La menace climatique de la digitalisation

La connectivité permanente fait bondir la consommation d’énergie.

La décision de Donald Trump de sortir les États-Unis de l’Accord de Paris a été mondialement dénoncée. Parmi les arguments pour critiquer cette décision, il y a les considérations économiques. Ainsi, Emmanuel Macron déplore une décision qui va à l’encontre « des intérêts américains ». Et de nombreux éditoriaux soulignent que l’Accord ouvrirait la voie à la forte rentabilité de la « croissance verte ». Mais la question écologique ne peut être traitée du point de vue de l’économie ! Car l’économie telle que nous la connaissons est une construction historique fondée sur l’idée d’une expansion illimitée de notre puissance humaine. Les géants de l’Internet et des smartphones ont bien compris les potentialités de cette « croissance verte » qui ne produirait plus de gaz à effet de serre (GES). Il s’agirait de développer des technologies économes en énergie pour obtenir ce découplage entre croissance et GES.

Depuis deux décennies, des efforts en termes d’efficacité énergétique ont conduit à ce découplage par unité de croissance, car l’énergie nécessaire pour produire une unité de croissance a baissé de 20 % entre 1990 et 2014. Mais, comme l’activité économique mondiale a crû de 90 %, en fin de compte, la consommation d’énergie a augmenté de 54 % ! C’est l’effet rebond symptomatique de notre civilisation. Entre la course technologique très rentable à l’efficacité énergétique et notre désir infini de croissance et de maîtrise, c’est le dernier qui l’emporte.

L’illusion d’une croissance verte est soutenue par l’apparence d’immatérialité de la digitalisation. Celle-ci conduirait à une société plus sobre en énergie et en consommation matérielle. Mais c’est une illusion, car ces technologies ont une base matérielle, et la digitalisation de la société entraînera une formidable augmentation de notre consommation d’énergie, alors même qu’elle est censée la réduire.

En 2013, la part de l’informatique (terminaux, réseaux et centres de données) dans la consommation mondiale d’énergie représentait 6 %, avec un tiers pour les réseaux. Malgré l’amélioration de l’efficacité énergétique, en particulier pour les centres de données, il y a eu une forte augmentation de la consommation d’énergie par les réseaux. C’est l’individualisation et la connectivité permanente comme idéal de « progrès » qui poussent vers l’usage hégémonique des smartphones, très énergivores. La consommation liée à l’utilisation des réseaux par les tablettes et les smartphones devrait être multipliée par 186 entre 2010 et 2020, sans compter les coûts sociaux et environnementaux de l’extraction des métaux précieux, de la fabrication et de l’impossible recyclage des matériaux.

C’est intenable ! Avons-nous vraiment besoin de commander nos pizzas à la pizzeria du coin sur nos smartphones plutôt que d’y aller à pied ? Avons-nous vraiment besoin d’écouter la radio via la 4G plutôt que par le réseau hertzien ? Est-ce si insupportable d’attendre de sortir du métro pour téléphoner ? La question centrale à partir de laquelle nous pourrons faire face à l’urgence écologique est : « De quoi avons-nous vraiment besoin pour vivre ensemble ? » Et, à cette question, l’économie ne peut répondre.

Mireille Bruyère Membre du conseil scientifique d’Attac

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