Justice sociale et écologie

Où est la justice ?

Il n’y aura pas de transition écologique sans justice sociale… Et inversement!

À propos de la taxe sur les carburants, l’essentiel a été écrit dans ces colonnes. Il faut cependant élargir le propos à la taxation carbone des entreprises : les 1 400 sites industriels et polluants du pays sont exonérés de cette fiscalité (1). Ces entreprises, soumises au marché carbone européen, paient un prix de la tonne bien plus faible, alors qu’elles reçoivent quasi gratuitement les permis de polluer échangés sur le marché. Il n’y aura pas de transition écologique sans justice sociale.

Et si nous inversions aussi le propos ? Il n’y aura pas de justice sociale sans transition écologique. Nous pourrions dire que l’empreinte carbone moyenne d’une personne faisant partie des 1 % les plus riches du monde est 175 fois plus élevée que celle d’une personne faisant partie des 10 % les plus pauvres, ou bien que cette dernière émet en moyenne 60 fois moins de CO2 qu’une personne faisant partie des 10 % les plus riches (2). En France, les très riches émettent 40 fois plus de carbone que les pauvres, mais les pauvres paient plus de 4 fois plus de taxe carbone en pourcentage de leurs revenus (3) !

Comme la transition écologique suppose une réduction drastique et urgente de l’empreinte écologique et des émissions de gaz à effet de serre, elle ne peut être obtenue qu’en limitant drastiquement les revenus des plus riches : revenus maximums, tarification fortement progressive pour les consommations de biens essentiels comme l’eau ou l’énergie, gratuité et développement des transports collectifs et publics, lutte contre l’évasion fiscale et fiscalité progressive.

Ce qui est en jeu n’est plus seulement une justice redistributive qui serait conçue comme un rattrapage pour parvenir à l’égalité : il ne s’agit pas d’augmenter la pression écologique des plus pauvres mais de faire décroître radicalement celle des plus riches. Le problème majeur n’est pas la pauvreté et les comportements supposés pollueurs des plus pauvres, mais la richesse, son contenu et sa répartition. Ce sont des évidences, mais, selon le poids et la priorité donnés à tel ou tel argument, des mondes différents se dessinent, au-delà de l’urgence. Promouvoir des politiques et entériner des pratiques qui favorisent des modes de vie excluants et polluants n’est pas une option laissée au libre choix, c’est un crime.

Dans les années 1930, la philosophe Simone Weil avait retiré de son expérience de travail dans l’industrie la conviction que le plus grave, pour les ouvriers et les ouvrières avec qui elle avait partagé cette condition, était l’humiliation. La débauche de « richesse » et la promesse de son « ruissellement » sont humiliantes. Aucune statistique ne peut en rendre compte. Elles le restent jusqu’au moment d’un retournement où les dominés ne se définissent plus par défaut par ce qu’ils n’ont pas, mais par ce qu’ils sont.

(1) « Basculer la fiscalité carbone sur les entreprises les plus polluantes et jusqu’ici largement exonérées », disponible sur france.attac.org

(2) http://tankona.free.fr/oxfam1215.pdf

(3) http://tankona.free.fr/gadreyco2.pdf

Article de Geneviève Azam ; paru dans Politis, n°1530 du 6 décembre 2018, page 11, rubrique « l’économie à contre-courant ».

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https://www.politis.fr/articles/2018/12/ou-est-la-justice-39701/