Les défis humains, sociaux et écologiques

Quelle programmation énergétique pour répondre aux besoins? 

Une contribution à quelques jours / semaines de la publication de la Programmation pluriannuel de l’énergie par Macron et le gouvernement, à la demande l’Humanité

Rappel des faits

En pleine discussion budgétaire, les arbitrages sur les programmations pluriannuelles de l’énergie devraient tomber.

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Contribution de Sylvestre Huet, journaliste et auteur

La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) vise l’horizon 2028. C’est loin pour qui se focalise sur le calendrier politique. Mais beaucoup trop court si l’on adopte une approche fondée sur les technologies.

Programmer l’avenir énergétique du pays par les pouvoirs publics est nécessaire. Sinon, le marché capitaliste le fixera avec des scénarios dangereux : émissions de gaz à effet de serre contribuant à une catastrophe climatique, dépendance aux importations, accès aux énergies plus difficile pour les démunis. Impossible en peu de mots de faire le tour de la question, ce propos portera sur le choix nucléaire… ou pas.

Un point crucial parce que cette technologie puissante mais risquée détermine un champ des possibles par son adoption et des choix radicaux par son abandon. Et surtout parce que les deux options supposent de voir plus loin que 2028 en raison de la durée de vie – construction et exploitation – des équipements industriels. La loi de transition énergétique pour la croissance verte (TECV) de 2016 prévoyait (sans le justifier) un plafond de 50 % de notre électricité d’origine nucléaire en 2025, repoussé à 2030 par le gouvernement. Mais, pour programmer l’avenir énergétique, il faut surtout savoir si ce chiffre est un but, ou une étape vers 0 %. Ce choix détermine les décisions les plus importantes à prendre aujourd’hui.

L’option nucléaire c’est la possibilité d’une décarbonation radicale et beaucoup plus rapide que tout autre choix pour les transports, l’industrie, le contrôle thermique des bâtiments. En revanche, décider la fin du nucléaire se ferait sans savoir comment le remplacer tant que les technologies du stockage de l’énergie à grande échelle ne seront pas disponibles, ni connaître le coût de cette option.

Ces deux options sont respectables. La première signifie que l’on estime que le système public de surveillance de la sûreté nucléaire (1) sera suffisant pour que les industriels en suivent les règles, évitant ainsi un accident majeur avec émission massive de radioactivité. La seconde se fonde sur l’idée qu’un tel accident est inéluctable, raison pour laquelle un système électrique plus carboné, plus cher, moins productif et reposant sur le pari technologique du stockage massif est privilégié.

Mais, quelle que soit l’option choisie, ce sont leurs conséquences de long terme, au-delà de 2028, qui déterminent les politiques à suivre si l’on est sérieux. La première suppose d’organiser la filière industrielle permettant le remplacement des réacteurs actuels, à planifier sur trente ans, comme la gestion de leurs déchets sur une durée séculaire. La France pourrait alors relocaliser plus facilement nombre de productions manufacturières sur son territoire, tout en apportant une contribution réelle à l’atténuation de la menace climatique. Elle suppose aussi un effort de recherche permettant d’assurer l’évolution de la technologie. Si ces exigences ne se retrouvent pas dans la proposition de PPE du gouvernement, il faudra bien constater son incapacité à préparer l’avenir.

La seconde, pour rester compatible avec les engagements climatiques de la France, suppose une transformation radicale du système électrique et un saut dans l’inconnu quant aux capacités des technologies envisagées (solaire, éolien, géothermie…) à permettre l’approvisionnement en électricité du pays à un coût acceptable. À ceux qui soutiennent une telle option de proposer des solutions à cette impasse afin que leur sérieux soit évalué.

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Contribution de Maxime Combes, économiste et militant d’Attac chargé du dossier climat

« Quelle programmation énergétique pour répondre aux besoins humains et écologiques de notre temps ? »

Instituée par la loi sur la transition énergétique votée en 2015, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) doit déterminer une trajectoire pour le mix énergétique « afin d’atteindre les objectifs fixés par la loi ». Au nom du principe de non-régression en matière de droit de l’environnement, il faudrait a minima que la prochaine PPE, qui porte sur les périodes 2019-2023 et 2024-2028, respecte strictement les engagements pris par le législateur dans le cadre de la loi de 2015 et soit conforme à ceux pris au niveau international. C’est le strict minimum.

Pourtant, Nicolas Hulot à l’automne 2017, et Emmanuel Macron depuis, ont déjà annoncé que certains objectifs ne seraient pas tenus. Par manque de volonté politique et par refus d’ébranler les positions acquises par certains lobbys. L’objectif visant à contenir la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025 a ainsi déjà été abandonné en rase campagne. Le retard pris dans le déploiement des énergies renouvelables – à peine 16,7% du mix électrique en 2017 – rend très hypothétique l’objectif de 40% d’ici à 2030. D’autre part, la consommation d’énergie finale a encore augmenté entre 2016 et 2017, dépassant de plus de 4 % la trajectoire à suivre pour qu’elle décroisse de 20% d’ici à 2030 (et de 50% d’ici à 2050).

A ce rythme, aucun des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixé pour les secteurs de l’énergie, du transport, du bâtiment et de l’agriculture ne sera atteint d’ici à 2023. Paris et la France se transforment en « cancre du climat » : se montrer moins pire que Trump, comme le claironne Emmanuel Macron, est facile. Il est moins aisé de se montrer à la hauteur des enjeux : dans une classe de cancres, même le moins pire d’entre eux reste un cancre.

La PPE devait rendre « irréversible la transition énergétique et le développement des énergies renouvelables ». A ce jour, ce sont surtout la catastrophe climatique et la dépendance aux énergies fossiles et fissiles qui sont rendues irréversibles par l’inertie politique et institutionnelle. Comment pourrait-il en être autrement alors que le président de la République préfère négocier le contenu de la future PPE avec Patrick Pouyanné (Total), Jean-Bernard Lévy (EDF), Isabelle Kocher (Engie), Philippe Varin (Orano, ex-Areva), Xavier Huillard (Vinci), Martin Bouygues (Bouygues) plutôt qu’avec les associations et les structures en pointe en matière de transition écologique ?

Le processus de rédaction de la PPE aurait du être un grand moment de sensibilisation et de mobilisation collectives sur ces sujets difficiles. L’Elysée et le gouvernement préfèrent négocier derrière des portes closes avec les lobbys, au détriment de l’intérêt général. Là où il faudrait mener un débat sur le fond du problème, ils préfèrent présenter les enjeux sous un angle technique. Plutôt que se demander quelles mobilités assurer pour quel type d’aménagement du territoire, quelle alimentation pour quel modèle agricole, quelle production pour quel modèle économique, on préfère parler technique, prix au kWh, intensité carbone.

Rédigée en réunions interministérielles, plusieurs fois repoussée pour permettre à Emmanuel Macron de prendre la main, la PPE entérine une pratique surannée, dangereuse et inefficace où quelques-uns, triés sur le volet, décident de notre avenir collectif. De fait, l’Elysée, le gouvernement et la majorité préfèrent laisser se nouer des tensions sociales et politiques sur le prix des carburants plutôt que de mettre sur la place publique des décisions qui nous concernent tous.

A l’heure où la crise climatique impose de transformer profondément l’ensemble des soubassements énergétiques et matériels de nos sociétés, une perspective altermondialiste de la transition écologique consiste à affirmer que la réappropriation citoyenne et collective de notre avenir énergétique est absolument primordiale. C’est l’un des véhicules pour construire un avenir écologique, juste socialement et démocratique.

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La totalité de l’article est accessible ici :

https://www.humanite.fr/les-defis-humains-sociaux-

avec notamment les contributions de :

Marie-Claire Cailletaud, coresponsable industrie développement durable à la CGT
Éric Vidalenc, auteur et responsable du pôle ville durable et énergie au sein de l’Ademe