Accaparement des terres, corruption et crime industriel

L’accaparement des terres est désormais considéré comme un crime contre l’humanité.

Mais peu d’accapareurs finissent en prison. Bien au contraire, quand on cherche sur le site spécialisé farmlandgrab.org des informations sur les procès, poursuites, condamnations ou emprisonnements liés aux transactions foncières, ce qu’on trouve principalement, ce sont des histoires de communautés locales accusées d’agissements illicites pour avoir défendu leur propre territoire contre des entreprises toutes-puissantes ! Et pourtant, les liens entre le crime, la corruption et ceux qui effectuent ces transactions de terres agricoles sont bien réels.

En 2013, dans l’annexe d’un rapport sur un cas d’accaparement des terres dans le nord du Sénégal impliquant des investisseurs italiens soupçonnés de blanchiment d’argent, GRAIN publiait un résumé d’autres cas d’accaparement dans le monde où la signature d’importantes transactions foncières était susceptible de dissimuler des mouvements de fonds illicites.

Nous avons appris récemment que plusieurs de ces cas ont donné lieu à des poursuites en justice ou des actions menées par les autorités des pays concernés et nous avons décidé de présenter une brève mise à jour des derniers développements. La bonne nouvelle, c’est que dans certains cas, on a pu mettre fin à ces crimes. La mauvaise, c’est que la tendance générale des hommes d’affaire et des politiciens corrompus à se servir des transactions foncières pour s’enrichir de manière illégale se confirme. Ceci est vrai également dans d’autres secteurs touchant au foncier, comme les ressources forestières. Depuis notre liste de 2013, un grand nombre d’autres cas ont été révélés. Voici ci-dessous quelques-uns des mieux documentés.

Bárcenas : aujourd’hui en prison

En 2013, nous avions fait état des soupçons qui touchaient l’ancien trésorier du Parti Populaire au pouvoir en Espagne, Luís Bárcenas. Bárcenas était soupçonné d’avoir utilisé, à des fins de blanchiment, une plantation de citronniers de 3000 hectares (ha) située dans le nord de l’Argentine et appartenant à une société du nom de La Moraleja S.A.

Des liens étroits

La Moraleja est tristement célèbre en Argentine. La société a été établie en 1978 durant la dictature militaire de Juan Carlos Onganía par le secrétaire d’Onganía et une société panaméenne, la RedWood Finance & Investment Corp. RedWood était représentée par Ángel Sanchís Perales, trésorier du Parti Populaire espagnol pendant le gouvernement de Manuel Fraga Iribarne. (Le fils aîné de Sanchís, Ángel Rafael Sanchís Herrero, est l’actuel président de la société.) Au cours des 40 dernières années, La Moraleja a maintenu des liens étroits avec les dirigeants répressifs argentins. On l’a très bien vu quand en février 2018 la société a envoyé ses condoléances à l’occasion des obsèques de Luciano Benjamín Menéndez, l’un des généraux argentins de sinistre mémoire les plus brutaux. Ce n’est qu’alors que le public a appris que le fils du général, Martín Horacio Menéndez, était le PDG par interim de La Moraleja.

En 2018, la justice a conclu que Bárcenas avait effectivement établi des contrats illégaux et de fausses factures pour le parti, ce qui lui avait permis d’envoyer en Suisse de l’argent prélevé sur les comptes du parti. De là, les fonds étaient transférés en Argentine au profit de la plantation de La Moraleja, qui était gérée par Ángel Sanchís et son fils, tous deux associés de Bárcenas. La plantation a produit des millions qui repartaient vers des comptes privés en Espagne, parfois sous la forme de “transferts déguisés” sur la base de faux contrats de services entre Bárcenas et Ángel Sanchís.

 

La justice a établi avec certitude que ces transactions ont bien eu lieu. Sanchís et son fils ont été reconnus coupables d’avoir blanchi 3 millions d’euros grâce à ce stratagème et ont reçu une peine de prison ferme d’un an chacun. Bárcenas a lui aussi été reconnu coupable et condamné à 33 années de prison. Suite à ces révélations, le Président espagnol Mariano Rajoy a été renversé par une motion de censure le 1er juin 2018 et écarté du pouvoir.

Dans l’intervalle, tandis que les tribunaux espagnols menaient leurs enquêtes, Greenpeace Argentine découvrait que les terres agricoles de La Moraleja, autrefois zone protégée, avaient été acquises et défrichées en violation de la législation argentine sur les forêts. Sur la superficie totale, 3.000 ha d’espèces de bois de grande valeur ont été abattus, pour faire place à des citronniers, ce qui est interdit en Argentine par la Loi pour la protection des forêts natives. La récolte annuelle de citrons était destinée en partie à Coca-Cola pour fabriquer le Sprite et le reste était exporté en Europe. 15.000 ha supplémentaires ont été utilisés pour la production de soja génétiquement modifié. Les propriétaires de la plantation soutiennent avoir obtenu des dérogations des autorités locales pour convertir les terres boisées, ce qui ferait des autorités des complices de l’infraction. De fait, le gouvernement de la province leur avait accordé son soutien en déclarant que le projet de plantation prévu par l’entreprise servait “l’intérêt de la province”. Pour l’instant, la plantation a perdu sa certification d’”agriculture durable” et le contrat avec Coca-Cola. Mais les propriétaires affirment qu’ils vont replanter les 3.000 ha en forêt et convertir 7.000 ha de la plantation de soja pour y produire des citrons. À leur sortie de prison peut-être ?

https://www.grain.org/fr/article/entries/6044-accaparement-des-t