Jamal Khashoggi

Séquestration et probable assassinat du journaliste saoudien.

Ces milliards de dollars qui obligent au silence sur un crime d’Etat

Deux déclarations suscitées par l’affaire de la séquestration et le probable assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à l’instigation des autorités de Ryad méritent d’être soulignées car révélatrices de la ligne de conduite à laquelle les puissances occidentales vont se tenir à l’égard de l’Arabie saoudite dont aucune ne veut se fâcher ou mettre un terme au silence qu’elles observent à l’égard de la question des droits de l’homme dans ce royaume moyenâgeux.

La première a émané de l’inénarrable président étasunien Donald Trump qui tout en affirmant avoir « demandé » des explications sur cette affaire au plus haut niveau de la monarchie wahhabite a crûment fait comprendre qu’il exclut toute décision ou sanction à l’encontre de ses commanditaires car, a-t-il cyniquement précisé, « les Saoudiens dépensent 110 milliards de dollars en équipements militaires et sur des choses qui créent des emplois dans ce pays (les EU évidemment). Je n’aime pas l’idée de mettre fin à un investissement de 110 milliards de dollars aux Etats-Unis ». L’autre a été le fait de la directrice du Fonds monétaire international (FMI) Christine Lagarde qui tout en s’étant dite « horrifiée » par l’affaire Khashoggi a néanmoins confirmé son intention de participer au sommet économique « Davos du désert », un forum organisé à Ryad par l’homme fort de la monarchie saoudienne pour inciter les investisseurs étrangers et occidentaux en premier lieu à contribuer aux ambitieux projets de développement économique de son plan « Vision 2030 » censé sortir l’Arabie saoudite de sa dépendance aux hydrocarbures.

Dans les deux cas, le signal a été donné que l’assassinat d’un journaliste ne doit pas se mettre en travers des relations des « démocraties » occidentales avec le partenaire clef qu’est pour elles l’Arabie saoudite sur tous les plans – stratégique, militaire, commercial. Ce cadrage suggéré par le président Trump et la directrice du plus puissant organisme financier de la planète de ce que doit être l’attitude occidentale, même si la culpabilité des autorités de Ryad ne fait plus grand doute tant se sont accumulés les indices qui confortent sa probabilité, il en est tenu compte par les chancelleries occidentales. En effet si elles ont toutes exprimé, qui son « horreur », qui son « indignation » au sort subi par le journaliste et opposant saoudien, aucune n’a expressément pointé du doigt Ryad et son homme fort le prince hériter Mohamed Ben Salman sur lequel convergent un faisceau de présomptions dont ils n’ont pu démontrer la fausseté.

En direction de leurs opinions révoltées par la tiédeur des réactions officielles à l’ignoble séquestration et assassinat du journaliste, elles ont fait sous-entendre qu’elles ne ménageront pas la pétromonarchie si les preuves venaient à l’accabler. Elles font en réalité profil bas dans l’indignation internationale que vaut ce crime ignominieux à la pétromonarchie arabe avec l’espoir et le calcul que le temps va l’estomper sans que Ryad trouve à redire sur leur réaction et à en prendre prétexte pour exercer des représailles à leur encontre qui leur feraient perdre leurs juteux partenariats avec elle.

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La réaction du président français

Khashoggi : Macron évoque des « faits très graves » et « inquiétants »

Emmanuel Macron a évoqué vendredi des « faits très graves » et des « premiers éléments extrêmement inquiétants » concernant la disparition, imputée à l’Arabie saoudite, de l’éditorialiste et collaborateur du Washington Post Jamal Khashoggi à Istanbul.

Emmanuel Macron a évoqué vendredi des « faits très graves » et des « premiers éléments extrêmement inquiétants » concernant la disparition, imputée à l’Arabie saoudite, de l’éditorialiste et collaborateur du Washington Post Jamal Khashoggi à Istanbul.

« J’attends que la vérité et la clarté complètes soient établies », a dit le chef de l’Etat lors d’un entretien accordé à France 24 et RFI, en Arménie, à l’issue du sommet de la francophonie.

« Les faits évoqués sont des faits graves, très graves (…) La France instamment souhaite que tout soit mis en oeuvre pour que nous ayons toute la vérité sur cette affaire dont aujourd’hui les premiers éléments sont (…) extrêmement inquiétants et d’une nature profondément grave », a-t-il ajouté.

A la question de savoir si « l’affaire Khashoggi » pourrait remettre en cause le « partenariat de confiance » noué entre Paris et Ryad, Emmanuel Macron a répondu : « Je fais les choses dans le bon ordre ».

« En fonction des éléments qui seront établis, analysés, vérifiés par nos services, j’aurai à ce moment-là une position à prendre. Je ne vais pas aujourd’hui tirer des conclusions hâtives d’une situation dont je ne connais pas les détails, a-t-il dit, précisant qu’il s’entretiendrait à ce sujet « dans les prochains jours » avec le président turc, le prince héritier saoudien et le roi d’Arabie saoudite.

Éditorialiste critique du pouvoir saoudien, Jamal Khashoggi n’a plus donné signe de vie depuis qu’il s’est rendu le 2 octobre dernier au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.

Sa fiancée, qui l’attendait à l’extérieur, assure qu’il n’en est jamais ressorti et des sources au sein des services turcs de sécurité pensent qu’il a été tué à l’intérieur du consulat par une équipe d’une quinzaine de Saoudiens repartis le jour même dans leur pays.

Contrairement à Londres ou Washington, les autorités françaises s’étaient montrées jusqu’à présent relativement discrètes sur ce dossier.

« LA POLITIQUE PRIME SUR L’ECONOMIQUE »

La France, qui a scellé avec l’Arabie saoudite pour plusieurs milliards d’euros de contrats ces dernières années, est sous pression depuis plusieurs mois des ONG qui réclament une suspension de la livraison d’armes à Ryad compte tenu de son rôle dans le conflit au Yémen.

A la question de savoir si la France, comme l’Occident, ne « perdait pas son âme » en vendant des armes à Ryad, Emmanuel Macron a défendu la « politique extrêmement rigoureuse » de son pays en matière de contrôle des exportations de matériels de guerre.

En outre, « nous ne faisons pas partie des fournisseurs sur ces matières-là de l’Arabie saoudite sur ce conflit », a-t-il dit. « Maintenant il faut être clair, nous avons avec l’Arabie saoudite et les Emirats arabes un partenariat de confiance dans la région qui n’est pas commercial mais stratégique ».

« Je n’ai jamais installé la diplomatie en fonction de critères commerciaux. Dans la grammaire de la diplomatie française, le politique prime sur l’économique, donc jamais des intérêts de telle ou telle entreprise n’ont primé sur la voix de la France », a-t-il ajouté, jugeant par ailleurs « faux de dire que l’Arabie saoudite est un grand client de la France dans quelque domaine que ce soit ».

Commentaire à cet article paru dans mediapart

E Macron part d’un constat : « des faits très graves » ; il ne va pas plus loin dans sa réaction ; il espère certainement que cette affaire sera bientôt oubliée dans l’opinion publique.

Par ailleurs, il y a beaucoup d’hypocrisie à dire que sa politique prime sur l’économique quand on voit les courbettes faites en direction des dirigeants saoudiens ; et surtout quand il soutient les ventes d’armes en direction de ce pays.