L’agriculture est la seule source de richesse qui soit

Dans les années 1970, Claude et Lydia Bourguignon ont été parmi les premiers scientifiques à alerter l’opinion publique sur la diminution de matière organique dans les sols.

Leur dernier ouvrage, Manifeste pour une agriculture durable (Actes Sud, 2017), propose de réactualiser la définition de l’agriculture afin de garantir une terre fertile.

Entretien avec Lydia Bourguignon

Pourquoi est-il fondamental de maintenir des sols vivants ?

Le sol héberge la vie. Il est la base de la pyramide du vivant. Lorsqu’il accueille une bonne activité biologique, la faune – composée de collemboles, acariens, mille-pattes, cloportes, vers de terre – transforme et remonte les éléments (feuilles mortes, bouts de bois, excréments). Ce mouvement garantit un sol de surface en « couscous », offrant un enracinement profond pour les plantes et une bonne perméabilité du sol (l’oxygène et l’eau pouvant y pénétrer facilement). Vivante, la terre boucle le cycle sol-plante, ce qui évite les fuites de nitrates, phosphates, sulfates et chélates – substances indispensables pour les végétaux ­– dans les nappes phréatiques et les cours d’eau.

A contrario, un sol pollué et en mauvaise santé entraîne une pollution de l’eau voire de l’air. La diminution de biomasse mène alors à une perte d’argile, de limon, et à un sol mort, condamné à l’érosion. Globalement, si l’agriculteur perd la maîtrise de ses sols, il risque une forte dépendance vis-à-vis de la fertilisation de synthèse proposée par les multinationales. D’autant plus que ces dernières ont déjà mis à mal l’autonomie du paysan en brevetant les semences…

Dans votre manifeste vous soulignez qu’en France, nous sommes passés de deux tonnes de vers de terre à l’hectare en 1950, à moins de 100 kilos aujourd’hui. Comment restaurer la fertilité de nos sols ?

Il faut d’abord cesser de croire que les sols ont besoin d’azote. Les sols ont besoin de matière organique. Tout le défi des années à venir est de remobiliser cette substance fabriquée par les êtres vivants. Pour cela, de multiples solutions existent : le compost, l’agroforesterie, le semis direct à ciel ouvert (arrêter de labourer et couvrir le sol de plantes), ou encore, la méthode du bois rameaux fragmentés (utiliser les rameaux des haies broyés finement et les mettre sur le sol).

Un autre enjeu est de recruter de nouveaux bras pour travailler la terre. Avant la Seconde Guerre mondiale, l’agriculture était familiale et agro-sylvo-pastorale. Elle reposait sur un véritable équilibre : les bêtes apportaient le compost et on exploitait le bois de haies. Mais après la guerre, lors de l’industrialisation du secteur, les paysans sont devenus agriculteurs, puis les agriculteurs sont devenus des exploitants agricoles – ou « exploités agricoles ».

Il nous faut ainsi réactualiser la définition de l’agriculture car elle est la seule source durable de richesse qui soit. Contrairement à l’industrie ou à l’extraction de minerais qui apportent une transformation irréversible, un grain de blé semé en donne cent grâce à la seule énergie du soleil.

Les citoyens peuvent-ils contribuer à une agriculture durable ?

Bien sûr ! Le citoyen a une part de responsabilité. S’approvisionner dans des magasins de proximité – AMAP, commerces de producteurs –, ne pas consommer de fraises et de haricots verts en hiver, sont des gestes permettant de soutenir une agriculture de qualité et durable. Accepter de payer la nourriture au prix juste se révèle aussi être un engagement important. Seulement, la part du budget consacré par les Français à l’alimentation n’est plus aujourd’hui que de 20 %, contre 35 % en 1960. Tout est donc une question de choix.

Je regarde toutefois l’avenir avec un certain optimiste. De plus en plus de citoyens ont conscience de l’importance de cette agriculture durable – gage d’une vie en bonne santé et d’un soutien aux agriculteurs. Et pour que la magie opère, la démarche est à la fois simple et réjouissante : éteindre sa télévision ; prendre trente minutes pour cuisiner une bonne soupe ; se laisser cueillir par l’énergie de l’aliment ; goûter un produit cultivé avec amour, en respectant les sols…

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