« Un repris de justice décoré de la Légion d’honneur »

Ils étaient nombreux à assister à l’événement : Norbert Gilmez, 96 ans, recevant la Croix de chevalier de la Légion d’honneur par Julien Lauprêtre, commandeur de la Légion d’honneur. Une distinction récompensant soixante-six ans de combat pour faire reconnaître le statut de victime des mineurs licenciés de 1948.

C’est en le tutoyant que son parrain Julien Lauprêtre s’est adressé à Norbert Gilmez. Heureux de remettre au nonagénaire sa distinction, il décrivait un «  homme toujours au service des autres  ». Norbert a grandi dans le bassin minier. Travailleur courageux, toujours prêt à apprendre pour élargir ses compétences. Perception de Bully, instituteur, concours de commis de la mutualité du Nord…

Obligé de laisser son logement et « blacklisté » dans les entreprises locales

En pleine Occupation, il mène une grève pour soutenir un camarade travailleur. Le 17 juillet 1942, pour éviter le STO, il intègre la centrale de Bully. Il sera ensuite employé de bureau à la fosse. «  En 1948, responsable syndical au sein de la CGT, il participe à la grève. Licencié, il passera quinze jours en prison alors que son épouse attend un heureux événement… Il est obligé de quitter son logement, et quatre mois après la fin de la grève, il se voit toujours refuser du travail dans la région  », rappelle Julien Lauprêtre.

En avril 1949, il est embauché au journal Liberté. «  En 1952, sa vie est devenue très difficile, il a des dettes contractées pendant la grève. Il est embauché à la Tribune des mineurs. Il laissera ensuite sa place à un mineur lui aussi licencié pour fait de grève. Il prend alors un poste d’instituteur dans le Douaisis. »

Soixante-six ans de combat

De 1977 à aujourd’hui, il a toujours participé à l’activité de la CGT. Il suit de près l’application des textes sur la réhabilitation des mineurs licenciés de 1948. Il sera présent au tribunal de Nanterre en 2004, à Versailles en 2006 «  où son intervention sera décisive  ». De 2007 à 2017, il se bat inlassablement pour que les dispositions de la loi soient appliquées. Jusqu’à ce qu’il croise la route de Christiane Taubira, Garde des Sceaux, qui fera reconnaître le statut de victime des mineurs licenciés de 1948.

« Vous vous rendez compte, un repris de justice décoré de la Légion d’honneur »

Julien Lauprêtre saluait la décoration de Norbert comme celle de «  ces gens de peu, ces femmes et ces hommes issus de milieux populaires, à la vie simple et propre. Mais que ce fut dur. Vous vous rendez compte, un repris de justice décoré de la Légion d’honneur !  », ironisait-il.

Raymond Frackowiak, responsable de la CGT Mineurs, confiait avoir reçu une lettre d’une famille dont le père a été résistant, licencié comme Norbert. Quatre ans après, ne trouvant pas d’emploi, il avait mis fin à ses jours… «  Les enfants ne toucheront rien, ils sont 127 à n’avoir encore obtenu aucune indemnisation  ». Cette médaille, Norbert la leur dédie.

Christiane Taubira : « L’une des plus belles rencontres de ma vie »

«  L’une des belles rencontres de ma vie. » C’est ainsi que Christiane Taubira, ancienne Garde des Sceaux, désigne l’Artésien Norbert Gilmez. Un homme de combat qu’elle a rencontré en 2014 et dont elle a changé la vie en faisant aboutir le combat qu’il menait depuis soixante-six ans : faire reconnaître que le licenciement de 3000 mineurs pour fait de grève était une injustice d’État. Elle était venue le lui annoncer à Grenay. Elle était revenue le voir en 2015, juste avant de quitter le gouvernement. Et depuis, son successeur n’avait pas donné suite aux démarches entamées pour indemniser toutes les victimes désormais reconnues en tant que telles.

« L’histoire d’un homme… et de notre République »

Christiane Taubira est naturellement venue rendre hommage à Norbert, mardi soir à la maison syndicale de Lens. «  C’est l’histoire d’un homme mais aussi d’une certaine façon l’histoire de notre République. L’homme dont il s’agit fait corps avec elle. Mais il se trouve qu’il est un peu plus âgé qu’elle. On pourrait penser qu’il subit le poids des ans mais lorsqu’on le voit si alerte, si digne, si déterminé et tellement doux en même temps, on comprend qu’il ne porte pas le poids des ans mais qu’au contraire les ans le portent. Et les combats pour la justice, pour les siens. »

Dans les manuels d’histoire

L’ancienne Garde des Sceaux n’a pas mâché ses mots sur le dossier qui se trouve au point mort. «  Évidemment il reste encore beaucoup à faire. Il reste des dommages matériels à réparer, des préjudices à évaluer, des injustices à corriger, et vous Norbert, vous exigez l’application totale de la loi et vous avez parfaitement raison. Et ceux qui chicanent discréditent l’État dans ses fonctions de justice et de protection. Il reste aussi à inscrire cette histoire, cette belle épopée patriotique et républicaine dans les manuels scolaires pour qu’elle instruise les jeunes générations. »

Allant à l’encontre de la modestie de Norbert Gilmez, elle concluait en ces termes des plus élogieux : «  Il arrive que lorsqu’une personne est distinguée par la Légion d’honneur, le récipiendaire soit honoré. Et puis il arrive aussi qu’il honore l’ordre de la Légion d’honneur. C’est le cas de Norbert. »

************** ***********

«Cette médaille est celle des mineurs»

Sitôt la décoration reçue, Norbert Gilmez, fidèle à lui-même, a offert un discours empli d’humilité. «  Ma modestie en souffre, cette médaille n’est pas la mienne, je l’ai écrit au président de la République. C’est celle de toute une corporation qui a œuvré à la construction et la reconstruction du pays. C’est celle des mineurs, de leurs épouses et de leurs enfants. Celle de tous les mineurs morts de la silicose. (…) Celle de 3 000 mineurs arrêtés, emprisonnés, jugés, condamnés et licenciés, chassés de chez eux et ostracisés par les Charbonnages et réduits à la misère. De tous ceux qui se sont battus depuis pour réparer cette injustice. De tous ceux qui nous ont aidés et ont fait connaître notre action. (…) Bien sûr celle de Christiane Taubira, qui a convaincu le président et le Premier ministre qu’il fallait reconnaître que l’État avait failli et que les mineurs licenciés étaient des victimes, qu’il fallait enseigner cette histoire (…). De terroristes nous sommes devenus des victimes de l’État. Nous souhaitons l’application de la loi, toute la loi. Enfin, cette médaille est celle de ma femme et de mes enfants. »

Le militant Gilmez a évidemment terminé son discours par quelques mots sur le contexte politique actuel : «  En ces temps troublés, où une partie de notre population confond colère et haine, rappelons l’engagement constant de notre corporation minière pour l’amitié, la justice, le progrès social et la lutte des classes. »

vdn 25 mai

************* ************

Commentaire

Bravo à Zapata Gonzalez d’avoir mis l’article sur face de bouc.

C’est toute l’histoire de notre région qui a milité dans des conditions difficiles voire dramatiques pour permettre à l’ensemble des Français d’avoir une source d’énergie. C’est ce qui a fait notre force combattante.

Les temps ont bien changé puisque l’histoire nous montre que notre région a permis l’arrivée de personnes qui se sont servies au lieu d’être au service des citoyens.

On en est maintenant à connaître et subir les effets néfastes de cette exploitation du charbon ; on pourrait en tirer les conséquences pour une exploitation qui nous pend au nez : le gaz de couche. Sauf que la combativité n’est plus au rendez vous et le défaitisme ou la résignation a fait son apparition. Il est temps que des Norbert Gilmez reprennent collectivement le chemin de l’intégrité au service de l’homme et de son environnement.

Tu le montres avec ce que tu fais en direction des personnes les plus méprisées.