
« À qui fera-t-on croire que l’on peut apprendre plus et mieux en moins de temps ? »
La Convention citoyenne sur les temps de l’enfant a rendu ses conclusions. Ces dernières menacent de réduire encore les heures d’enseignement. Stéphane Bonnéry, professeur en sciences de l’éducation à l’université Paris-VIII, livre dans cette tribune son analyse des propositions faites par les citoyens et citoyennes.
La Convention citoyenne sur les temps de l’enfant ordonnée par Emmanuel Macron a rendu ses conclusions. Ces dernières menacent de réduire encore les heures d’enseignement.
Or, le niveau scolaire des élèves français a baissé depuis qu’ils ont été privés d’un volume considérable d’heures de cours : près de deux années de moins en primaire.
Xavier Darcos a supprimé les samedis matin en 2008, et les toutes petites sections de maternelle ont quasi disparu, ainsi qu’une une demi-année de cours disciplinaires en collège avec Najat Vallaud-Belkacem, en 2016.
Sans parler des suppressions de postes de remplaçants, qui font perdre un an de classe dans certains établissements. La Convention propose de réduire de 24 heures à 15 heures hebdomadaires les enseignements au sens strict. À qui fera-t-on croire que l’on peut apprendre plus et mieux en moins de temps ?
Ces nouvelles exhortations à la suppression sont soutenues par les idées biaisées que la Convention a répétées à l’envi aux citoyens, les mêmes que depuis cinquante ans, contraires à ce que montrent les recherches : notamment, certains élèves seraient plus fatigables par essence.
Mais si les enfants d’origine populaire fatiguent plus vite en étudiant, c’est qu’ils sont moins entraînés que les autres à la concentration scolaire en école de danse, de piano ou d’athlétisme. Réduire leur scolarité les exercerait moins à se concentrer sur l’étude. La Convention propose même que « le cadre national des programmes » soit aménagé en fonction des territoires, donc des profils sociaux des familles.
Ces propositions font écho à l’offensive pour la marchandisation de l’école, soutenue par de la démagogie.
De la députée Ensemble pour la république (EPR) Anne Genetet, qui dans une vidéo brandit des emplois du temps incohérents envoyés par des lycéens, en mettant à l’index les établissements publics… et « oubliant » de dire que la précarité des enseignants, aggravée sous la présidence Macron, conduit au recours massif à des contractuels, qui viennent de loin et demandent à regrouper leurs heures pour leur discipline…
En passant par la convergence entre Louis Boyard (LFI) et l’ancienne ministre macroniste Amélie Oudéa-Castéra pour demander la fin des cours en lycée l’après-midi : qui va croire un instant que les lycéens de familles populaires obtiendront l’orientation post-bac souhaitée avec moins d’heures de cours, donc un niveau plus faible ?
Jusqu’à Sophia Chikirou (LFI), qui propose que la Ville de Paris se substitue à l’Éducation nationale, en renonçant à l’égalité de moyens, et donc d’objectifs éducatifs, avec les autres villes et départements, asphyxiés par la réforme budgétaire.
Mais la complémentarité entre l’école et l’éducation populaire repose sur des missions complémentaires, donc différentes, et pas sur la remise en cause du cadre commun.
Lorsque, de réforme en réforme, des disciplines seront supprimées de l’école, en primaire et au collège, même Paris n’aura plus les moyens d’assumer : les marchands prendront le relais, les inégalités entre familles bondiront.
Car, justement, d’autres encore comme Amélie Oudéa-Castéra veulent supprimer des disciplines entières (artistiques, EPS…) du cursus obligatoire en primaire et au collège pour les confier au secteur marchand ou aux clubs.
Mais le recrutement social de ces derniers est encore plus inégalitaire que l’école : comment se réjouir d’un analphabétisme sportif et culturel à venir, enfermant chaque enfant dans les goûts et déterminismes familiaux ? Les enseignants orientent pourtant les élèves qui développent à l’école de nouveaux goûts et besoins vers les clubs et conservatoires qui perdraient en vivier avec cette réforme.
Les après-midi seraient dévolues à des « activités » jusqu’à 15 heures 30, sans contenu scolaire, les enfants seraient renvoyés chez eux plus tôt à la charge des… mères ? Les communes exsangues ne pourront pas payer.
Le terrible modèle japonais nous montre les conséquences d’une telle réforme : la réduction du temps scolaire oblige les familles qui peuvent payer à prendre des cours privés pour maintenir le niveau… et pas à se consacrer aux loisirs.
Réduire les heures de classe accroît l’attractivité de l’école privée qui accueille sur de longues journées, grâce à l’argent public qui paie les enseignants, le fonctionnement… et peut-être, demain, avec la proposition du « chèque éducation » de l’extrême droite, le reste à charge des familles.
Tout ce bruit médiatique ne serait-il piloté que par la préparation d’une grande privatisation après avoir dégradé l’école publique ? Tant pis pour les inégalités sociales et sexuées, tant pis pour la transmission d’une culture commune dans la République ? Entre démagogies et intentions marchandes, l’avenir de notre pays est en danger.
Dernier ouvrage paru : Temps de l’enfant, rythmes scolaires : vraies questions et faux débats, Stéphane Bonnéry. Fondation Gabriel-Péri, 2025.
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