Après l’expulsion musclée de la ZAD

Conjurée des années durant par le mouvement, une nouvelle tentative
d’expulsions sur la zad de Notre dame des landes a commencé.

Dès 3h du matin, l’opération s’est déployée dans toute sa brutalité : interminables files de fourgons bleu marine, chars blindés, lacrymos, premiers blessés et premières arrestations. Les gendarmes ont annoncé que les journalistes étaient strictement interdits « sur tout le dispositif » et leur ont bloqué l’accès au site. Ils ont affirmé que la prise d’images de presse était prohibée et que les médias devraient se contenter de celles fournies par la gendarmerie.

  Ces expulsions confirment la prétention du gouvernement à rétablir le droit tout en s’asseyant grossièrement dessus. La préfecture n’a même pas daigné laisser la possibilité aux habitants de la zad d’avoir accès aux bases minimales du droit au logement, en l’occurence des procédures nominatives et contradictoires en cas de volonté d’expulsion. Les habitants de la plupart des lieux de la zad s’étaient pourtant nommés et identifiés à plusieurs reprises au cours des dernières années.
Le double jeu lamentable de la préfecture s’affiche aujourd’hui dans toute son hypocrisie : l’annonce de la recherche d’une évolution « sereine et apaisée de la situation » tout en envoyant 2500 policiers ici raser des habitats. On nous annonce un tri qui va s’opérer selon des catégories qui sont de pures fictions qui ne répondent un rien d’autre qu’aux besoins du story telling répressif dans lequel le gouvernement s’est enfermé. Il n’y pas ici de radicaux d’un côté et de paysans de l’autre mais un ensemble de façons entremêlées de partager ce territoire. Contrairement à ce qu’affirme Gérard Collomb, personne ne s’est d’ailleurs régularisé individuellement ces dernières semaines au dépend des autres. L’ensemble du mouvement a proposé un cadre de convention collective pour l’ensemble des habitants et projets.
Mais le gouvernement ne pouvait pas simplement admettre que le projet d’aéroport était inutile, il fallait absolument qu’il se venge de ceux qui l’avaient forcé à cet abandon. La terre se meurt, les formes économiques les plus brutales atrophient nos vies, et partout des personnes aspirent à sortir cet état de fait. Elles étaient 30 000 le 10 février à s’engager à soutenir l’avenir de la zad. Mais Le message politique du gouvernement est ce matin très clair : il ne devra être laissé aucune possibilité à des espaces d’expérimentation.
Notre colère est ce matin profonde face au lamentable gâchis que représente la destruction engagée des maisons et espaces de vie que nous avons construits ici. Notre émotion est grande à l’idée que l’expérience collective de la zad soit mise en danger par le déferlement policier. La zad ne disparaîtra pas pour autant. Nous habitons ici, nous sommes enraciné.e. s à ce bocage, nous ne partirons pas. Nous saluons le courage des personnes qui nous ont déjà rejoint.e.s sur le terrain et ont répondu aux appels. En 2012, l’arrogance écrasante de l’Etat a fini par se retourner contre lui. Dans un contexte de montée des grèves, manifestations, occupations dans tout le pays, gageons que l’expulsion de Notre Dame des Landes deviendra un nouveau moteur de la révolte qui se diffuse ici et maintenant. Cette opération de destruction se retournera  de nouveau contre ses auteurs.
La réponse face à ces expulsions se trouvera aussi dans la durée. Une manifestation est appelée à Nantes ce samedi et une convergence sur la zad ce week-end.

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ZAD – seconde manche

Texte paru le 8 avril

  https://lundi.am/ZAD-seconde-manche

Extraits

Cela fait cinq ans que nous nous y préparions, tout en ayant toujours fait jusque-là en sorte que cela ne puisse jamais arriver. Mais nous sommes maintenant à l’aube d’une nouvelle grande opération policière dont on ne connaît encore ni l’ampleur ni la durée. L’Etat devait prendre sa revanche, il devait y avoir une seconde manche. Partout dans ce pays, des personnes venues ici un jour se demandent jusqu’où Macron ira pour mettre fin à l’une des plus belles aventures politiques collectives de la décennie passée, et la possibilité d’espace où se cherchent d’autres formes de vie. Alors que des barricades se forment de nouveau sur les routes du bocage, chacun ici s’étreint et se demande ce qui existera encore demain de tout ce qui a constitué le coeur vibrant de nos existences jour après jour. Ce que nos étreintes disent surtout ce soir, c’est que 5 ans après César, il nous faudra affronter l’invasion, tenir bon coûte que coûte et s’assurer de nouveau que l’avenir reste ouvert.

Nous venons de vivre après l’abandon une période tumultueuse avec de nombreuses tensions, des tentations aux replis dans ses prés carrés, quand ce n’était pas tout simplement au renoncement. Mais cette période a aussi été marquée pour beaucoup d’entre nous par la recherche continue de ce qui pourrait toujours dessiner une voie commune. Il a été parfois assez affligeant dans ces dernières semaines de voir à quel point un même récit binaire et dépressif a pu se répandre. En cette heure de vérité, nous préférons revenir pour notre part sur ce qui nous semble toujours permettre aujourd’hui de penser cette voie commune. Avant que la tempête ne vienne souffler de nouveau par ici, ces lignes sont par là une manière de transmettre pourquoi il demeure selon nous vital de continuer à défendre la zad. Sur le terrain et là où chacun.e sera dans les prochains jours. Dans les prochains mois aussi, car César 2 ne viendra sûrement pas à bout de ce que l’on porte ici.

Ce que négocier ne veut pas dire

Le mouvement a bien décidé après l’abandon d’entrer en dialogue avec le gouvernement pour tenter d’y négocier sa vision de l’avenir de la zad. Cette séquence nous a forcés à nous confronter à de nouveaux enjeux. Nous nous y sentions guidés par des objectifs à la fois clairs et extrêmement complexes. Neutraliser au mieux la nécessité quasi-absolue pour l’Etat de se venger de la zad par une opération d‘expulsion et donc maintenir les habitant.e.s de ce territoire dans leur diversité. Garder le plus possible des marges d’autonomie qui ont forgé le sens propre à cette expérience, tout en trouvant les moyens d’une stabilité désirée par nombre des personnes se projetant ici. Maintenir et amplifier la prise en charge collective des terres de la zad et son lien à d’autres résistances en cours. Dans cette période, il n’y a jamais eu pour nous de choix à faire entre négocier OU lutter. Nous n’avons jamais fait le pari que nous obtiendrions d’emblée, dans des bureaux, ce que nous souhaitions. La négociation n’est qu’un des leviers que le mouvement a décidé de se donner après l’abandon, en s’appuyant sur un rapport de forces issu d’années de résistance. Et ce sont bien toujours les mêmes forces ici, depuis cette perspective, qui vont penser une négociation offensive et organiser en parallèle un rassemblement devant la préfecture quand les réponses portées par l’Etat sont insatisfaisantes. Ce sont les mêmes forces qui au cours des dernières semaines ont mené un combat juridique et politique contre toutes les expulsions, organisé une manifestation à Nantes à ce sujet avec les collectifs de réfugié.e.s et mal-logé.e.s, ou qui s’engageront dans la résistance physique sur le terrain lorsqu’ils viendront tenter d’expulser des lieux.

Cela n’était pas évident pour les occupant.e.s de se lancer dans le pari de la négociation avec la peur de perdre au passage le tranchant de la zad. Ce n’était pas plus évident pour d’autres composantes de poursuivre la lutte et de remettre le sort de la période post-abandon avec l’ensemble de décisions urgentes qu’elle nécessiterait entre les mains d’assemblées larges et hétérogènes. Ce sont ces prises de risques et dépassements mutuels qui comme toujours, ont permis de continuer à avancer ensemble plutôt que de déserter ou de s’isoler. En l’occurence, nous croyons fermement qu’il était nécessaire de faire cette tentative là à ce moment là pour pouvoir continuer aussi à aller au-delà, à chaque fois que la négociation montrerait ses limites.

La capacité de composition du mouvement anti-aéroport a été des années durant un cauchemar pour le gouvernement, il lui était extrêmement désagréable d’imaginer qu’elle puisse perdurer au-delà de l’abandon. Au démarrage de ces négociations, un des objectifs premier du gouvernement était donc clairement de faire exploser notre choix de délégation commune. Il lui fallait aussi entraver sa volonté de porter de manière transversale les enjeux pour l’avenir : du refus des expulsions à la prise en charge collective des terres par le mouvement, d’une opposition ferme au retour à la gestion agricole classique en passant par la question de l’amnistie. La préfecture a donc tenté de trier ses interlocuteur.rice.s parmi nous et de les convoquer un à un dans un
comité de pilotage strictement agricole. Ça a débattu sec à ce sujet dans chaque composante et dans les assemblées. On ne saurait négliger la force de ces appâts et l’énergie que la préfecture a mise pour ne pas se voir opposer de refus. Notre cadre lentement élaboré a failli exploser brusquement en vol, mais la manœuvre a échoué. L’Acipa a décliné l’invitation de la préfète tandis que la Confédération paysanne appelait au rassemblement organisé devant le comité de pilotage et décidait de porter à l’intérieur le message du mouvement. La délégation commune a tenu. La préfecture a dû immédiatement revenir sur ses positions et accepter de la recevoir de nouveau. Le maintien des seules activités agricoles s’est transformé en « para-agricole au sens large », et il est d’ores et déjà quasi acquis que plusieurs centaines d’hectares des terres sauvées et entretenues collectivement, en plus de celles des historiques, devraient rester dédiées à des projets liés au mouvement. C’est une première étape considérable, qui ne résout pas pour autant le sort du combat lié aux habitats et la nécessité d’obtenir une priser en charge collective du foncier dès cette phase de transition pour mieux la pérenniser par la suite.

Résister au tri

Dans cette première phase de négociation, la préfecture annonçait sa volonté de faire le tri selon des critères inacceptables et a mis en demeure ceux qui voulaient avoir une chance de rester de lui faire une demande de convention individuelle et de s’inscrire au plus vite à la MSA. Certain.e.s, incapables de scruter l’horizon autrement qu’avec des schémas préconçus et la passion de la défaite, ont aussitôt auguré des trahisons des uns qui se feraient forcément leur place au soleil aux dépends des autres. Il était effectivement on ne peut plus facile de se sauver individuellement à n’importe quel moment au cours des semaines dernières avec quelques simples petits courriers et démarches administratives. La préfecture n’attendait que ça. Mais la réalité, c’est que malgré les pressions, personne n’est tombé dans ce piège.

Personne n’a renvoyé de dossier pour passer de manière séparée à l’examen sélectif : nous n’avons pas accepté de nous trier nous-mêmes. Il y a eu au contraire un refus politique et concret de ces injonctions et le maintien de la revendication et de la recherche d’un cadre collectif protecteur pour tou.te.s, entre autres une convention globale sur les terres du mouvement. C’est bien cette solidarité réelle qui coince la préfecture aujourd’hui à au moins deux niveaux : pour poursuivre la négociation dans le sens qu’elle souhaitait initialement imposer, et pour légitimer son opération d’expulsion sélective.

On entend néanmoins dans ce contexte toujours beaucoup parler de « radicaux » ou d’ « irréductibles » d’un côté et de lâcheurs impatients de négocier ou de paysans prompts à se normaliser de l’autre. Il est remarquable, là aussi, de voir à quel point cette fiction plaît autant aux médias dominants, à la préfecture qu’aux prédicateurs de la bonne morale d’une radicalité fantasmée. Mais, pour la plupart des habitant.e.s qui ont défendu la zad, cultivé et vécu dans ce bocage au cours de ces dernières années, ce clivage n’est qu’une fiction. Parmi celles et ceux qui tiennent à une ligne commune dans le mouvement par la négociation ET la lutte, parmi celles et ceux qui veulent rester ici et réellement maintenir la zad en tant qu’espace partagé, il y a d’ailleurs des personnes et bandes issues de chaque composante : des paysan.ne.s, de jeunes et de plus vieux squatters, des « historiques », des adhérent.e.s de l’Acipa, des voisin.e.s, des naturalistes, des camarades syndicalistes, des passionné.e.s de sentiers, des militant.e.s de la Coordination… Dans l’optique que la zad continue à se déployer, l’idée que tout devrait être légal ou tout rester illégal sont les deux faces d’une même (mauvaise) pièce. Elles relèvent de fétichismes idéologiques aussi stériles l’un que l’autre pour poursuivre des luttes sur le terrain. Les personnes qui ont réellement participé au déploiement du mouvement ces dernières années, plutôt que de se contenter de le commenter sur internet le savent bien : ces visions univoques « légalistes » ou « illégalistes », « violentes » ou « non-violentes » n’ont jamais correspondu à ce qui a fait notre force effective et nous a permis de faire plier l’Etat. Elles ne sont pas plus adaptées aujourd’hui à répondre aux horizons des un.e.s et des autres et aux objectifs que l’on s’est donné avec les « 6 points ».

Il ne s’est jamais agi pour nous d’entrer tête baissée dans la normalisation, mais bien de déterminer ce qui nous permettrait de garder concrètement, dans cette reconfiguration de la situation l’ensemble des lieux de vie et des activités. Il faut pour cela déterminer pas à pas ce qui sera le mieux à même de préserver des marges d’autonomie et d’appui pour ne justement pas devoir finir par se soumettre isolément à l’ensemble des carcans imposés par les formes de production marchande et industrielle. Il s’agit ici de pratiques bien réelles dans un rapport de force concret avec un ennemi puissant, et non pas de vues de l’esprit sur un monde idéal. On peut faire confiance à l’attachement que nous portons au sens trouvé depuis des années dans la réinvention libre du rapport à ce que nous produisons pour ne pas le lâcher comme ça.

Trêve de mythologie routière

Faire front quoi qu’il en soit

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