y trouve ? Dans une note au ton sévère, l’Autorité de sûreté nucléaire demande à l’industriel des alternatives, ses solutions étant trop complexes.

Tout le monde n’a pas la chance de construire un réacteur nucléaire sur un polder, ces terres asséchées artificiellement et sous le niveau de la mer.

C’est ce qu’ont pu penser les ingénieur·es d’EDF qui développent les futurs réacteurs nucléaires EPR2 sur le site de Gravelines, près de Dunkerque (Nord), à la lecture de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) publié le 16 octobre.

Cette note technique alerte sur la difficulté de construire un bâtiment aussi lourd sur un sol aussi sableux et donc « meuble », c’est-à-dire léger et poreux. Le risque est que le terrain se tasse, se déforme, jusqu’à la liquéfaction sous le poids du béton, et que la centrale s’enfonce dans la terre.

La plus grosse installation nucléaire d’Europe de l’Ouest, la centrale historique de Gravelines, produit de l’électricité depuis 1980 au même endroit sans rencontrer ce problème. Mais les EPR2 « ont une densité double, soit le double de poids par mètre carré » par rapport aux six réacteurs du vieux site, explique Julien Collet, directeur général adjoint de l’ASNR. Il insiste sur le fait que « c’est un sujet à fort enjeu de sûreté », c’est-à-dire qu’il concerne la façon dont les futurs réacteurs se protégeront contre le risque d’accident.

Or, dans son dossier, EDF ne traite pas cet aspect et n’attribue aucune exigence spécifique de sûreté au système de renforcement des sols qu’il envisage de bâtir. « Ce n’est pas satisfaisant », blâme l’ASNR.

« Il y a une multiplicité de solutions techniques possibles, poursuit l’expert. On ne rejette pas ces solutions a priori mais ce qu’on dit, c’est que ce sera compliqué, réfléchissez bien. » EDF a fait savoir à l’ASNR que des réflexions sont en cours pour faire évoluer le dispositif. L’autorité de sûreté poursuit l’instruction du dossier pendant encore au moins un an et examine d’autres problèmes sérieux : risque de séisme, de submersion, etc.

Sollicité par Mediapart, l’industriel dit rechercher « une réplication maximale entre les projets EPR2 afin qu’ils soient autant que possible similaires tout en prenant en compte des caractéristiques de chaque site ».

Pas d’équivalent dans le monde

Pour Greenpeace, cet avis est « accablant » et « remet en cause » l’EPR2 de Gravelines. L’ONG demande depuis des mois qu’EDF publie les analyses de risques sur son nouveau programme d’EPR, notamment face aux aléas liés aux dérèglements du climat. EDF affirme être « pleinement mobilisée pour répondre aux attentes de l’ASNR, en apportant des éléments techniques complets et argumentés, dans une logique de transparence et de dialogue constructif ».

Pour construire un bâtiment aussi lourd et sensible qu’un réacteur nucléaire sur un terrain aussi sableux, EDF a prévu un système de renforcement des sols. Mais celui-ci est « d’une ampleur sans précédent, d’une grande complexité et sans retour d’expérience représentatif en France et à l’international », pointe la note de l’ASNR, pour qui c’est « un défi technique majeur ».

Les deux exemples de constructions similaires fournis dans son dossier par EDF sont des réservoirs méthaniers au Koweït et le pont Rion-Antirion en Grèce – un ouvrage monumental de 3 kilomètres dans le détroit de Corinthe. Mais les configurations géologiques de ces sites sont différentes, et aucun de ces bâtiments ne risque de connaître d’accident nucléaire. La pertinence de la comparaison est donc limitée et n’atténue pas « les incertitudes liées au caractère innovant de la solution proposée », poursuit l’ASNR.

Autrement dit, il n’y a pas d’équivalent dans le monde à ce qu’EDF envisage de faire à Gravelines, en tout cas qui soit identifié dans son dossier en cours d’instruction.

Risque de submersion

La difficulté tient notamment au fait que, en plus de renforcer la tenue de sols, il faut aussi rehausser la future centrale pour la protéger contre le risque d’inondation : les EPR de Gravelines pourraient se retrouver juchés en haut d’une plateforme de 11 mètres de hauteur. Car le site se trouve au bord de la mer du Nord, et est sujet au risque de submersion aggravé par les dérèglements du climat.

En 2100, le site nucléaire pourrait se retrouver temporairement, au moment des marées hautes, sous le niveau de la mer, estime un rapport de Greenpeace publié en 2024. L’année dernière, la vallée de l’Aa avait connu deux crues historiques ravageuses pour les habitant·es en deux mois. Or Gravelines se trouve à l’embouchure du fleuve.

EDF ne convainc donc pas l’ASNR, qui lui demande de « démontrer la robustesse de la solution retenue » et lui conseille de trouver d’autres solutions de renforcement des sols. De son côté, l’industriel confirme son choix du site de Gravelines : « Le groupe EDF a examiné la capacité de plusieurs sites à accueillir les trois paires de réacteurs nucléaires de type EPR2, sur la base du retour d’expérience des centrales existantes et à partir d’une série de critères basés sur des études d’évaluation techniques : foncier disponible, capacité d’évacuation de l’énergie produite, capacité de refroidissement, qualité des sols, niveaux prévisionnels d’agression, dont l’aléa sismique. »

En août, l’actuelle centrale de Gravelines avait dû complètement s’arrêter en raison de la présence massive de méduses dont certaines s’étaient échouées à l’intérieur des stations de pompage d’eau de mer servant au refroidissement des réacteurs. En mars, c’est le chantier de l’EPR de Penly, en Normandie, qui s’est retrouvé en difficulté en raison de non-conformités majeures sur son béton, comme l’avaient révélé Mediapart et Reporterre. Le programme de six EPR2 pourrait coûter 100 milliards d’euros, avait indiqué l’ancien ministre de l’industrie Marc Ferracci en février 2025.

mediapart.fr