La course aux hectares

Cela renforce la famine

La famine a sévi fortement dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Est (Somalie, Kenya, Ethiopie, Djibouti, Ouganda, Soudan du Sud) en 2017. Elle a touché 20 millions de personnes selon l’ONU, notamment parce que la sécheresse frappait ces territoires depuis fin 2016, qui se conjugue avec la pauvreté économique, les guerres… Avec le réchauffement climatique et la croissance de la population, les enjeux alimentaires et agricoles deviennent progressivement de plus en plus tendus. Cette tension impacte donc aussi les terres agricoles disponibles.

En novembre 2017, en France, dans le canton de Chevagnes, Keqin Hu, à la tête de Reward group, un consortium « a discrètement racheté plusieurs terres agricoles, suscitant l’incompréhension et l’agacement des exploitants locaux (…). Il possède désormais 750 à 900 hectares de terres agricoles ».[1]

Déjà, en 2016, « lrançaisagricole dans l’Indre. le groupe China Hongyang, avait déjà acquis, 1700 hectares de terres agricoles dans le département de l’Indre. « Des capitaux russes intéressés par des vignobles réputés, des fonds de pension belges attirés par les grandes cultures céréalières, des investisseurs chinois dans le lait… Une « course aux hectares agricoles » semble avoir démarré. Alors que les terres cultivables risquent de se faire rares, ’’il va y avoir une concurrence importante sur la production agricole’’, pronostique Robert Levesque[2]. Cependant, en 2011, les investisseurs étrangers n’étaient impliqués que dans moins de 1 % des transactions en 2011, soit 6 000 hectares environ, selon une étude d’Agrifrance. Or, la France use des mêmes pratiques, avec des entreprises, telle AgroGeneration présidé par Charles Beigbeder, qui a acheté des terres dans des pays de l’Est de l’Europe. Ce n’est donc pas très cohérent au plan écologique et financier concernant les transports. Les terres agricoles sont donc soumises à une mise en concurrence croissante au sein du marché mondial.

Le député socialiste « Dominique Potier avait fait voter fin décembre 2016 une proposition de loi pour lutter contre l’accaparement des terres agricoles », qui fut censurée par le Conseil constitutionnel qui la considérait « contraire à la liberté d’entreprendre ’’[3].

L’accaparement des terres

 Cela consiste pour les pays les plus riches et les grandes entreprises des pays industrialisés à acheter des terres au détriment de l’agriculture vivrière locale. Les locations (généralement à très long terme) et ces  achats de terres par des agro-industriels visent à cultiver les céréales qui manquent dans leur pays ou à développer des agrocarburants. L’ONU estime que 60 millions de personnes dans le monde sont menacées d’expropriation du fait de l’expansion des cultures destinées aux agrocarburants[4]. À travers ces réformes foncières de nature néolibérale, il s’agit d’ouvrir le marché des terres agricoles aux populations les plus riches d’occident mais aussi des pays émergents, telle la Chine, afin que les plus riches puissent s’octroyer les ressources agricoles qui leur manque. Or, ces achats se déroulent majoritairement dans les pays les plus pauvres qui ont donc déjà des difficultés à nourrir correctement leur population.

En 2008 par exemple, à Madagascar, « le sud-coréen Daewoo Logistics avait acheté 1,3 millions d’hectares de terres, soit l’équivalent de la moitié des terres arables de la Grande Île[5].  Alors que le pays ne produit pas suffisamment de denrées alimentaires pour se nourrir, la population s’insurge. Ainsi, en décembre 2008, le maire d’Antananarivo, Andry Rajoelina, appelle à une grève générale, contre le président de la République de Madagascar, Marc Ravalomanana. En mars 2009, Rajoelina chasse Ravalomanana du pouvoir, pour y prendre sa place. Mais généralement, ces achats de terres se font discrètement entre les pouvoirs publics et des transnationales, la population n’est pas informée et donc ne se révolte pas. La mise en lumière médiatique de l’accaparement des terres à Madagascar en 2008, avait favorisée un début de prise conscience du mouvement altermondialiste mondial, concernant cette nouvelle tendance vers l’accaparement des terres à l’échelle internationale.

En 2016, Grain recense « 491 accaparements de terres, portant sur 30 millions d’hectares dans 78 pays. Grâce aux mouvements sociaux, la croissance à ralenti depuis 2012, néanmoins, le problème continue de s’amplifier ».[6]

Les partisans des politiques sociales opposés à la mondialisation libérale des terres agricoles notamment, défendent au contraire la relocalisation de la production, l’autonomie alimentaire, agricole, économique et politique. Ce qui n’empêche pas en même temps à ces territoires de mener une solidarité économique internationale. De plus, ils entendent faire cesser les politiques néocoloniales de leurs gouvernements. Car relocaliser la production d’une nation, afin de promouvoir l’emploi local, mais en continuant à exporter de manière agressive vers l’extérieur et à importer à très bas prix les marchandises n’existant pas dans leur pays serait incompatibles avec des valeurs de solidarité.

Thierry Brugvin

[1] DE MARESCHAL Edouard Dans l’Allier, l’achat de 900 hectares de terres par un Chinois fait grincer des dents, Le Figaro, 02/02/2018.

[2] CHAPELLE Sophie,  « L’accaparement de terres et la concentration foncière menacent-ils l’agriculture et les campagnes françaises ? » Bastamag, 7 avril 2014.

[3] DE MARESCHAL, 2018.

[4]  FORUM PERMANENT DES NATIONS UNIES sur les questions indigènes, 2008

[5] COURRIER INTERNATIONAL, Daewoo gagne le gros lot, 20 nov. 2008

[6]  GRAIN, Accaparement mondial des terres agricoles en 2016 : ampleur et impact, Rapport 2016, Grain, Barcelone, Espagne.