Darmanisme et outrageation

Retour sur un lapsus ministériel, et ce qu’il dit aux Arméniens

On peut se contenter de rire de la cuistrerie, mêlée de maladresse, qui pousse un ministre de la République à dire « déterminisme » au lieu de « détermination ». On peut haïr le niveau de désinvolture que cela dénote, et le peu de considération pour un auditoire venu commémorer ses morts. On peut s’en attrister. Mais comme disait Spinoza, on peut aussi dépasser le rire, la rage et les pleurs, et chercher à comprendre. On peut aller un peu au-delà de ces très légitimes émotions et, avec une petite aide de l’ami Sigmund Freud, méditer ce lapsus – et finalement prendre aux mots ledit ministre de la République.

Il y a toujours beaucoup à (re)dire des célébrations du 24 avril, commémorant le génocide des Arméniens, à ce jour reconnu seulement par une trentaine de pays, parmi lesquels ne figure pas le principal concerné : la Turquie. Il y a beaucoup à dire tant sur le principe de ces commémorations, et leur nécessité, que sur les limites de leur déroulement réel, ces dernières années, alors que l’actualité de la question arménienne est aussi brûlante que préoccupante.

On se contentera ici d’un détail, mais qui dit beaucoup sur ce que la diaspora arménienne est en droit et en mesure d’attendre réellement de la part d’une autorité politique qui ne manque pas une occasion de se poser à son égard en Grand Papa aimant et protecteur – j’ai nommé : l’État français. Cette année, devant la statue de Komitas où se tient chaque année le rassemblement parisien, le gouvernement français était représenté par le harceleur de la place Beauvau – décidément ! (On nous avait déjà envoyé Nicolas Hulot il y a cinq ans !) Ledit harceleur a bafouillé sans conviction (comment aurait-il pu en être autrement ?) un discours convenu, dont le seul trait saillant fut l’évocation de la nécessaire protection des Arméniens, en France face aux Loups Gris et autres agents turcs, mais aussi bien sûr en Artsakh, et même en Arménie, face à la politique agressive des duettistes Aliyev et Erdogan – un enjeu sur lequel le ministre nous a demandé de croire à « tout le déterminisme » de son président.

Sic.

Ce que, une fois passé le rire nerveux, en bon philosophe, ou simplement en bon lecteur du Larousse, je suis tout à fait disposer à croire :

« Déterminisme, nom masculin :
1. Théorie philosophique selon laquelle les phénomènes naturels et les faits humains sont causés par leurs antécédents. Contraires : Indéterminisme, Liberté.
2. Enchaînement de cause à effet entre deux ou plusieurs phénomènes. »

Je veux bien croire, en effet, que le président des riches et des lâches va continuer de se soumettre au strict déterminisme de la loi du plus fort et du plus riche, que sa politique extérieure va continuer d’obéir strictement aux causes antécédentes prédominantes que sont d’une part le gaz, le caviar et la thune d’Aliyev, et d’autre part le chantage à la « pression migratoire » du bon vieux Erdogan, sans la moindre volonté politique, la moindre détermination personnelle de faire dévier ladite politique extérieure par le moindre acte de liberté.

Je veux bien croire que notre servile président va continuer de commercer avec Aliyev et Erdogan, à honorer des arménophobes viscéraux comme Pierre Loti ou des suprémacistes comme Atatürk, et copiner avec le régime criminel d’Aliyev via le sinistre Groupe Parlementaire d’Amitié France Azerbaïdjan, intégralement composé de députés LR et LREM. 

Je veux bien croire tout cela, même si, très franchement, j’aurais aimé pouvoir croire le contraire.

lmsi.net