Reforestation et changement d’agriculture

Des clefs pour la rupture

Les plantes représentent la part essentielle de la biosphère. Elles en formeraient 82 % de la masse, mesurée en tonnes de carbone.

https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-23-printe

Extraits

Les bactéries, archées+protistes en représenteraient respectivement 13 % et 2 %, les champignons 2 %.

C’est pourtant elles, qui avant que l’homme ne vienne tout perturber, avaient créé, puis maintenu, l’état de notre planète.

Le cycle du carbone et de la vie : la longue construction d’un système auto-régulé

Un retour très en arrière est nécessaire. La naissance de l’actuelle régulation est issue du long processus de la vie, apparue lors de l’archéen (entre 3,9 et 2,5 milliards d’années avant notre époque), à partir des « briques » (acides  aminés…) nées à l’époque précédente (4,5 à 3,9 milliards d’années) peu après la formation de la Terre. Les premiers organismes vivants ont puisé l’énergie du soleil, parfois de la terre (sources chaudes) pour se développer, à partir de carbone et d’hydrogène principalement. Ceux-ci étaient disponibles dans les premiers environnements terrestres et ont été utilisés par les premières cellules vivantes pratiquant la photosynthèse.

Plus tard eut lieu le premier grand changement avec l’arrivée de l’oxygène, puisqu’il n’y avait pour ainsi dire plus d’hydrogène (ou de sulfure d’hydrogène H2S) disponible, la vie a dû trouver l’hydrogène ailleurs : les cyanobactéries ont cassé les molécules d’eau pour l’extraire et fabriquer les glucides, tout en rejetant ce qui restait : l’oxygène. C’est  l’origine, il y a deux milliards d’années, du premier « holocauste », car l’oxygène, très corrosif, a détruit bon nombre de cellules vivantes, tandis que d’autres prospéraient. L’atmosphère, mélange de différents gaz, s’est stabilisée progressivement à 21 % d’oxygène.

Le vivant a, en évoluant, créé des mécanismes qui maintenaient ce taux favorable à la vie, avec des oscillations autour de l’état d’équilibre optimum. Le cycle du carbone (qui est aussi un cycle de la matière vivante) s’est mis en place : parmi les organismes vivants, certains se développaient en créant de la matière organique (algues, végétaux) et fabriquaient de l’oxygène à partir de l’énergie du soleil, d’autres dégradaient cette matière organique morte (bactéries, champignons), en émettant pour la plupart du CO2 ou du méthane.

La grande innovation de l’évolution a été ensuite la naissance des cellules avec noyau (eucaryotes), qui ont intégré d’autres organismes autrefois indépendants pour assurer certaines fonctions (les mitochondries pour gérer l’énergie, les chloroplastes pour la photosynthèse dans les plantes) : la coopération se révélait un moteur essentiel de l’évolution, en créant de nouveaux organismes complexes par symbiose d’entités existantes.

La première trace de spores de champignons et de plantes date d’environ 460 millions d’années. Acariens, araignées, collemboles, millipèdes et nématodes se multiplièrent dans ces formations végétales. Des champignons, par des acides sécrétés, ont dissous les substrats minéraux du sol, tandis que d’autres décomposaient la matière organique morte, constituant la couche de sol dans lequel les plantes vasculaires se sont ensuite développées.

La naissance des végétaux multicellulaires a entraîné l’élévation du rendement de la photosynthèse, avec leur  croissance en hauteur (avec les tiges puis les troncs), ce qui a multiplié les surfaces exposées à la lumière (feuilles des arbres). Cela a signifié aussi l’apparition de la lignine, dans les tiges et les troncs, que des bactéries ou des champignons ne savaient pas dégrader. Le bois pourrait dater au moins de 407 millions d’années. Le bois mort s’est alors accumulé et il s’est alors constitué au cours des millénaires d’énormes stocks de carbone sous une forme non organique : le charbon de l’ère carbonifère (345-290 millions d’années) et la majorité des stocks d’énergie fossile que nous utilisons actuellement.

Est apparue, ensuite, après probablement une mutation chez un champignon qui savait découper la cellulose, une enzyme capable de décomposer la lignine, donc de transformer le bois en humus, ce qui arrêta la formation de gisements de lignite puis de houille par fossilisation du bois. C’était « une modification cruciale du cycle du carbone forestier ».

Ainsi s’est constitué un système vivant complexe, fait aujourd’hui de multiples associations d’organismes différents qui coopèrent et se complètent :

Des champignons, dont les réseaux de filaments (mycorhizes) vont profondément dégrader le socle minéral et procurer les sels minéraux aux plantes, ou même véhiculer de l’eau existant en profondeur pour l’amener aux racines des plantes. D’autres en association avec une quantité de micro-organismes ou d’organismes plus grands (lombrics) dégradent la matière organique et la recyclent. Dans les légumineuses (vesce, pois, luzerne… et aussi acacia), la symbiose d’une bactérie avec des cellules des racines de la plante (à tel point qu’elle s’insère dedans) se traduit par l’apparition de nodosités qui fixent l’azote, utilisé par la plante pour fabriquer des acides aminés.

L’association entre plantes et réseaux de mycorhizes a donc été une des bases de la vie primitive et… elle existe toujours avec des mécanismes similaires et permet le développement des systèmes vivants. Au sein de cycles, les déchets décomposés deviennent des ressources pour le cycle suivant, l’oxygène est absorbé par la plupart des êtres vivants pour en tirer de l’énergie, tandis que certains le produisent par la photosynthèse.

La régulation de ces cycles s’est constituée peu à peu au cours de l’évolution et a abouti à un système qui créait la matière organique puis la dégradait, qui générait de l’oxygène d’un côté, du gaz carbonique de l’autre. Ce système s’est auto-entretenu et a assuré sa propre reproduction, avec des oscillations (glaciations liées à des cycles astronomiques).

C’était compter sans un « gêneur », l’homme, qui, d’abord a défriché et déforesté d’énormes surfaces pour pratiquer l’élevage et l’agriculture, ce qui a modifié les milieux naturels – nous le verrons plus loin. Il a sélectionné des céréales, légumes, fruits, animaux pour les produire en quantité et se nourrir, puis, plus récemment, il a cherché à en tirer des rendements maximum et les a marchandisés à la recherche de profits élevés.

Il a cru pouvoir substituer aux cycles naturels du carbone et de l’eau l’usage d’une agriculture artificielle, basée sur des ressources fossiles (azote fabriqué par les usines et non plus capté par des plantes qui savent le faire, phosphates exploités dans des mines ; alors que le vivant sait souvent se les procurer, en recyclant l’urine des animaux qui contient aussi d’autres minéraux et de l’azote, ou par les mycorhizes descendant sur le socle minéral).

C’est une conception « bello-mécaniste » (suivant l’expression de Matthieu Calame) de l’agriculture qui a triomphé : la nature est une machine et pour tout lui procurer les techniques issues de la guerre sont utilisées : nitrates des engrais azotés issus des explosifs, insecticides pour « tuer les nuisibles » issus des gaz de combat.

Les cycles du vivant qui permettaient à la matière organique de se recréer à partir de matière organique morte (compost, fumier, dégradation sur place d’anciens couverts végétaux…) ne sont plus respectés. Le taux de matière organique dans le sol, l’humus qui permet la fertilité des sols chute de manière continue. Il a été plus que divisé par 2 depuis les années 1950 en France : autour de 4 % à l’origine, il chute dans les sols céréaliers en agriculture conventionnelle à 2 %, voire 1,5 % ou moins. En maraîchage, c’est analogue. J’ai moi-même, lors d’une formation « sols vivants », entendu le témoignage d’une horticultrice en bio du département de la Manche qui a parlé d’une exploitation voisine, en conventionnel, où le taux d’humus était tellement bas que faute d’humus les collemboles (vers de taille millimétrique qui dégradent la matière organique) creusaient des galeries dans les carottes ! Dans les forêts, l’exploitation industrielle compromet gravement la formation naturelle de l’humus.

Les lombrics qui permettent le recyclage des matières mortes dans les turricules qu’ils laissent à la surface sont en chute libre : leur nombre est divisé par 10 voire 20 dans les terres de grande culture. Or ils sont essentiels : leurs galeries aèrent le sol et facilitent le développement des racines. Leur mucus stabilise leurs galeries. À une échelle plus fine, des bactéries assemblent les particules du sol, tandis que des champignons avec leurs réseaux de filaments sécrètent leur propre colle, la glomaline, ce qui forme les micro-agrégats. Tous ensemble, ils participent à la fois à l’aération du sol et à sa stabilité.

Tous ces processus, à un niveau plus ou moins important, sont perturbés par l’agriculture conventionnelle actuelle : les sols, qui devraient comporter 50 % de vides remplis d’air ou d’eau en cas de pluie, sont de plus en plus compacts, voire se couvrent d’une « croûte de battance » qui favorise le ruissellement et empêche la pénétration de l’eau des orages.

Quand on évoque la chute de la biodiversité, on pense aux ours blancs, aux phoques, aux oiseaux et aux abeilles. C’est oublier une grande extinction dont les conséquences sont bien plus dramatiques, celle des vers de terre et, dans une moindre mesure, des nématodes, collemboles, acariens, champignons du sol avec leurs réseau de filaments, des petits arthropodes qui font la différence entre un sol mort, assisté à coups de chimie, et un sol vivant qui se régénère à chaque cycle de culture… et qui, en plus, stocke du carbone au lieu d’émettre des gaz à effet de serre.

Or, c’est cette vie dans le sol qui a permis au système vivant de se développer. Doit-on continuer à l’éliminer – ou la perturber – sachant que nous ne savons pas faire ce que font les mécanismes de la nature, le faisons bien plus mal et menons les écosystèmes à la catastrophe ?

Redonner du carbone au sol (sous forme d’humus), c’est aussi lui redonner sa capacité à stocker de l’eau dans ses vides, donc c’est augmenter la résilience des cultures et leur permettre d’affronter la sécheresse. 1 % de carbone en plus (équivalent à 2 % de matière organique), c’est une capacité de stockage d’eau de 190 m³ par hectare, et c’est aussi une plus grande humidité moyenne du sol.

La baisse constante des rendements agricoles, l’épuisement des sols, la dégradation des cycles du vivant en leur sein, prouvent qu’il n’y a pas de choix pour le monde à venir : il faut changer d’agriculture, engager à grande échelle une restauration des sols, arrêter au plus vite l’agriculture chimique – ce qui ne veut pas dire d’un seul coup, car rien ne peut se faire sans les agriculteurs. Les lobbies des pesticides ne doivent plus dicter la politique agricole, si on veut la rupture.

Des solutions existent : l’agriculture biologique, bien sûr, mais aussi la permaculture, très intensive en particulier pour les fruits et légumes. Si celles-ci utilisent encore des méthodes de l’agriculture conventionnelle (labour, sols nus après les récoltes…) mais sans chimie, leur rendement est évidemment moins élevé. C’est pourtant ainsi que sont faites les comparaisons au niveau agricole.

Les méthodes doivent être différentes : plantation d’arbres (agroforesterie) et de haies dans les cultures et les prairies, non labour (pas forcément systématique), cultures alternées ou associées avec des légumineuses, écrasement par roulage de plantes intermédiaires pour enrichir naturellement le sol, enrichissement du sol par compost et fumier… En milieu tempéré, les dépenses sont beaucoup moins importantes, mais les gains le sont aussi. En milieu tropical, les systèmes alternatifs (l’agriculture syntropique qui est une forme intensive d’agroforesterie) peuvent obtenir des résultats très supérieurs à l’agriculture conventionnelle, sans détruire l’état des sols, mais au contraire en l’améliorant considérablement avec des forts taux de matière organique et une absence de pollution chimique.

L’ensemble des cycles naturels de l’eau et du carbone sont restaurés, tout en produisant une alimentation saine et de qualité.

Il existe donc aujourd’hui une alternative agricole qui permet la reproduction et l’amélioration des milieux naturels, qui respecte les cycles du vivant et qui est favorable au climat (augmentation de l’eau stockée dans le sol et de l’humidité du sol, croissance de l’évapotranspiration par la présence d’arbres et d’arbustes dans les cultures et les prairies ou autour d’elles, captage du CO2 dû à l’activité humaine). Cette agriculture peut même faire mieux que l’agriculture du XXe siècle qui savait alterner les cultures et utiliser les légumineuses, pratiquait la polyculture associée à l’élevage, utilisait les haies, mais labourait, ne connaissait pas l’agriculture associant les cultures sur le même terrain, ne savait pas bien utiliser la lutte biologique contre les nuisibles, n’avait qu’en partie compris l’apport des arbres.

En Amérique du Nord, l’agriculture régénérative « regenerative agriculture » représente un courant en plein développement, dont l’un des fondateurs est IFOAM International (Organisation internationale de l’agriculture biologique) et l’un des membres Rain for Climate (réseau sur l’eau et le climat basé en Slovaquie) d’où proviennent certaines des références citées ici.

Ils se sont en particulier associés à l’initiative 4 ‰ qui visait, en changeant les méthodes agricoles, à stocker 0,4 % de carbone dans le sol chaque année sous forme de matière organique, ce qui tout en régénérant les sols y stocke du carbone et réduit le taux de CO2.

En France, « Pour une agriculture du vivant » représente cette mouvance de l’agriculture régénératrice, et on peut citer aussi l’Association française d’agroforesterie.

L’important ici est qu’en régénérant les sols, on assure aussi le bon déroulement du cycle de l’eau (sols stockant plus d’eau, peu de ruissellement, plus de résilience).

Le cycle de l’eau et le rôle essentiel des forêts

Pour installer l’agriculture, il y a environ 10 000 ans, il a fallu détruire des forêts et des habitats naturels. Depuis les débuts de notre civilisation, ce sont 46 % des forêts qui ont disparu.

Les forêts participent aux cycles naturels et contribuent à réguler l’environnement, tel qu’il s’est développé au cours de l’évolution. Jusqu’au XVIIIe siècle, l’action de l’homme n’a pas mis en cause la régulation générale de l’environnement, même si, localement, elle a pu ne plus fonctionner, causant la chute ou le dépérissement de civilisations (Croissant fertile devenu désertique, chute de l’empire Maya).