La Décroissance, radicalité, dialogues et convergences

Vincent Liégey vient à Liévin le samedi 17 février au LAG

10 h ; 23 avenue Jean Jaurès à Liévin

Suite au lancement de l’appel à la convergence, nous proposons la tribune libre de Vincent Liegey après celle de Paul Ariès. Cette tribune revient sur le rôle de la décroissance depuis sa naissance en 2002, son impact, sa contribution, sa pertinence mais aussi ses limites ou ses échecs…

En 2002 la revue

S!lence

publie un numéro très complet sur la décroissance. C’est le début d’une longue aventure intellectuelle, politique et collective, passionnante mais turbulente. La décroissance est à la fois

un slogan provocateur

qui nous rappelle qu’une croissance infinie dans monde fini n’est ni possible ni souhaitable. Elle est aussi

une pensée multidimensionnelle

qui nous invite à faire le lien entre différentes disciplines, approches, et réflexions : nous ne faisons pas face à diverses crises indépendantes les unes des autres, mais bel et bien à l’effondrement de notre modèle de société, basé sur le toujours plus. Enfin, la décroissance est aussi le nom d’un mouvement décentralisé et ouvert, construit autour de réseaux de personnes, de collectifs et de projets qui essaient de faire le lien entre la théorie et la pratique sur différents niveaux : comment construire des transitions démocratiques et sereines vers de nouveaux modèles de sociétés soutenables mais surtout souhaitables ?

Quels rôles a-t-elle joué ?

Au cours des années 2000, alors que la prise de conscience des enjeux environnementaux commence à s’imposer dans les débats, elle dérange à travers sa critique radicale des fausses bonnes solutions que l’on voit apparaître avec, en premier lieu, l’oxymore du développement durable. Il s’agit d’abord d’une période de déconstruction : décoloniser nos imaginaires toxicodépendants au consumérisme, au productivisme, à l’économicisme et au techno-scientisme. Après la crise de 2008, elle entre dans une deuxième phase, à travers des débats autour de propositions, portées avec d’autres, comme le revenu de base inconditionnel, l’extension des sphères de la gratuité pour le bon usage, le renchérissement du mésusage, le revenu maximum acceptable,

la relocalisation ouverte,

à travers les expérimentations concrètes et les systèmes d’échanges locaux, tels que les monnaies locales. Ces propositions se retrouvent autour de

la dotation inconditionnelle d’autonomie.

Elle pense

la transition dans une stratégie de changement de société sans prendre le pouvoir, ni le donner.

 

Les contradictions, les échecs

Mais comme beaucoup de jeunes mouvements, elle fait face à une crise de croissance, des conflits destructeurs qui fatiguent les historiques et font fuir les plus jeunes. Nous nous heurtons à la contradiction entre la nécessité de prendre le temps, et le rythme de notre société qui va à son encontre. Nous assistons alors à une période de réflexion, de recomposition, d’autocritique mais surtout d’expérimentations, à plus petites échelles, mais aussi ou surtout dans l’ouverture. On publie

des livres,

on se consacre au local à travers les initiatives citoyennes,

aux conférences internationales qui prennent de l’ampleur,

on participe à

des projets de recherche,

on lance des projets éducationnels et éditoriaux ou on se consacre aux combats de résistance contre les grands projets inutiles imposés. On ralentit, on relocalise,

on expérimente la communication non-violente,

loin du tapage médiatique et des polémiques stériles de la société du spectacle.

 

Une transformation silencieuse de la société ?

Bien que moins visible qu’il y a dix ans,

les idées de la décroissance ont fait du chemin dans les têtes, les comportements et les débats.

Des thématiques, réflexions, idées, pratiques ou propositions qui étaient ignorées ou faisaient scandales il y a dix ans, sont devenues mainstream. On peut prendre l’exemple de la question de la consommation de viande, du revenu de base, ou encore de l’effondrement qui sont devenus aujourd’hui des sujets de discussions légitimes. On ne compte plus les études qui confirment à la fois les limites physiques à la croissance que nous outrepassons de manière dangereuse, ainsi qu’un mal-être grandissant : perte de sens ou stress au travail, violences liées aux inégalités ou au patriarcat, individualisme… Mais souvent, les informations, critiques envers l’absurdité de notre modèle de société, ne sont pas mises en perspective les unes avec les autres.

Une part grandissante de nos sociétés, en particulier parmi les plus jeunes, a rompu culturellement avec le toujours plus et aspire à une autre vie, en trouvant d’autres équilibres, entre la tête et les mains, avec le care, avec une réappropriation du temps et d’un autre rapport aux autres et à la nature. Mais le reste souffre de cette société aliénante et oppressante aussi bien économiquement, culturellement que psychiquement.

La pertinence de sa radicalité

Ainsi, malgré ces prises de conscience non négligeables et intéressantes, la transformation politique n’est pas au rendez-vous. L’oligarchie, la pensée dominante, s’approprie ces enjeux pour ne surtout rien changer : c’est la stratégie de Macron qui offre des pseudo solutions aux multinationales avec l’impasse dangereuse de la croissance verte,

le mensonge des technologies « propres »

et du nucléaire,

les dangers liés au high-tech

ou encore les délires sur du transhumanisme !

Nous pensons, et c’est ce que nous souhaitons proposer

 à travers notre Appel,

qu’il est grand temps de ramener de la radicalité, c’est-à-dire de prendre les problèmes à la racine, afin d’avoir des débats qui ont du sens, de la cohérence. Nous pensons que ces débats doivent faire le lien entre différents combats et thématiques, c’est pourquoi nous avons sollicité un très large panel de signatures : de l’écologie radicale au monde syndical, des philosophes aux ingénieurs, des expérimentateurs aux politiques. Nous remercions ces premiers signataires, qui ne se sont engagés que sur le contenu de l’Appel, pour leur confiance.

Aujourd’hui, lors des rencontres publiques autour de la décroissance, quel que soit le milieu, les débats ne sont plus pour ou contre celle-ci, mais sur le comment faire ? Comment être radical sans être extrémiste, comment créer des situations de dialogues ouverts mais non naïfs qui permettent d’aller au fond des choses sans éluder les contradictions, les mensonges, les mythes ? Par où commencer et comment dépasser les blocages ? C’est ce que nous vous invitons à venir débattre en signant cet Appel en attendant la publication d’autres contributions et aussi des rencontres physiques.

Vincent Liegey ; mediapart