Résister à l’informatisation de nos vies …

… C’est s’opposer au grand projet industriel du capital

Quelques jours après le verdict judiciaire défavorable à la poursuite des travaux de l’A 69, on ne dira jamais assez l’importance des luttes de territoire et des ZAD qui se sont multipliées à travers la France depuis quinze ans. Non seulement ces luttes entretiennent une conscience et des pratiques anticapitalistes dans la société ; mais elles font concrètement reculer des projets industriels que leurs promoteurs considéraient comme « déjà faits ». Elles ont évité de nombreux « petits » désastres, à maints endroits de l’Hexagone, pour les habitants de nombreuses communes, de nombreuses rivières, de nombreux arbres.

À Écran total, nous portons un refus qui ne s’incarne pas dans un espace géographique particulier – une zone humide, un quartier populaire, un littoral, une forêt, une vallée. Nous nous battons, nous essayons de nous battre, contre l’informatisation du monde : informatisation du travail, informatisation du quotidien et des relations humaines, informatisation des administrations, etc. A nos yeux, il s’agit typiquement d’un Grand projet industriel inutile – nuisible – aux êtres humains et indispensable au capital, pour poursuivre son expansion. Un projet qui ne fait l’objet d’aucun débat politique : avez-vous déjà entendu parler d’une consultation « démocratique » ou « citoyenne », même factice, sur l’opportunité de fabriquer et rendre indispensables des millions de téléphones ou ordinateurs portables ? De créer un Internet des objets et des « intelligences artificielles » ? De numériser Pôle emploi ou l’Éducation nationale ?

Par contre, il est vrai que ce Grand projet-là avance aussi parce qu’il rencontre des aspirations, des désirs, des fantasmes, dans la population. Les technologies numériques sont acceptées avec enthousiasme par certains, et quand ce n’est pas avec enthousiasme, c’est avec le sentiment que cela ne pose pas de problème politique essentiel. Nous, nous pensons qu’il y a un grave problème. Nous pensons que, de nos jours, on ne peut pas combattre l’exploitation au travail, le consumérisme dévastateur socialement et écologiquement, l’impuissance politique, sans s’opposer à la numérisation de nos vies.

L’impact du système numérique sur les milieux naturels reste, malgré quelques fissures dans le consensus, un impensé majeur de notre époque, jusque dans les milieux contestataires. La fabrication des smartphones et des tablettes, des semi-conducteurs et des puces RFID, des antennes-relais et des batteries, est extraordinairement consommatrice et destructrice de ressources, en métaux, en énergie et en eau. La consommation électrique liée au fonctionnement des réseaux et au stockage des données explose, à mesure que notre vie est aspirée par Internet ; et fait du système numérique un contributeur aux émissions de gaz à effet de serre plus important que le transport aérien. Or, quelle est la « solution » proposée par l’oligarchie politico-industrielle pour sauver la planète et le climat ? Numériser. Mettre partout des capteurs électroniques et des puces. Utiliser des logiciels et des robots pour maîtriser la consommation d’énergie et la pollution. « Plug, baby plug. »

Il n’y a pas de « Grande réinitialisation ». Il y a, face à la catastrophe écologique et sociale, une radicalisation du vieux projet capitaliste industriel de maîtriser la nature et rationaliser l’être humain, pour en tirer profit et puissance. Que cela soit baptisé « transition énergétique », « décarbonation », « réseaux intelligents d’énergies renouvelables », le levier de cette radicalisation est le numérique. Peu de territoires seront épargnés par cette radicalisation industrielle : déferlement d’éoliennes et de panneaux solaires, en plus des nouveaux réacteurs nucléaires ; multiplication des antennes-relais ; prolifération des datacenters, et puis des mines. L’annonce récente de la réouverture d’un vieux site minier, dans l’Allier, pour en extraire du lithium en grandes quantités sonne le début d’une nouvelle phase : il va devenir beaucoup plus difficile de ne pas faire le lien entre les prédations industrielles particulières à tel ou tel espace, et le Grand projet capitaliste de numérisation totale.

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En quoi consiste notre pratique politique ?

D’abord, nous cherchons à libérer les paroles critiques du numérique qui osent trop rarement se faire entendre, à tous les étages de la société. Nos rencontres (deux fois par an au niveau national ; de nombreuses autres aux échelons locaux) sont avant tout des espaces ouverts pour permettre à des personnes en détresse, face au conformisme et aux contraintes numériques, de parler de ce qui leur arrive au travail et dans la vie quotidienne, de formuler à haute voix ce qu’elles ne supportent plus. Depuis dix ans, nous nous adressons à des syndicats et des syndicalistes pour les inviter à donner de la place à la question numérique ; nous participons à des formations syndicales pour partager nos analyses et nos pistes d’action.

Nous prônons la désobéissance civile contre le totalitarisme numérique. Nous voulons construire des solidarités (y compris financières) entre celles et ceux qui cherchent à y échapper : nous avons réuni des fonds pour soutenir les éleveuses qui refusaient publiquement le puçage électronique de leurs bêtes ; nous avons mis en place des caisses qui ont aidé des soignants à tenir leur refus de la vaccination obligatoire contre le Covid, et ont nourri le refus plus large du Pass sanitaire en 2021.

Nous agissons sur deux fronts : rendre la vie sans écran désirable (bataille culturelle) et nous opposer aux politiques de l’État et des industriels qui accélèrent la numérisation (bataille politique). Nous avons ainsi mené régulièrement, depuis 2018, des actions dans des agences de Pôle emploi, de la CPAM, dans les gares SNCF ou les trains, contre la disparition des guichets de services publics. Nous alertons contre les projets d’identité numérique de La Poste ou de la Commission européenne. Enfin, nous participons aux mobilisations contre les sites de production du matériel informatique : les usines de semi-conducteurs de Grenoble, l’usine Arkema de Lyon qui produit des PFAS pour l’industrie des puces, les mines (de France et du Congo).

Sur tous les territoires que nous habitons, nous voulons renforcer ou construire des mouvements de résistance et de mises en place d’alternatives. Ces mouvements ont besoin de se doter d’outils et de moyens autonomes (réseaux d’approvisionnement, journaux indépendants, ateliers artisanaux partagés…) ET ils ont aussi besoin de s’inscrire dans la perspective essentielle d’une désinformatisation de leurs pratiques et de la société entière.

Écran total Occitanie, 15 mars 2025

Résister à la gestion et l’informatisation de nos vies

contre le capitalisme industriel, pour la construction de nouveaux imaginaires

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